Batman : dead end ou l’effervescence des fan-films

Si vous vous baladez très souvent sur internet, voire que vous adorez des œuvres comme Dragon Ball Z, Harry Potter ou Star Wars, vous êtes sans doute tombé une fois ou deux sur une œuvre de fiction faite par un fan (films, séries, comics, manga ou jeux vidéo), généralement un court-métrage ou un moyen-métrage de 30 minutes. Ce genre de création à un nom : il s’agit d’un fan-film.

En soi, les fan-films sont assez anciens car nous en trouvons des exemples en 1926 avec Andersen ‘Our Gand (basé sur la série de films Our Gang). De nombreuses œuvres-hommages à des personnages issues de la « pop culture » ont déferlées mais la plupart sont restées invisibles, d’autant plus que l’absence de possession des droits d’auteurs sur ces œuvres pouvait amener à un préjudice financier sur les réalisateurs de ces fan-films en cas de poursuite. Toutefois, à partir des années 70 et de l’explosion des conventions permettant aux fans de montrer leurs œuvres, le genre s’est peu à peu démocratisé. Dans les années 80, ces créations ont grimpés en visibilité, notamment avec des films comme Raiders of the lost Ark : the adaptation de 1989 reprenant plan par plan le premier Indiana Jones et réalisé par des adolescents. Cependant, ce sont les années 90 à 2000 qui marquent l’avènement du genre, puis son apogée dans les années 2010 avec le développement d’internet qui limite la censure des fan-films par les détenteurs de droits. Désormais, nous connaissons pléthore de fan-films, de Voldemort : origins of the Heir, en passant par Darth Maul : apprentice ou par Never hike alone (fan-film de la saga d’horreur Vendredi 13). Certains sont d’une qualité discutable, certains sont réalisés par des étudiants en cinéma, d’autres par de vrais amateurs. Le format varie, nous pouvons avoir des films en prise de vue réel, de l’animation ou des fausses bandes-annonces. Afin d’expliquer ce qui fait la particularité de ce genre de film et sa place, nous allons revenir en 2003 avec un film très souvent cité dans les meilleurs fan-films et comme l’un des meilleurs fan-films de sa franchise : Batman : dead end de Sandy Collora. Nous verrons ensuite la question de la légalité de ces productions, puis enfin celle de l’américanisation plus générale de la culture dont l’effervescence des fan-films fait partie.

Batman : dead end est donc un court-métrage de 8 minutes du début des années 2000 tourné à Hollywood, racontant la poursuite par Batman du Joker, mais dont un élément perturbateur va venir déranger le justicier de Gotham dans sa quête. Voyons donc ce qu’il s’y passe.

La première chose à remarquer, et c’est important, c’est que le film s’ouvre comme un film Batman habituel : on y voit Bruce Wayne s’habiller pendant que la radio annonce une nouvelle fuite du Joker de l’asile d’Arkham, tout en faisant référence à des personnages bien connu comme le commissaire Gordon et Harley Quinn. Une fois le générique passé, nous retrouvons tous les éléments d’un Batman : les ruelles sombres, le bat-signal dans le ciel, Batman se tenant sur le toit d’un immeuble, la pluie et le fait que l’action se déroule dans une nuit noire. Lors de la confrontation avec le Joker, nous retrouvons encore une fois tous les éléments d’un Batman, mais surtout ceux issus des comics : la référence à la naissance du Joker, à son antagonisme avec le justicier masqué, au masque du chevalier noir, à ses réparties, sa voix grave, son sens de la justice et le rire du Joker. A noter que les conseils du réalisateur pour l’acteur qui joue le Joker, Andrew Koenig, était de jouer vraiment la folie, que son personnage ne soit pas humoristique comme cela peut être le cas dans certains films à l’instar de celui de Tim Burton avec Jack Nicholson. Ainsi, si on prête bien attention, on remarque que le Joker du film… est plus proche de celui des comics.

C’est au moment où apparait le Xénomorphe (Alien) que le film commence à dériver. Le Joker se fait kidnapper par la créature, juste avant qu’une autre n’attaque Batman, sauvé in extremis par l’arrivé d’un Predator tuant le Xénomorphe. Si l’on prend la peine de faire attention à la musique, au moment de l’entrée du Xénomorphe puis celle du Predator, c’est la musique de leur franchise respective qui apparait, qui est concomitante à la surprise de Batman mais aussi à sa relative faiblesse face aux deux créatures.

Là où on avait avec la confrontation entre Batman et le Joker de nombreuses références à l’œuvre original, nous avons à l’apparition du Predator aussi des références à sa saga d’origine, comme sa vision infrarouge et le fait qu’il jette son arme pour se battre à main nue avec le justicier de Gotham, référence au combat final avec Schwarzenegger dans Predator. Malgré l’âpreté du combat, Batman arrive à battre le Predator et à le mettre à genou. Alors que sa musique est revenue, signalant qu’il a repris le dessus, et qu’il s’apprête à exécuter l’extraterrestre, plusieurs Predators et Aliens arrivent et encerclent le chevalier noir. C’est sur ce climax que le film se termine, laissant le suspense sur lequel des trois monstres va finir par sortir vainqueur de la confrontation. Plus que de la facilité scénaristique, cette fin permet au fan de se laisser lui-même imaginer la fin de la confrontation et de ne pas trancher, au risque de décevoir, sur la fin du combat[1].

Le réalisateur de Batman : dead end, Sandy Collora, est né en 1952 aux Etats-Unis et travaille depuis longtemps pour le cinéma en tant que superviseur des effets spéciaux. Il s’est occupé notamment de film comme Leviathan, Jurassic Park ou Predator 2. Son premier court-métrage, Solomon Bernstein’s Bathroom, date de 2000 et son premier long-métrage Hunter Prey de 2010. Si nous regardons donc sa carrière de réalisateur, celle-ci n’est pas très prolifique, celle-ci n’explique donc pas pourquoi son court-métrage reste marquant dans les fan-films.

Intéressons-nous au pourquoi le court-métrage marche, ou plutôt pourquoi marche-t-il pour un certain public. Penchons-nous donc sur sa production et la façon dont il a été pensé et réalisé.

Le film a couté 30000 dollars au total, le réalisateur ayant réussi à convaincre un producteur de financer son projet. Sandy Collora est un fan des comics Batman, notamment de Batman vs Predator sorti dans les années 90. En tant que fan, il a travaillé à ce que son Batman soit réaliste, se déplace comme dans la bande-dessinée et avec une allure la plus ressemblante au comics. Il a voulu que les interprètes de Batman et du Joker soient les plus conformes possibles par rapport au matériel d’origine, à tel point que beaucoup reconnaissent le travail fait par les deux acteurs. L’ambiance sombre et froide d’un film Batman a aussi été reprise. Sur le choix de faire intervenir le Predator, c’était pour donner un véritable défi à son Batman. Toujours sur les créatures, Sandy Collora a donné des story-boards très précis de ceux-ci. Son enthousiasme était tel qu’il l’a fait partager à toute son équipe, malgré les plus sceptiques sur le projet.

Et là se trouve toute la force du film : même si Sandy Collora a une expérience cinématographique que n’ont pas les amateurs réalisant la plupart des fan-films, son film est réalisé en tant que fan pour parler à des fans. Cela explique pourquoi les fans de Batman apprécient beaucoup le film car il s’agit exactement de la vision de Batman dans les comics[2] ! Le film marque encore plus le caractère fan de l’œuvre en faisant intervenir deux « monstres » du cinéma en la présence de l’Alien et du Predator dans un combat parfaitement épique. Je rappelle que la première rencontre cinéma entre Alien et Predator est sortie en 2004 et qu’auparavant elle n’était qu’un rêve des fans des deux sagas. Batman : dead end est la définition même du fan film. On comprend d’autant mieux qu’en se baladant sur internet les critiques du film sont beaucoup plus négatives lorsqu’on quitte le seul secteur des afficionados de l’homme-chauve-souris et qu’elles trouvent saugrenu une rencontre avec deux sagas de science-fiction sans rapport.

Le problème inhérent de ce genre de production dont on a assez peu parlé, c’est celui de la légalité face aux studios détenant les droits d’auteurs sur les œuvres de fictions, voire par les auteurs eux-mêmes. Par exemple dans le cas qui nous intéresse, DC comics interdisait durant les années 90 les fan-films sur ses œuvres de fictions. D’ailleurs le film suivant de Sandy Collora, World’s finest, une fausse bande-annonce d’un film mêlant Superman et Batman[3], avec la même équipe que pour le précédent film, a été censuré par la maison d’édition. La firme a changé d’avis en 2008, en stipulant simplement qu’il ne devait pas avoir de commercialisation des films.

C’est sur cette question de la lucrativité du film que va jouer l’interdiction ou non de l’œuvre, à tel point qu’on peut ajouter ce critère à la définition de ce qu’est un fan-films, ce qui nous permet de démarquer par ailleurs des films comme Batman : dead end de grosses productions comme Freddy vs Jason ou Alien vs Predator. Peu importe que ce soit une fan-fiction Star Wars, Star Trek ou sur un personnage obscur de manga, le détenteur des droits ne souhaite pas être floué de ce qu’il pense lui revenir de droit. Ainsi dans le cas du film Voldemort : origins of the Heir, qui a été financé et réalisé par des fans de la saga via une cagnotte Kickstarter, les réalisateurs ont eu l’interdiction de commercialiser le film de 52 minutes, mais la Warner Bros qui détient les droits a aussi imposé vu l’ampleur du projet une certaine esthétique au film[4], une façon d’écrire et dans le choix de la musique du film, sous-entendu que la Warner pense qu’une violation de l’imagerie de la saga dans un fan-film pourrait à terme nuire à la saga elle-même ! Désormais, à l’instar de DC, la plupart des détenteurs ont une tolérance sur ces projets, Lucasfilm allant pour sa part jusqu’à les récompenser. Certains studios font tout de même de la résistance : en 2008, la Fox interdisait et menaçait de poursuites les amateurs réalisant un fan-film sur le jeu Max Payne ; la MGM a démontré la même hostilité pour les films amateurs de James Bond ; en 2014, un projet de fan-film Godzilla : héritage a fait l’objet des foudres de studio japonais Toho. Dans le premier et le dernier cas, il faut reconnaître que les studios ont peut-être eu peur d’une concurrence involontaire, les périodes correspondant à la sortie au cinéma d’œuvres sur les personnages en question.

Cette situation pourrait nous interroger sur la question de la propriété intellectuelle, d’autant que dans le monde anglo-saxon certaines décisions sont intervenues pour donner un semi-semblant de normalité à ces œuvres. En 2012, le Canada a fait voter une loi sur la modernisation du droit d’auteur qui ajoute l’exception de films réalisés par des fans sans but lucratif. Une décision du tribunal américain de 2013, Lenz C. Universal Music Corp a reconnu une certaine bienveillance sur les œuvres faites par des fans et que les détenteurs des droits ne pouvaient pas abuser de leur pouvoir en censurant ces créations. Toutefois, il s’agit de quelques exceptions et il s’agit d’une zone grise de la propriété intellectuelle où cependant une certaine créativité artistique peut se développer malgré tout. Ce qui peut nous faire penser à la situation de certains Youtubeurs francophones.

En guise de conclusion à ce sujet j’aimerais parler de l’autre question importante dans le cas des fan-films, celui de l’américanisation de la société et de la culture. En effet, mise à part des fan-films sur des œuvres japonaises ou anglaises, globalement le matériel d’origine vient des Etats-Unis[5]. J’entends par une américanisation de la culture une centralité du modèle américain sur le plan culturel et en termes de valeur sur ce qui est bien ou plutôt désirable, tendant à dissiper toutes les autres formes de culture comme ringardes ou démodées[6], bref à uniformiser les cultures, ce qui s’accompagne dans le même temps par une uniformisation économique voire politique sur le modèle américain. Encore aujourd’hui c’est le cas malgré la décadence lente des Etats-Unis sur la scène mondiale. Pour revenir aux fan-films, il s’agit d’une américanisation bien plus involontaire, flou, mais tout aussi redoutable en laissant des amateurs récupérer les œuvres de fictions qu’ils aiment tant. Malgré l’aspect participatif et très enthousiasmant que peut avoir ce genre de projet, le développement de la production de ce genre de film peut avoir quelque chose de négatif en ce sens qu’elle participe à une uniformisation des cultures sur un modèle précis, peu enclin à la revendication sociale.

Faisons pour mieux nous expliquer un distinguo entre culture populaire et culture de masse. La culture populaire est une forme de culture dont la principale caractéristique est d’être produite et accessible à tous. Essentiellement, elle était associée au folklore/tradition populaire, puis a compris un certain nombre de chose au travers des âges, notamment le syndicalisme avec le développement de l’industrialisation et de la culture ouvrière concomitante. A l’inverse la culture de masse se définie davantage par la consommation d’objet accessible et en grande quantité, dans une société où les rapports entre les hommes sont fondés par le capitalisme et où la consommation et la volonté des entreprises deviennent des faits de sociétés. La culture devient un objet commercialisable et facilement consommable (il suffit de voir les nombreux blockbusters que nous aurons vite oubliés), ayant surtout par l’abondance la faculté d’imposer – pour être un brin honnête, il faut dire que c’est exemple s’applique quasi-exclusivement aux pays occidentaux – un mode de vie américain et de l’institutionnaliser. Tout cela dépolitise et normalise un mode de production (et les relations qu’il engendre), qui n’est plus questionné alors qu’au regard de l’histoire et de l’actualité, il est loin d’être le modèle unique et d’être le meilleur système. Entre les deux, la distinction peut être difficile, car d’une certaine manière la seconde, par la diffusion à grande échelle qu’elle promeut, permet à la première d’exister, mise à part que la second tend à la pervertir par là même et à faire oublier certains de ses aspects à l’instar de la culture ouvrière.

Où se trouvent le fan-films ? Un peu entre les deux, car même s’ils finissent indéniablement par parler de la culture populaire, d’un imaginaire commun, ils tendent tout de même à procéder à une uniformisation de la société et des cultures, dangereuse pour la vie démocratique et certaines cultures populaires. D’autant plus que les fan-films sont toujours organisés pour rendre hommage aux œuvres d’origines et n’ont pour l’instant jamais eu de perspective critique sur les sagas en question et leur conception du monde, voire le sous-texte politique que certaines peuvent avoir, en privilégiant seulement une certaine forme de divertissement, ce qui n’engendre pas non plus d’innovation artistique et offre une éternelle répétition des mêmes schémas scénaristiques. Une problématique dont il nous faut prendre conscience, sans rejeter ces œuvres en blocs et cesser de les apprécier.


[1] Même si au vu des éléments du film c’est probablement les Predator.

[2] Je tire les informations suivantes de « Batman Dead End – Making Of », sur la chaîne de 72Christos72.

[3] Là encore, il faut bien se rendre compte qu’à l’époque c’était un rêve de nombreux amateurs des comics.

[4] « Harry Potter : un « fan film » sur le passé de Voldemort cartonne sur YouTube », L’Express, 16 janvier 2018.

[5] A l’instar de Spawn : the recall, un fan-film français sur l’univers du comics Spawn.

[6] Sur ce genre de mot d’ordre, il faut bien avouer que nous français nous sommes des champions.

Internationale : les 100 ans de la Commune de Paris en URSS

Bonjour chers lecteurs,

Pour une fois pas d’analyse particulière, j’ai simplement envie de vous faire connaître un court-métrage que j’ai découvert il y a de cela un an. Sobrement intitulé Internationale, il s’agit d’un film réalisé en URSS, de toute évidence pour les 100 ans de la Commune de Paris. Sur une période de 100 ans, le court-métrage résume l’histoire du mouvement ouvrier de la première révolution socialiste à la période du bloc de l’Est, notamment musicalement parlant. Ne parlant malheureusement pas le russe, je n’ai pas pu retrouver grand-chose sur le film (donc si jamais quelqu’un en commentaire peut m’en dire plus, je suis preneur).

Vous le remarquerez en le regardant (sous-titre en anglais), mais le film a la particularité de construire ses scènes en superposant ses images les unes à côtés des autres, ou en les incorporant à des schémas plus grands. Offrant des scènes magnifiques pour le spectateur. Comme quoi à l’époque il était possible de représenter de manière très poétique les combats du mouvement ouvrier international.

https://www.youtube.com/watch?v=BKq5UN9sjqU&list=PLRWR—5-SK9OKWUMQq3BQ8JXKIrUp71-&index=103

Baxter (2) : une lente déshumanisation

Le film va tracer le parcours de la vie de Baxter avec les humains, de sa première adoption à sa mort, où il apprend à connaitre peu à peu le monde et à affirmer ce qu’il recherche chez un humain. La structure narrative du film est découpée en 3 actes, correspondant pour chacun à trois maitres de Baxter.

Le premier acte est sur la vieille dame, première propriétaire du bull-terrier. Celle-ci a tout d’abord peur de Baxter, ce qui le rendra mal-à-l’aise. Il fera un effort pour se rendre plus appréciable auprès de la vieille dame mais cela n’améliorera pas sa situation, celle-ci s’enfonçant dans la sénilité et s’enfermant chez elle, coupant Baxter de son lieu privilégié le jardin. Le chien enrage aussi car elle ne lui donne aucune utilité concrète. C’est cette impossibilité du dialogue qui va amener à un destin tragique. Lorsqu’elle tentera de plonger Baxter dans son bain, cela fera ressurgir son passé traumatisant et le poussera à tuer sa propriétaire en la faisant tomber dans l’escalier.

Ses seconds propriétaires sont un couple voisin vu un peu plus tôt dans le film. Cette partie s’appelle « Les jours heureux ». Ce couple joue avec lui, lui donne un rôle à jouer. Ces moments où il se sent bien vont changer avec l’arrivée de l’enfant du couple qui accapare son attention au détriment de Baxter. Ce dernier n’ayant pas de structure familiale, il n’arrive pas à comprendre ce changement, ni pourquoi ils sont intéressés par un être aussi faible. Les liens seront définitivement rompus quand Baxter tentera de tuer l’enfant, celui-ci ayant été déçu par le couple et ces derniers ne lui faisant plus confiance.

Le troisième et dernier maitre de Baxter, l’humain qui lui ressemble, est un enfant qui s’appelle Charles. C’est celui avec lequel sa relation est la plus complexe et le seul autre personnage ayant droit à son propre développement avant Baxter, préparant à sa rencontre avec le bull-terrier. Une rencontre fatidique qui sera d’abord merveilleuse pour le canidé, l’enfant lui donnant des ordres et un rôle bien précis. Si Baxter trouve des similitudes entre eux, il existe un point de divergence, c’est que Charles est un sociopathe. Là où Baxter ne sort pas de son animalité malgré ses capacités cognitives, Charles régresse par rapport à la culture[1] et se montre dépourvu de sentiment, de plus attiré par le nazisme. Une des premières scènes du film le montre se faisant du mal volontairement et noter dans son cahier les émotions ressenties. Il ne ressent rien et cela s’aggravera au cours de l’histoire. C’est pour ça qu’un lien va se créer entre lui et Baxter, dans le sens où Charles perd les attributs de la culture pour revenir à la bestialité. Toutefois, leur différence est marquée lorsque Baxter refuse de tuer un gosse sous les ordres de Charles, car il n’en voit pas la nécessité. Charles de par sa fascination pour le bull-terrier, va tenter de devenir comme lui et de s’approprier ses souvenirs, devenant même le narrateur du film après la mort de Baxter. Un autre élément montrant sa psychopathie est sa relation avec la fille qu’il aime (et qui ressemble à Eva Braun).

Le film montre la complexité d’êtres différents sur plein de point-de-vue mais qui n’arrivent jamais à se comprendre totalement, chacun ayant ses propres désirs et que personne n’arrive à comprendre. Les rapports de domination sont assez présents, notamment dans la relation Baxter-Charles. Au moment où celle-ci se met en place, Baxter en est heureux car elle repose sur un schéma simple : Charles ordonne, Baxter exécute. Là où auparavant il se demandait son utilité, avec son nouveau maitre il n’a plus à réfléchir mais seulement à obéir, ce qui lui provoque un certain plaisir. Cela démontre un rapport de soumission à la force et la brutalité plutôt qu’à l’amour et aux sentiments. Ce qui par ailleurs jette une parallèle avec l’aspect antisocial et inhumain du nazisme, idéologie que Charles adore.

La perte des sentiments, l’indifférence et la quête d’amour sont les principaux objets du film, que ce soit de la vieille dame, de l’institutrice, de Charles et même de Baxter. A l’instar de cette scène où l’institutrice, qui a une liaison avec le père de Charles, tente de définir l’amour mais maladroitement. Cela s’allie avec la question de la sexualité, plus ou moins refoulé ou étrange. Par exemple, la sexualisation de la jambe de la voisine par Baxter, l’absence de sexualité dans le couple de la vieille dame après la naissance de sa fille qui cherche un substitut en Baxter (elle l’appelle « mon petit homme »), la liaison de l’institutrice ou l’accouplement instinctif de Baxter et d’une chienne.

Cette indifférence générale pour ce que chacun pense est soulignée dans la scène du cimetière où le vieil homme du film vient rendre une dernière visite à la vieille dame, qui était son amie et dont il était le seul à se soucier. Le fantôme de celle-ci apparaît, avec un contraste par rapport à lui : elle en pleine lumière comme venant du paradis et lui dans l’ombre. Elle lui explique que lui qui est si dynamique, plus personne ne cherche à comprendre ce qu’il ressent à son âge, même pas son entourage, et qu’il faut laisser la place aux jeunes (dans le sens mourir) qui ne souhaitent pas apprendre des anciens. Cette perte des sentiments, notamment pour les anciens, engendrent des monstres comme Charles, qui retournent déjà à l’animalité et sont prêt à la barbarie la plus totale.

François Driancourt

La totalité du long-métrage amène à l’une des dernières scènes du film, celle de la mort de Baxter. Dans la décharge, Baxter attend Charles suite au meurtre de ses chiots. Alors qu’il a le dessus et qu’il est prêt à tuer l’enfant, celui-ci lui donne l’ordre qu’il a appris (« au pied ») et par instinct, sans pouvoir s’en empêcher, Baxter obéit à Charles, ce qui permet à ce dernier de le tabasser à mort et de le tuer. Outre que cette scène est glaçante, donnant un sentiment de malaise et d’injustice, elle est forte pour la dernière phrase de Baxter : « N’obéissez jamais ». Cela montre l’évolution du personnage, lui qui voulait seulement se soumettre pour ne pas réfléchir. C’est aussi une mise en garde, car Charles étant le résultat de la déshumanisation, l’idéologie de mort qu’il porte et son culte de l’obéissance peut mener aux pires horreurs, comme on en a un bref aperçu lors de ses dernières pensées. C’est une critique de l’obéissance aveugle sans conscience qui pourrait faire penser à une philosophie disons anarcho-individualiste.

Jérôme Boivin a eu un coup de cœur pour le roman dont est issu Baxter, alors qu’il travaillait à l’époque sur un polar plus banal. Il a travaillé sur le scénario avec Jacques Audiard. D’après le réalisateur, cela ne fut pas facile à financer. Il a cherché longtemps une voix pour Baxter, celle-ci devant être un peu mutante, avant de tomber idéalement sur Maxime Leroux, car il savait faire monter les instants dramatiques. Le film a été tourné en Belgique pour des raisons de budget.

Au niveau musical, il y a très peu de partitions dans le film, seulement pour bien marquer l’ambiance, souvent pesante[2]. Pour les images, la plupart des couleurs sont sombres et froides et reflètent les sentiments de Baxter, sauf dans certaines parties où celui-ci est heureux. C’est grâce au travail de la photo d’Yves Angelo qui isole au tout début la couleur dans un décorum plongé dans la grisaille[3].

L’accueil critique fut réservé à sa sortie, de même que commercialement. Le long-métrage a tout de même fait 148000 entrées et a été sélectionné à Avoriaz.

Baxter est un œuvre étrange et qui sied bien à son époque, à ce qui se faisait dans le cinéma de genre français dans les années 80. Il n’y a pas un public visé en particulier à part ceux qui aiment le mélange des genres et les expériences cinématographiques bizarre. Pour conclure, Baxter parle plus que de l’expérience d’un chien qui pense et réfléchit sur le monde des humains de son point-de-vue canin. C’est aussi une allégorie de la lente déshumanisation de la société où les êtres sont incapables de se comprendre et ne peuvent retrouver la paix qu’à travers la domination, amenant à imaginer des horreurs, comme Charles nous invite à le penser en toute fin de film.


[1] Contrairement aux aspects biologiques, les aspects culturels peuvent toujours être perdus !

[2] « What Makes Baxter Great – Baxter (1989) Vidéo Essay », Richard Simon, YouTube, 25/09/2020.

[3] « Baxter », Courte-focale, 16/09/2019.

Baxter (1) : entre nature et culture

La production de films de genre est-elle possible en France ? La question est posée à chaque fois par critiques et amateurs de cinéma à chaque sortie d’un nouveau film « de genre » en France. Les afficionados des dits films « de genre » espérant toujours son développement dans l’Hexagone. Cependant, pour diverses raisons qui seraient longue à aborder ici, cela ne se fait jamais et même si le film est encensé par la critique, il est rarement gagnant en nombre d’entrées spectateurs et n’entrainent pas d’autres productions à sa suite. Et la critique de découvrir à chaque sortie de nouveau films un film d’horreur ou de science-fiction français, alors que la France a un long passé cinématographique avec le « genre », comme nous avions pu le voir dans le cas de René Laloux.

D’abord définissons ce qu’est un film de genre. Selon notre bon ami Wikipédia, cela désigne un type de film rattaché à un genre cinématographique précis, qui est devenu surtout synonyme de cinéma de divertissement associé principalement au cinéma d’horreur, fantastique et de science-fiction. Bref, cela ressemble fortement à un concept fourre-tout, beaucoup utilisé pour marquer la distinction avec des films plus – ou qui se veulent tels- réfléchis. Il est même dans l’absolu assez peu intéressant, car certains films peuvent être « d’auteur » (autre concept fourre-tout) tout en utilisant des éléments fantastiques ou de science-fiction. Certains peuvent même mélanger plusieurs genres et rendre inclassable l’œuvre cinématographique en question. C’est ce dernier cas qui se rapproche du film dont nous allons parler aujourd’hui. Faisons donc comme-ci c’était un concept valable un instant.

Le cinéma français a déjà eu à travers son histoire de nombreux films surfant sur le genre à l’instar des films de George Mélies, en passant par Les portes de la nuit de Marcel Carné, Les Diaboliques de Clouzot, Fahrenheit 451 de Truffaut, Alphaville de Godard ou la filmographie de René Laloux. Dans les années 80, une série de cinéastes ont tentés de lancer plusieurs films de genre en France, en se basant un peu sur le modèle américain, du type René Manzor (Le Passage et 3615 code Père Noël) et Alain Robak (Baby blood). Dans cette période intervient Jérôme Boivin, réalisateur né en 1954, qui a développé un univers décalé dans quelques court-métrages et… seulement deux films ! En effet, faute de pouvoir produire ses films, la carrière de ce réalisateur, toujours en activité, c’est davantage concentré sur les téléfilms. Un trait malheureusement typique de ceux qui tentent de sortir des oeuvres de genre dans l’Hexagone[1], à l’instar de ce qui s’est passé pour la carrière d’Alain Robak. Les deux seuls long-métrages que nous avons de la part de Jérôme Boivin sont donc Baxter (1989) et Confession d’un barjo (1992). C’est le premier qui va nous intéresser.

Adapté d’un roman de Ken Greenhall nommé Des tueurs pas comme les autres, Baxter raconte l’histoire d’un bull-terrier du même nom, réfléchissant sur son existence et sur les humains qui l’entourent, notamment à travers les différents maitres peuplant sa vie.

Après un générique sombre montrant des chiens en cage dans une ambiance sonore oppressante, nous sommes présentés au personnage principal, Baxter, qui n’est rien d’autre qu’un chien. Nous entendons d’abord sa voix, sa silhouette étant dans l’ombre, mais au fur au mesure de son discours, la caméra se rapproche et la lumière éclaire son corps canin pour mieux le visualiser. Le film sera donc présenté de son point-de-vue et il parlera à la première personne, dans un langage qu’on pourrait dire olfactif ou descriptif, montrant que les propos ne sont pas tenus par un humain, et la relative naïveté dans la recherche d’explication dans celui qui utilise ces phrases. Son but sera de comprendre les humains et de se faire comprendre d’eux. La voix de Baxter est bizarre, monolithique, presque inquiétante, comme-ci c’était un être difforme qui parlait, un élément qui était voulu par le réalisateur[2]. Un aspect inquiétant renforcé par les gros plans sur les yeux de Baxter, visant à humaniser un bull-terrier !

Toute l’originalité de Baxter repose sur le fait qu’il soit… un chien qui pense ! En effet, même si on entend ses pensées, qu’il tente de comprendre le monde qui l’entoure avec ses propres mots, il reste un chien, davantage guidé par ses instincts et sa bestialité naturelle que par des réflexions intellectuelles poussées. Quand il dit dans le film qu’il ne connait « ni l’amour, ni la peur », cela ne signifie pas que Baxter est un psychopathe, mais que tout être pensant qu’il est, il reste un chien et ses pensées ne sortent pas de ce cadre. Nous verrons en quoi d’ailleurs cette précision le rend opposé à l’un de ses maitres, Charles.

Pour bien comprendre cela, faisons la distinction nature/culture. La nature est en quelque sorte ce qui nous fait appartenir de manière biologique et innée à une espèce déterminée. Les êtres vivants se développent en interagissant avec leur environnement. Toutefois, cela ne signifie pas que le développement amène à la culture, car dans la nature ce qui est donné au départ et ce qui est acquis dans un développement considéré comme normal de l’espèce est tout aussi naturel[3]. La culture consiste dans les comportements d’une espèce indépendamment de ses déterminants biologiques. Elle consiste surtout à user du travail pour construire ses moyens d’existence et ne plus seulement se contenter de trouver les choses, bref d’utiliser l’outil pour avoir ses moyens de production. Comme le disait Marx et Engels dans L’idéologie allemande :

« On peut distinguer les hommes des animaux par la conscience, par la religion, par ce qu’on voudra. Ils commencent eux-mêmes à se distinguer des animaux dès qu’ils commencent à produire eux-mêmes leurs moyens d’existence. »

Une fois ces comportements acquis et ces moyens de production construit, avec toutes les connaissances qui vont avec, ceux-ci peuvent être transmis aux générations suivantes par l’intermédiaire de la société dans laquelle vit l’individu et qui possède ses propres rites, même en ce qui concerne le fait d’assouvir un besoin naturel (par exemple manger). De tel sorte qu’on peut dire que la culture se caractérise par la possibilité d’un héritage de l’individu hors du domaine biologique. Chez les animaux il existe des actes dits protoculturels qu’on observe : ainsi les pinsons des Galapagos ont appris à se servir d’épines de cactus pour attraper des insectes, les macaques japonais apprennent aux générations suivantes le fait de laver les fruits ou encore la capacité de certains chimpanzés à utiliser des symboles abstraits pour communiquer[4]. Cependant, à la différence des autres espèces animales, l’espèce humaine a approfondi ces aspects protoculturels dans la culture. On peut seulement comparer les outils des animaux et un TGV créé par l’homme, les capacités d’abstraction des chimpanzés et celle d’un architecte, pour voir aisément la différence. Un développement d’autant plus facilité de par ses dispositions biologiques (il a des mains et se tient debout) qui lui ont permis d’évoluer et de créer des outils développés :

« En effet, étant donné l’organisation du corps humain (son anatomie), étant donné les liens entre l’homme et le milieu naturel, l’homme va être amené à produire, c’est-à-dire à faire apparaître par le biais de l’outil et du travail des objets (partiellement) artificiels (artificiels par leur forme, naturels par leur matière première). Il faut évidemment entendre par là des outils mais aussi tous les objets fabriqués servant à satisfaire les besoins. A partir de ce moment, le centre du développement humain ne va plus être seulement, ou principalement, le corps humain. »[5]

D’autre part, avec son développement la domination de l’état de nature chez l’homme se remplace peu à peu par la domination culturelle :

« De même chez certains animaux proches de l’homme des éléments du culture ou de préculture peuvent cohabiter avec l’ordre biologique, proprement animal, qui les domine et se subordonne en fonction de ses propres fins. Cette domination s’inverse progressivement chez les préhominens et tout l’enjeu de l’anthropogénèse est précisément de soumettre l’ordre naturel au nouvel ordre socio-culturel résultant du travail, du langage, de l’héritage et de la technique. Bref, chez l’homme l’ordre héréditaire de la biologie est globalement de plus en plus soumis à l’ordre social de la transmission culturelle. »[6]

Pour revenir à nos moutons, même si Baxter est un chien qui pense, développe ses réflexions et tente de comprendre le monde à sa manière, il ne sort jamais de son enfermement biologique et de ses bas instincts qui le rappellent toujours à l’ordre. Il ne comprend pas non plus ses propres déterminations comme pourrait le faire un être humain (par exemple il ne comprend pas pourquoi il couche avec la chienne alors qu’elle le dégoute) et a une capacité à conceptualiser assez pauvre. On peut distinguer l’individu qui fait partie d’une espèce biologique déterminée et la personne qui est un être socialement et historiquement déterminé. Et même si Baxter tend à devenir, surtout vers la fin, une personne à part entière, sa personnalité ne s’est pas développée à fond et reste dans l’état de nature. Reconnaissons-lui quelques traits culturels proéminents comme le besoin de règle socialement acceptée et d’une relation de réciprocité chez les êtres qui l’entourent.

A suivre.


[1] « [Baxter] Jérôme Boivin, 1989 », Chaos Reign, 09/09/2018., Romain Le Vern.

[2] « Interview Jérôme Boivin, Kuryakin, Terra Bianca, 2007, par Sébastien Auger.

[3] « Nature et culture », AC Grenoble.

[4] « L’homme, un pont entre deux mondes : nature et culture », Georges Chapoutier, Le Philosophoire, numéro 23, 2004.

[5] « Le concept de dialectique de la nature : un concept essentiel au matérialisme historique », Initiative communiste, Georges Gastaud.

[6] « Retour à la dialectique de la nature », Initiative communiste, Georges Gastaud.

La conquête du pouvoir par le prolétariat dans les trois premiers films d’Eisenstein

« Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maitre de jurande et compagnon, en un mot : oppresseurs et opprimés, se sont trouvés en constante opposition ; ils ont mené une lutte sans répit, tantôt cachée, tantôt ouverte, une guerre qui chaque fois finissait soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la ruine commune des classes en lutte. (…)

« Toutefois, notre époque – l’époque de la bourgeoisie – se distingue des autres par un trait particulier : elle a simplifié les antagonismes de classes. De plus en plus, la société se divise en deux grands camps ennemis, en deux grandes classes qui s’affrontent directement : la bourgeoisie et le prolétariat. »

Manifeste du Parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels.

On ne présente plus Sergueï Eisenstein, réalisateur soviétique de génie qui a révolutionné le cinéma avec ses films. Eisenstein qui a révolutionné les conceptions du montage[1] ; il a d’ailleurs théorisé 5 types de montages : métrique, rythmique, tonal, harmonique et intellectuel[2]. Nous savons tout cela car les travaux sur ces sujets sont nombreux ! Nous allons donc moins nous attarder sur le montage que sur un aspect moins étudié : la montée en puissance, non pas d’un personnage en particulier mais d’une classe sociale, le prolétariat, à travers les trois premiers films d’Eisenstein, c’est-à-dire La grève (1925), Le cuirassé Potemkine (1926) et Octobre (1927). Nous prévenons tout de suite : nous n’allons pas nous attarder sur les erreurs historiques du cinéaste, celles-ci étant connues de tous et ne sont pas l’objet du présent article.

Avant d’entrer dans le vif de sujet, il faut se mettre d’accord sur une notion : qu’est-ce qu’un prolétaire ?

Le prolétaire est celui qui ne possédant rien, n’a que sa force de travail à vendre. Producteur de la valeur économique – le travail étant la principale source de la valeur – le travail du prolétaire est accaparé par le capitaliste qui lui détient les moyens de production et récupère le fruit du travail de ses salariés. Volé serait aussi le bon mot, le prolétaire n’étant payé que la valeur de la reproduction de sa force de travail et pas de la totalité, car en travaillant il créé du surtravail transformé en profit par le détenteur des capitaux et récupéré pour sa pomme[3]. C’est cette description faite par Marx dans Le capital et par d’autres à la suite qui justifie la révolution pour abolir les classes sociales et arriver à une société harmonieuse, le communisme. Bien qu’on puisse avoir tendance à l’amalgamer, la notion de prolétaire ne se recoupe pas totalement derrière celle d’ouvrier[4]. En effet, les ouvriers d’usine sont considérés bien souvent comme l’avant-garde du prolétariat à cause de la grosse concentration de prolétaire en un endroit et la facilité à créer des interactions, donc l’union entre eux face au patronat. Toutefois, de par sa définition le prolétariat est plus large que l’ouvrier. On peut parler des marins exploités et maltraités dans Le cuirassé Potemkine, des « indépendants » du type chauffeur Uber ou encore des employés de la restauration.

Le prolétariat ne recouvre pas non plus entièrement la notion de peuple. Cette dernière notion est sensée désigner la majorité des citoyens d’un territoire donné en faisant abstraction de leur classe sociale. Utiliser la notion de peuple pour un parfait réactionnaire ou par un populiste de gauche républicaine parfaitement ignorant du marxisme n’est donc pas un problème, le « peuple » étant très extensible dans le vocable politique en fonction de l’idéologie de celui qui parle. Bien sûr, le prolétariat étant amené dans la plupart des pays capitalistes à représenter la majorité de la population, il arrive très souvent chez les personnes se réclamant du socialisme, dont Eisenstein fait partie, d’utiliser « peuple » et « prolétariat » de manière équivalente.

Eisenstein voulait avec ces trois premiers films amener le peuple vers le socialisme. Il faut savoir d’ailleurs que son premier film devait être le début pour une série de films intitulée Vers la dictature du prolétariat. Eisenstein a commencé sa carrière au théâtre du Proletkult (dont sont issu les acteurs de son premier long-métrage). Il s’agit d’un courant artistique né en 1917 qui voulait fournir la fondation d’un véritable art prolétarien sans influence bourgeoise. Une conception assez peu dialectique et qui fit l’objet de sévère critique de la part du Parti bolchévique[5]

Chacun des trois films débutent avec une citation de Lénine, à chaque fois en rapport avec l’intrigue. Dans le premier, c’est un extrait indiquant la nécessité pour le prolétariat d’être organisé ; pour le second c’est rappeler l’étincelle de la révolte des marins en 1905 ; le dernier pour parler de la révolution d’Octobre.

Le film La grève montre la première tentative du prolétariat russe de se rebeller contre la toute-puissance patronale. Le long-métrage décrit la grève des ouvriers d’une usine en 1912, suite au suicide d’un collègue accusé injustement d’un vol. La grève s’installant dans la durée et malgré une grande combativité, celle-ci se terminera par la faim, les traîtres en son sein, les provocations patronales et pour finir la répression barbare des armées du tsar.

L’effervescence du début de la grève est montrée par un montage rythmique commençant par le tabassage de l’un des contremaitres demandant qu’on reprenne le travail, puis lorsque les ouvriers ordonnent à ce que les machines s’arrêtent, ensuite courant entre les divers secteurs de l’usine pour demander à chacun de rejoindre la grève. Cette longue séquence se termine par une scène que je trouve très belle : celle d’une roue mécanique servant à faire fonctionner les machines, qui tourne, puis sur son image nous voyons apparaitre trois ouvriers d’âge différent, d’abord les bras le long du corps, puis les bras croisés. Au moment de croiser les bras, la machine s’arrête, puis disparait pour ne laisser que les trois ouvriers. Riche de sens, cette scène symbolise tout à la fois l’unité des ouvriers contre le capitalisme, la récupération de leur force face à la machine qui les broie et la preuve que sans leur force de travail celle-ci ne fonctionne pas.

Le sujet central du film est celui de l’organisation et du maintien de l’unité. Il faut remarquer que même si les personnages se pensent comme ouvrier en soi, leur conscience de classe est concrètement lacunaire, s’expliquant notamment par le fait que les militants (bolchéviques) sont peu nombreux. D’autre part ils doivent faire face à un réseau d’informateurs/ provocateurs au service du patronat beaucoup plus expérimentés qu’eux. C’est d’ailleurs l’occasion d’évoquer un thème du film présent avec les informateurs : celui du lumpenproletariat[6]. Il s’agit du prolétariat déclassé qui s’adonne aux crimes et dont les membres, s’ils peuvent être entrainé dans le cadre d’une révolution vers les autres prolétaires, sont surtout des alliés du patronat ou des forces réactionnaires, voire fasciste, pour réprimer le prolétariat révolutionnaire. Dans le film, cela se traduit par des maîtres chanteurs ou des provocateurs mettant le feu à une maison. Ce statut du « prolétariat en haillons » peut être oublié encore de nos jours par certains à gauche, mais il est bien nécessaire de rappeler que les mafias et autres banditismes ne peuvent pas servir en tant que tel la cause du prolétariat et que dans la mesure du possible il nous faut lutter contre ces activités.

Suite au massacre en fin de long-métrage, le film demande à ce que le prolétariat se souvienne de ses martyrs et rendent honneur à leur mémoire. Les héros de la classe ouvrière doivent l’inspirer mais aussi, en creux, doit lui faire apprendre de leurs erreurs. Cette leçon sera en partie comprise lors du second film, Le cuirassé Potemkine.

L‘histoire du Cuirassé raconte la révolte des marins du cuirassé Potemkine pendant l’année révolutionnaire 1905 en Russie, face aux mauvais traitements des gradés et à une nourriture avariée. Durant le soulèvement, le marin ayant appelé à se rebeller est traitreusement abattu par le capitaine du bateau. Son corps sera déposé de manière quasi-religieuse sur le port d’Odessa, avec un écriteau expliquant les évènements ayant entrainé sa mort. Son exemple vivifiera la foule qui choisira de se révolter et de suivre l’exemple du Potemkine. Malheureusement, la foule d’Odessa sera ostensiblement massacrée par l’armée tsariste, avant que les marins ne répliquent.

Ce film qui part sur des évènements réels mais romancés, nous montre toujours des scènes de révoltes contestant l’autorité (tsariste et religieuse en l’occurrence), mais l’unité est plus ferme et se fait entre plusieurs couches du prolétariat, comme le montre la scène du marin assassiné donnant l’étincelle aux gens d’Odessa pour se rebeller. Une unité que ne viendra pas briser les haines irrationnelles : un homme scandant « morts aux juifs » dans la foule se faisant taper dessus pour son antisémitisme.

Les insurgés d’Odessa se font attaquer par surprise par l’armée du tsar dans la fameuse scène de l’escalier. Les cosaques arrivent de par dessous la statue du tsar, pour bien représenter qu’ils agissent en son nom d’oppresseur. Un mouvement de panique se créé et plusieurs personnes tombent touchés par les balles des soldats. Malgré les tentatives, il est impossible de parler aux soldats du tsar qui tuent même les enfants. Avec la fameuse scène du landau qui tombe des escaliers, Eisenstein montre la vie qui s’en va devant l’horreur de la scène, renforcé par les gros plans sur le visage des victimes de la répression dont l’humanité ressort. Seulement, cette fois les marins répliquent face à l’abominable et bombardent l’opéra d’Odessa. Le montage se veut intellectuel, les explosions faisant référence à la colère du prolétariat qui s’exprime et les statues de lions qui apparaissent représentant les soldats du tsar et la réaction. Contrairement au premier film, l’histoire se termine par une semi-victoire lorsque les croiseurs laissent passer le Potemkine sans combattre, les équipages de ces vaisseaux s’étant rebellés et ayant rejoint la révolution.

Nous en arrivons donc à la troisième tentative, celle du film Octobre. Bien entendu le long-métrage raconte les journées révolutionnaires menant à la prise du palais d’hiver le 25 et 26 octobre 1917, amenant l’avènement du premier Etat socialiste au monde.

Contrairement aux deux premiers opus, le prolétariat russe est beaucoup plus conscient de lui-même : il ne se laisse plus embobiner, réprimer ou séparer impunément, comme le démontre la scène où les menchéviques ralliés au gouvernement provisoire tentent durant l’assemblée du soviet de Pétrograd d’arrêter la révolution, avec des supplications comparées graphiquement à un joueur de violon, sans que cela n’arrête le prolétariat. A l’inverse, là où les ennemis de classe étaient unis lors des deux premiers films, ceux-ci ne le sont plus et sont particulièrement soumis aux contradictions de leur classe sociale.

D’autre part, ce qui change des fois précédentes, c’est la présence plus marquée d’un parti d’avant-garde du prolétariat : le parti bolchévique.

La forme parti relève d’une importance capitale pour les communistes (comme le souligne le fameux Manifeste du parti)[7]. Loin des partis auxquels nous sommes habitués en France, ayant un but purement électoral et à engranger des subventions, le parti communiste selon les textes de Marx et de Lénine, est un parti représentant une classe révolutionnaire, le prolétariat, capable d’organiser son action même spontanée, de représenter cette classe en tout lieu (travail comme parlement). Formateur théorique, il joue le rôle d’intellectuel collectif et permet de pousser à la conscientisation les travailleurs. Le parti permet de maintenir l’élan révolutionnaire et d’atteindre une transformation radicale de la société. Le Parti est là pour assurer qu’il n’y ait aucun retour en arrière : une scène remarquable du film est celle du rembobinage de la première séquence, montrant la destruction par le peuple révolutionnaire des ouvriers et des paysans de la statue du tsar Alexandre 3, au moment où les troupes de général Kornilov menacent de déferler pour renverser la révolution de février et remettre la famille royale. Face à cette perspective, ce sont les bolchéviques, certains emprisonnés suite aux manifestations de juillet 1917, qui seront le fer de lance de la lutte contre Kornilov, le chef du gouvernement provisoire Alexander Kerenski se montrant incapable de diriger celle-ci malgré ses rêves de grandeur. Bien entendu, pour permettre une meilleure identification – et parce que la référence est obligée- le Parti bolchévique s’incarne dans la figure de Lénine, dont on romance le retour en Russie, le peuple attendant avec impatience sa sortie de la gare pour l’écouter parler.

Tous les évènements du film amènent à la prise du pouvoir du prolétariat pendant les journées d’octobre 1917, présenté comme un soulèvement des masses prolétariennes contre la bourgeoisie. La prise du palais d’hiver fait penser par certains côtés à ce que fera en 1938 Jean Renoir dans son film La Marseillaise lors de la prise du château du roi par les insurgés. La scène finale montre les prolétaires de Saint-Pétersbourg heureux d’avoir pris le pouvoir et fait tomber le gouvernement de Kerenski, leur permettant de décréter enfin la paix et la terre aux paysans. Les horloges s’arrêtant partout dans le monde à cet instant et annonçant l’avènement du prolétariat. En toute fin, nous pourrions mettre un bémol sur la caricature outrancière de l’ennemi de classe. Celui-ci est souvent montré comme gros, incompétent, prétentieux, pas à la hauteur de la situation, malfaisant par nature, etc. Non loin de dire que certains traits ne se retrouvent pas chez quelques tristes sires, ni que l’incompétence avérée de Kerenski -celle-ci le fit détester à la fois par les travailleurs qui voyait bien les intérêts capitalistes derrière ses grandes phrases et par la droite réactionnaire qui le trouvait trop mou-, seulement que le trait est forcé pour donner au prolétariat un visage humain, ce qui se trouve à mille lieux des nobles dans le film La Marseillaise de Jean Renoir. Dans un but d’éduquer le prolétariat vers la révolution, sous-estimer l’ennemi serait une erreur et mieux connaître son point-de-vue et ses habitudes permet de l’abattre plus facilement.


[1] « Sergueï Eisenstein : le cinéma peut-il éduquer les masses », Cinéma et politique, 22/05/2020.

[2] « Il pose les bases du montage Eisenstein et ses théories », Lucas Morata, 15/06/2017.

[3] Voir la vidéo « Être communiste en 2021 » des JRCF. Si l’on veut aller plus en profondeur, bien entendu lire Le capital de Marx, mais aussi Travail salarié et capital du même auteur.

[4] Voir le fameux Manifeste, ou plus récemment un court texte du blog Réveil communiste « Qui sont, et où sont les prolétaires en 2021 ? ».

[5] Voir le texte « De la culture prolétarienne » de Lénine, 8 octobre 1920.

[6] Voir encore une fois le Manifeste du Parti Communiste.

[7] Voir aussi Que faire ? de Lénine (1902).

Les possibilités du dialogue ou de l’uniformisation et de l’humanisation

« Dans les vieux livres de sorcellerie, on dit que si on veut exorciser le démon ou le fantôme, il faut trouver son nom, le nommer. Je pense que c’est la méthode que j’utilise pour me débarrasser de mes angoisses. Dans les films je leur donne un nom. »

Jan Svankmajer est un cinéaste tchèque spécialisé dans l’animation né en 1934 à Pragues. Il est aussi graveur, sculpteur et céramistes, trois qualités l’aidant dans ses films. Etudiant à l’école des Arts appliqués de Pragues de 1950 à 1954, il y trouvera sa femme Eva et fera diverses rencontres l’amenant à intégrer le groupe des surréalistes de Tchécoslovaquie. C’est en 1964 avec son premier court-métrage, Le dernier truc de M. Schwarzwald et de M. Edgar, que débute sa longue carrière dans le cinéma d’animation mélangé avec de la prise de vue réelle, à mi-chemin entre ce que peut faire un Terry Gilliam et un Luis Bunel, toujours empreint des divers courants l’ayant touché, c’est-à-dire le surréalisme et le maniérisme.  Des œuvres marquantes dans sa carrière, nous pouvons citer les courts-métrages Jabberwocky[1], Down to the cellar ou Food, et dans les longs-métrages Alice ou Survivre à sa vie (Théorie et pratique)[2].

Celui qui va nous intéresser aujourd’hui, Les possibilités du dialogue, est un court-métrage de 12 minutes sorti en 1982. Acclamé par la critique, il reçoit le grand prix d’Annecy en 1983, puis l’Ours d’or du court-métrage à Berlin. C’est accessoirement l’un des courts-métrages préférés de Terry Gilliam. Outre d’être caractéristique de ce que sont les œuvres de Jan Svankmajer, le film donne à voir métaphoriquement les impasses de certaines relations humaines, ou en tout cas leur vision par le réalisateur. Le lien est en-dessous l’article, mais nous prévenons désormais le lecteur : le film est muet !

Le générique du film commence donc alors que l’on entend des personnes discutant en arrière-plan (les dialogues sont inaudibles), allant de plus en plus fort jusqu’à ce que cela devienne bruyant. Ce seront le seules « paroles » du film, qui se répartie en trois dialogues.

Le premier est le dialogue factuel, sous-entendant que ce qui va nous être représenté est l’incarnation de ce qui se passe à chaque dialogue avec autrui.

Nous voyons donc apparaître des êtres anthropomorphiques formés d’ustensiles du quotidien, de fruits, de légumes et de viandes. Les visages de ces êtres et leur côté cadavre exquis formé de tout un tas d’objet fait évidemment référence au peintre italien de la Renaissance Guiseppe Arcimboldo, connu pour ses portraits suggérés par des végétaux, animaux et objets, qui ont beaucoup inspiré les surréalistes et donc se retrouve dans les références du cinéaste tchèque dont nous parlons. A chaque rencontre entre ces êtres, ceux-ci échangent quelques paroles en se faisant face-à-face puis s’entredévorent, se mélangent[3], avant que le « vainqueur » ne recrache son adversaire, celui-ci perdant l’un de ses attributs. Au fur et à mesure des duels, les êtres recrachés commencent de plus en plus à s’humaniser et à être composé de manière plus homogène (la glaise en l’espèce). Ils deviennent même parfaitement identiques : à la fin du dialogue, le dernier des êtres se contente de recracher plusieurs fois à la suite ses doubles.

Dans la revue Sense of cinéma en 2001, Jan Svankmajer disait que les objets de son court-métrage mettaient en scène le processus civilisationnel de la différenciation à l’uniformité. Toutefois, si ce n’est clairement pas l’idée du réalisateur qui en donne un ton nettement plus négatif, nous pouvons penser à un processus d’humanisation démontré dans ce premier dialogue : une fois la rencontre avec l’autre, et par le langage me permettant d’exprimer mes sentiments et idées, je me transforme et perd certaines illusions ou attributs sauvages que je possédais, par cette voie je m’améliore et m’humanise, allant vers un même cadre unique dans lequel vive mes congénères. Ce qui selon moi pourrait être visible dans la lente amélioration par les « combats » successifs de ces êtres multiformes.

Le second dialogue s’appelle « dialogue passionné » et va représenter la vie de couple et ses désagréments. Nous voyons deux humains fait de glaise représentée à la manière grec dans le sens d’une perfection des courbes humaines, se faisant face, un homme et une femme. Quelques secondes plus tard ils s’embrassent et se mélangent, donnant lieu à une scène faisant référence à un rapport sexuel. Une fois la relation consommée, les deux figures reviennent à leur place d’origine dans leur intégralité… sauf un petit amas de glaise restant sur la table et souhaitant faire partie à nouveau de l’un des deux. La première des choses est de ne pas voir cette imperfection criante, puis de la rejeter, car au fond elle représente LEUR imperfection et un point trouble dans leur relation de couple, comme un défaut que l’on voit chez son partenaire (ou que l’on croit voir), que l’on essaierait d’oublier même s’il finit par nous sauter aux yeux. Le paroxysme de cette scène, c’est le moment où ils finissent par se renvoyer l’un l’autre cette boule, avant de s’entredétruire de manière dramatique. Là aussi, la vision du dialogue est très pessimiste dans le sens où même l’amour se finit en haine et ne protège pas de l’anéantissement.

Nous arrivons donc au dernier dialogue, le « dialogue approfondi ». Au vu de la scène, l’adjectif approfondi désigne un très long débat. La scène se commence sur un tiroir dont sort deux têtes identiques parfaitement humaine. Ils se font face et sortent de leur bouche des objets complémentaires : un crayon et un taille-crayon, du pain et du beurre à étaler, une chaussure et des lacets, etc. Cela signifie métaphoriquement un certain accord dans la discussion qui s’engage. On remarque d’ailleurs ici un motif récurrent de l’artiste : celui de la langue[4], mais parfaitement muette et n’aidant pas à la compréhension du personnage. Enfin, les deux têtes tournent sur elles-mêmes et continue l’association d’objets, mais ceux-ci ne sont plus du tout complémentaire (le beurre est tartiné sur la chaussure, le dentifrice est mis sur la tranche de pain, etc). Le rythme devient plus rapide et nous commençons à apercevoir des signes de fissures sur les visages. Il s’agit donc de représenter un débat qui s’éternise et dont les deux interlocuteurs sont en désaccord. Nous remarquons le travail sonore mettant l’accent sur la désagrégation de la discussion, mais aussi sur l’aspect matériel, animal de ces objets anthropomorphiques. A la fin, le dialogue fait la place à la joute verbale pure et simple, symbolisée par un fond sonore beaucoup plus rapide et violent, où les deux êtres sortent en même temps exactement les mêmes objets, signifiant sans doute qu’ils se renvoient chacun les mêmes arguments sans possibilité de pouvoir s’entendre. Le dialogue se termine par la destruction des têtes, essoufflées par le dialogue. Le film se conclut ainsi.

En 12 minutes, nous retrouvons tous les thèmes de prédilections de Jan Svankmajer, comme la langue, l’autodestruction et l’impossibilité du dialogue. Il n’est pas anodin d’ailleurs que chacun des « personnages » se fassent exactement face l’un à l’autre, l’autodestruction étant dans tous les cas engendrés par la relation avec l’autre, qui semble chercher plus ou moins à nous uniformiser, de manière involontaire ou non.

Après quelques recherches, je n’ai pas retrouvé en français de révélation sur la production du film, ni son budget ni la façon dont il a été tourné. La seule chose que j’ai pu trouver, et qui très largement répété au sujet de l’auteur, c’est que dans les années 70 à 80 la censure de la République populaire de Tchécoslovaquie, communiste, a mis des bâtons dans les roues à la création de Svankmajer, notamment en l’empêchant de développer certains scénarios.

Qui est le spectateur visé ? L’impression qui en ressort, et c’est sans doute là où le bât blesse, c’est qu’il n’y a aucun spectateur visé particulièrement par cette œuvre empreint de poésie et démontrant un talent certain pour l’animation, comme-ci elle n’appartenait qu’à son auteur et compréhensible que de lui ou des artistes partageant son univers. Cette œuvre est bien en contradiction avec la volonté, plus ou moins respecté il faut l’admettre, par la pensée communiste de son époque privilégiant des œuvres formatrices pour le plus grand nombre, avec une éducation et des développements rationnels dans l’optique de représenter l’idéal communiste. Avec Svankmajer, nous sommes plutôt retranchés dans notre individualité avec nos angoisses, sans que notre moyen d’extérioriser celle-ci, la parole, soit accessible. Cela fait penser à ce que disait l’écrivain Roger Vailland à propos des surréalistes dans son livre Le surréalisme contre la révolution (1948) :  mouvement issu de la petite-bourgeoisie déclassée (même si le rapprochement n’est pas total de ce point de vue avec Svankmajer, force est de constater qu’il ne vient pas d’un milieu défavorisé), qui se met en marge volontairement d’une société qui ne semble plus lui apporter de sens – tout en permettant sa survie matérielle un temps- et qui pense que toute les notions, même d’amour, de vie et de mort sont devenus dérisoires, motivé par le scandale et tenté par la révolte mais sans jamais choisir totalement, se muant dès fois en pure irrationalisme. Le combat est avant tout intérieur, celui de la condition humaine, et laisse peu de place véritablement au collectif, vu majoritairement comme aliénant. Un thème qui, même présenté de manière aussi extravagante que par Jan Svankmajer, est un vieux thème usité par tout le monde, comme une sorte de fatalisme sur l’humanité en générale, ayant pour défaut de justifier un certain repli sur soi, sur ses angoisses, au lieu de les affronter et de chercher à changer les choses pour qu’elles cessent de nous angoisser. Bref, c’est une vieillerie !

C’est donc beaucoup plus une sorte d’individualisme prôné par le cinéaste, en opposition avec les autorités communistes et ce qui rend crédible le rapprochement de certains entre l’uniformisation dénoncé des Possibilités du dialogue et critique du communisme. Même si au demeurant, l’uniformisation est bien présente aussi dans le système capitaliste, par la marchandisation de la culture et la tendance à tendre vers un modèle hégémonique du pays dominant économiquement.

Le lien vers la vidéo :

https://www.youtube.com/watch?v=L-gGpWpra-g


[1] L’œuvre de Lewis Caroll est très présente chez Svankmajer, de même que celle d’Edgar Allan Poe.

[2] Les théories de Freud sont une source d’inspiration pour le cinéaste (voir la citation plus haut), parfaitement mise en exergue dans le long-métrage.

[3] Durant le mélange, les divers objets les composants se détruisent et s’entrechoquent, signifiant par leur rencontre la destruction d’une partie de ce qui faisait l’autre.

[4] Voir à ce sujet, « Les langues silencieuses de Jan Svankmajer », Etudes théatrales, Laurence Tuot., 2014.

La Marseillaise (3) : la production du film

Après avoir analysé le film, penchons-nous un peu sur la production de celui-ci. Tout d’abord, de qui provient l’idée du film ? Les avis divergent. En effet, l’un des collaborateurs du film, Jean-Paul Dreyfus, insinue qu’il s’agit de sa femme de l’époque, membre avec Jean Renoir de l’association Ciné-Liberté, qui aurait eu l’idée. Toutefois, d’autre sources tendent à faire penser que ce soit Renoir lui-même qui aurait présenté l’idée de la fiction lors d’une réunion du secrétariat de l’association en décembre 1936.

Jean Renoir (1894-1979) a un parcours plutôt atypique. Réalisateur français renommé de plusieurs films comme La règle du jeu, La chienne, La Grande illusion ou de French Cancan, il est déjà à l’époque l’un des réalisateurs de l’Hexagone les plus acclamés par la critique. Atypique, car si à l’époque du film il fut un compagnon de route du PCF, il eut longtemps une tendance anarchisante, mais en 1940 il proposa ses services au nouveau pouvoir vichyste (qui fut refusé), avant de quitter la France pour les Etats-Unis, pays pour lequel il garda une amitié profonde et la double nationalité. Il est clair sans plus de développement que ce qui caractérise Renoir n’est pas une cohérence politique sur le long terme et ce que nous pouvons aisément lui reprocher. Toutefois au moment de La Marseillaise, Renoir se laissait enivrer par l’élan donné par le Front populaire. Sans aucun doute, c’est sa relation amoureuse avec sa monteuse Marguerite Houllé, communiste, qui l’influença dans le choix de ses thèmes et de son compagnonnage de la période. Un compagnonnage avec le PCF l’amenant à tenir une chronique de cinéma dans le journal Ce soir tenu par les communistes et dont le contrôle politique allait à l’écrivain Louis Aragon. D’autre part il jouissait de l’appui de Jacques Duclos qui l’avait adoubé comme superviseur du film La vie est à nous. A noté que le Parti avait tout de même été déçu par les autres films de Renoir comme Le crime de monsieur Lange et Les bas-fonds dont les visions étaient assez peu conformes à la ligne prolétarienne du Parti. Avec La Marseillaise, Renoir souhaitait donner des gages au PCF[1].

Une entité qui va être importante dans la conception du film c’est la coopérative Ciné-Liberté, dont Jean Renoir était le président, qui entendait diffuser la culture cinématographique dans les milieux populaires, lutter contre la censure et lancer des créations cinématographiques[2]. Cette coopérative possède comme souvent dans les organisations gravitant autour du PCF une structure ouverte à toute personne engagée à gauche et un petit noyau dur d’adhérent qui contrôle le secrétariat. Fort de 12000 adhérents à l’automne 1936, Ciné-Liberté mobilise aussi les artistes et les cinéphiles sur des vastes projets du secteur. C’est dans le cadre de cette association que va se développer les principaux films de Renoir de cette époque, la coopérative permettant de réfléchir à plusieurs sur la conception d’une œuvre et de mutualiser les moyens de fabrication du film. En quelque sorte, l’association a servi pour La Marseillaise d’intellectuel collectif. Ce n’est donc pas anormal si la plupart des membres de Ciné-Liberté se retrouve au générique de cette œuvre.

Les membres de Ciné-Liberté font aussi partie de l’entourage de Renoir et permettent à celui-ci de garder une ligne politique à peu près claire. Outre sa monteuse de compagne, nous trouvons aussi le peintre décorateur Charles Chézeau et le directeur de la photographie Jacques Lemarre, tous les trois communistes. Nous retrouvons aussi au générique de La Marseillaise le communiste Jean-Paul Dreyfus (connu plus tard sous le nom de Le Chanois) au scénario, membre lui aussi de Ciné-Liberté, qui était aussi à l’époque le cinéaste attitré du PCF, militant discipliné et efficace qui avait beaucoup participé au succès de La vie est à nous par un intense travail de promotion. Il joue ici l’assurance du PCF de la ligne politique du film[3]. C’est Dreyfus et ses comparses qui s’occupent de la mobilisation documentaire pour le film, demandant entre autres les services du Centre d’études sur la Révolution française de la Sorbonne. Sans oublier la participation de l’équipe technique tous membre de la CGT[4]. La Marseillaise c’est donc aussi ça : la captation d’un projet collectif par la sensibilité individuelle d’un artiste se laissant submerger par son époque[5]. La production du film ressemble au film en lui-même, chaque individu apportant sa touche à un projet collectif.

Bien entendu, le film a été parrainé par les communistes, notamment à travers la publicité dans des revues comme Regards et Le travailleur du film, mais plus généralement la production du film a reçu le soutien de la majorité des représentants de la gauche, des personnalités comme Léon Blum et Léon Jouhaux y apportant leur appui. Afin de se faire financer, le film va recourir à divers moyens. Tout d’abord par un appel à souscription publique rencontrant un certain écho dans la presse de gauche et menant à la création d’une SARL La Marseillaise le 30 avril 1937[6]. La souscription n’ayant pas permis d’obtenir la totalité des financements, l’équipe du film fait appel à la société RAC qui venait de produire La grande illusion. La participation de la CGT est aussi à noter avec celle d’une association juive antifasciste américaine[7]. On a même parlé du financement occulte de la part du Komintern, même si cette partie-là n’a pas été prouvée. Nous voyons bien qu’à peu de chose près les financeurs de l’œuvre sont globalement à trouver du côté des organisations de gauches.

Le film a largement fait l’objet de coupures car son projet initial était titanesque. Initialement nous devions voir la fuite à Varenne du roi financé par les banquiers et au moins une référence aux massacres de septembre. Les personnages historiques de Robespierre et Brissot devaient apparaître, avec l’intervention de vedettes comme Jean Gabin et Maurice Chevalier. Il devait même y avoir des scènes quasi-documentaires expliquant les faits de l’époque comme l’actualité de 1930. Aussi des scènes plus marxistes où l’on voyait brûler les titres de propriété. A l’inverse le roi était moins développé dans le projet initial. En tout c’est presque 30 minutes de film qui furent enlevé. Au final, le film a coûté 18 millions de francs.

Quel est le spectateur visé par le film ? L’œuvre est totalement en adéquation avec la stratégie du Parti communiste français des années 30, celui du Front uni antifasciste. Le public visé se compose d’abord des travailleurs et des militants de gauche devant se sentir concernés par ses personnages de révolutionnaires. Ensuite, l’œuvre s’adresse aussi aux travailleurs croyants de basses conditions, afin de les appeler à se joindre à la lutte. On peut citer d’autres couches comme la petite-bourgeoisie de province et la droite patriotarde refusant de faire le jeu de l’étranger. Rappelons que nous sommes aussi à l’époque où les élites entonnent « plutôt Hitler que le Front populaire ». Le film est donc aussi éminemment politique dans le choix du spectateur. Il permet aussi de répondre aux gauchistes[8] en montrant que cette stratégie de front uni, par l’intermédiaire de la représentation des sections révolutionnaires parisiennes et provinciales, n’est nullement incompatible avec le rôle central des forces révolutionnaires organisées au sein de ce front, seules à même de pouvoir mener la lutte antifasciste, patriotique et in fine socialiste jusqu’au bout.

Lors de la première du film le 2 février 1938, celui-ci est mal accueilli et n’arriva pas à fonctionner auprès des spectateurs. En effet, le Front populaire touchait à sa fin, suite notamment à la non-intervention française en Espagne, à la « pause » des réformes par le gouvernement et à un ensemble de grèves. D’autre part, tout le monde sent la guerre montée et le fascisme se déchainer en Europe, bientôt laissé présager par les indignes accords de Munich. Le Front uni antifasciste s’effrite et La Marseillaise n’est plus dans le ton de son époque à sa sortie.

Nous nous contenterons pour finir par vous inviter à redécouvrir ce film magnifique, à la fois juste sur la Révolution française, mettant en exergue le peuple faisant l’histoire avant les grands personnages[9], et reflétant son époque à la perfection dans sa production et dans son contenu. Le tout servi par des acteurs excellents dans leurs rôles et une technique bien utilisée, La Marseillaise est un chef d’œuvre cinématographique injustement oublié. Enfin, pensons à son message de fraternité et de liberté, de paix et d’égalité, à l’heure où un vent mauvais souffle sur la France.


[1] L’écran rouge de Tangui Perron (livre collectif).

[2] Ce qui fut le cas, à l’instar de la trilogie syndicale commanditée par la CGT durant le Front populaire : Les métallos de Jacques Lemarre, Sur les routes d’acier de Boris Peskine et Les bâtisseurs de Jean Epstein.

[3] Voir sa rapide biographie dans L’écran rouge, page 122-123.

[4] Nous voyons apparaître au générique « Equipe technique et ouvrière (CGT) ».

[5] Il s’agit d’une paraphrase de L’écran rouge.

[6] Sur 6 actionnaires de la SARL, dont Jean Renoir, 4 sont communistes.

[7] « La Marseillaise de Renoir pour la CGT », L’Humanité, 20/05/2015. Ce n’est bien sûr de loin pas la seule contribution de la CGT au film ou au cinéma en général.

[8] Gauchiste dans le sens que lui en donne Lénine dans La maladie infantile du communisme, qui désigne les tendances de gauche du communisme qui refuse les compromissions et ayant une tendance à une pseudo-pureté idéologique. Le terme est régulièrement utilisé pour désigner les anarchistes et les trotskistes, ainsi que les maoïstes.

[9] Comme dans une moindre mesure le film Un peuple et son roi.

La Marseillaise (2) : le retour de la Nation révolutionnaire

Une première chose frappe dans le film si l’on compare d’autres œuvres sur la Révolution française, c’est le choix des personnages principaux : celui de personnages humbles, de la petite histoire, les membres du bataillon des Marseillais se rendant à Paris pour représenter la province et faire accepter la volonté de la Nation au roi (« monsieur veto »). Ce n’est pas pour rien que le sous-titre du film est « Chronique de quelques faits ayant contribué à la chute de la monarchie ». Ainsi, à l’exception de Louis 16 et de Marie-Antoinette, nous ne trouvons pas les grands noms de cette époque, quand bien même ceux-ci peuvent être cités comme Robespierre, Danton ou Marat, une scène étant réservée à la lecture de l’Ami du peuple. C’était un effet voulu du réalisateur qui trouvait qu’il y avait déjà beaucoup de films sur les grands hommes et qu’il était intéressant de faire l’histoire à partir de simples soldats. Des personnages rendus très humains car dans tout le film nous les voyons vivre, à travers la scène du bivouac ou en rendez-vous amoureux devant un spectacle d’ombre[1]. Cela permet aussi de donner un visage humain à ces révolutionnaires, loin de l’image du bolchévique avec le couteau entre les dents. Selon les propres mots du réalisateur :

« Ce public pourra constater que ces révolutionnaires sont de braves gens, fort bien tenus, disciplinés, sympathiques, de commerce agréable.

« On a envie de les fréquenter. On aimerait être de leurs amis. »[2]

Toutefois malgré cette simplicité voulue, les personnages sont aussi des archétypes. Par exemple Arnaud, le chef des Marseillais, représente le commissaire politique révolutionnaire dans sa forme idéale, concentré et réfléchi, toujours à vouloir d’abord convaincre son ennemi de se joindre à lui, sans se laisser ni corrompre ni s’emporter précipitamment en agissant en aventuriste. Baumier, son comparse, peut représenter le peuple en révolution, apprenant au fil de ses aventures, faisant taire certaines de ses hésitations, pour le rendre plus sûr de ses engagements. Javel, un autre de ses comparses, représente bien souvent le gauchiste, toujours a dénoncé la réaction quand il voit un représentant de l’Eglise, même si celui-ci apporte la paix au bataillon et sans faire attention aux conditions de vie concrètes des membres de l’Eglise.

Toujours dans cette optique de montrer le peuple, nous avons le droit à plusieurs scènes de foules (meeting à Marseille, prise du fort, entrée aux Tuileries, etc) où la caméra nous permet de faire ressortir de l’individualité dans chacune des séquences de groupe. Fort de 3000 figurants, tous membre de la CGT, il est probable que Renoir, en amoureux des acteurs qu’il était, eut donné des indications aux figurants, ce qui permet à chacun non pas de répéter la même chose mais dans chaque scène se comporter comme s’il s’agissait d’un évènement réel. Un exemple marquant : lors de l’assemblée populaire de la commune de Marseille, alors que la femme en tribune parle de son amant mort au combat, une personne se lève des sièges et dit connaître cette personne, juste avant que chacun lui ordonne de se rassoir, avec indignation, l’un des participants lui ordonnant même de se taire. C’est frappant de réalisme lorsqu’on fréquente un peu les assemblées générales diverses en France. Ce travail sur le groupe dont ressort l’individualité est particulièrement éloquent durant la dernière scène où pendant que les soldats marchent vers Valmy, la caméra et une lumière mettent en exergue un visage en particulier qui sort de la foule. Une technique permettant de rappeler le côté humain dans le groupe, l’individu s’insérant dans un groupe mais n’en perdant pas son individualité, le particulier rejoignant le général[3]. On pourrait aisément comparer ce que fait ici Renoir et la façon dont on tourne les foules sous le IIIème Reich contemporain du long-métrage, notamment chez Leni Rifenstal où au contraire les images servent à montrer la subordination totale de l’individu au groupe.

La Marseillaise se caractérise aussi par un certain humanisme, ayant une vocation pédagogique mettant en avant la fraternité, la générosité, la liberté et l’égalité. Une « humanité pleine et totale » selon le critique de cinéma Georges Sadoul[4]. Celle-ci se dévoile au travers de ses différents personnages y compris ceux des ennemis. En effet, les aristocrates ne sont jamais dévalorisés, ils ne sont jamais montrés comme des monstres sanguinaires ou comme particulièrement cupide, ils gardent toujours leur dignité d’homme. Un point qui n’est pas partagé dans tous les films progressistes, notamment si on pense à l’URSS et à Sergei Eisenstein, dont le Kerenski d’Octobre est tourné allègrement en ridicule[5], tandis que les prussiens d’Alexandre Nevski sont simplement des nazis. Au fond, leur raison d’agir « en mal » dans le film est toujours compréhensible et ne fait jamais l’objet d’un jugement moral :  il s’agit de leur intérêt de classe dominante qui voit ses privilèges et le système qui les faisait vivre disparaître inéluctablement. A ce propos un paysan du film dit fort justement qu’au fond il ne faut pas leur en vouloir, « c’est dans leur nature ». Une nature toutefois ne se rattachant pas un trait général déviant de l’humanité, mais à une classe sociale particulière, l’aristocratie, dans un système particulier, la monarchie française et sa répartition des serviteurs du roi en trois castes. Il n’y a pas ici de nature humaine malveillante, simplement des intérêts de classes divergents. Au moins deux scènes peuvent aider à bien représenter cet intérêt de classe : la scène de la justice féodale et celle des émigrés de Coblence. Dans le premier, un noble tente de juger un paysan ayant abattu l’un de ses pigeons alors qu’il dévorait sa récolte. Le noble justifie sa position, devant le bourgeois siégeant avec lui, qu’en défendant sa propriété nobiliaire il défend les droits féodaux, les lois du roi et tout le système qui va avec, car comme il le dit la loi du roi et les droits féodaux se soutiennent l’un l’autre dans leur ordre « naturel ». La seconde montre les émigrés de la noblesse en Allemagne, préférant se mettre derrière le bras protecteur des prussiens pour reprendre la France, même si c’est au prix de perdre une partie du territoire au profit de leur « allié », voire de se faire amis avec  des païens (la Monarchie française est catholique et les prussiens sont protestant). Les prussiens les nourrissent et c’est leur seul moyen de récupérer leur titre face au peuple français.

En faisant les recherches sur son film, Renoir serait tombé sur une citation disant que dans les révolutions « ce ne sont pas les révolutionnaires qui gagnent, ce sont les réactionnaires qui perdent »[6]. Cette citation va l’influencer dans l’écriture de toutes les scènes de Louis 16 (joué par son frère Pierre Renoir à la perfection). Perdre ayant le sens très concret ici de la perte du pouvoir royal, mais aussi dans le sens plus métaphorique de perte du sens des réalités et des rapports de force. La scène où le roi découvre le manifeste de Brunswick[7] peut en être un bon exemple. Tout d’abord choqué par la tournure du manifeste menaçant en son nom de terribles représailles le peuple de Paris, dont il pressent que la prose peut lui être défavorable. Demandant l’avis de ses ministres, ceux-ci sont partagés, certains étant partisans de sa divulgation à l’Assemblée afin que le manifeste soit diffusé et que les meilleurs des serviteurs (français) du roi viennent à sa rescousse, d’autres s’interrogeant sur la fin probable de la monarchie. Cela tourne au ridicule quand la reine Marie-Antoinette, agacée de la situation de la monarchie constitutionnelle, demande à ce qu’on publie le manifeste afin de pouvoir en finir vite avec cette révolution et d’éliminer les principaux meneurs de celle-ci. A ce moment le roi dit que ce qui au fond le dérange le plus, c’est qu’il serait obligé en cas de victoire de la Prusse d’inviter le frère de la reine (le roi d’Autriche) à la chasse, alors qu’il est bien mauvais chasseur… ce qui attriste suffisamment la reine pour que le roi afin de se faire pardonner demande la publication du manifeste ! Cette coupure de la réalité de la part du roi se voit par son habitude de manger à chaque évènements graves : lors de la Révolution au tout début du film, puis lors de la prise des Tuileries. Même chose avec la scène des émigrés de Coblence, la discussion très grave du comte de Saint-Laurent avec un autre émigré sur la question de la nation est interrompue par d’autres nobles au sujet « d’une question de haute importance », la façon de pratiquer une danse à Versailles ! Au demeurant, ce genre de déconnexion des classes dirigeante est réaliste et proche des faits dans chaque révolution dans le monde[8].

Chose intéressante, à de nombreuses reprises les révolutionnaires tentent d’abord de convaincre par leurs arguments avant de se battre. Une chose que l’on voit lors de la scène de bataille sur les Champs-Elysées, beaucoup inspiré des films de cape et d’épée très en vogue, entre le bataillon des Marseillais et les aristocrates, le personnage d’Arnaud s’arrêtant pour demander à son adversaire aristocrate pourquoi ils se battaient alors qu’ils portent tous deux le costume de la garde nationale. Le film cherche à faire privilégier le dialogue et la conviction comme moyen de faire passer les idées avant toute confrontation violente. A noter que la plupart des personnages n’arrivent pas à convaincre seulement par des arguments, mais aussi par leur être, leurs idées s’incarnant très concrètement en leur personne. Nous pouvons le voir encore une fois avant l’attaque des Tuileries où l’Etat-major révolutionnaire insiste plus sur la discipline et sur la volonté de convaincre avant de tirer un coup de feu, tandis que l’Etat-major aristocrate gardant le Château prévoit déjà de faire usage de la violence contre les révolutionnaires.

Le film s’inscrit aussi parfaitement dans le cadre du Front populaire en en reprenant la force révolutionnaire de la notion de Nation. Comme nous l’avons dit dans la première partie, le PCF au moment du Front populaire a symboliquement réconcilié le drapeau français et le drapeau rouge, incluant donc la notion de Nation dans son sens révolutionnaire alors que le terme avait été dévalorisé suivant l’usage qu’en avait fait la classe dominante bourgeoise. La Nation est présente sur toutes les bouches et la mise en place de sa souveraineté est le fil rouge de l’œuvre cinématographique. Défini comme la réunion de tous les citoyens dans la même union de corps et de destiné, sans question de différence de classes, elle motive les révolutionnaires car elle met fin aux privilèges féodaux, mais enrage les aristocrates. Symbolique du passage de la souveraineté du roi à celle de la Nation, la première scène du film montrant le 14 juillet 1789 un garde royal surveillant les appartements du roi est répétée lors de la journée du 4 août 1792 avec la même tapisserie, mais où le garde royal est remplacé par un garde national et un simple milicien.

La Nation a été pensée par divers auteurs marxistes. On peut penser d’emblée à Joseph Staline qui a consacré un opuscule à cette question[9]. Elle est définie comme un résultat matériel de plusieurs années d’histoires, d’une langue partagée, d’une histoire partagée, d’intérêt économique partagé, etc. Il s’agit d’intérêt matériel, d’un territoire dans lequel le peuple vit et dont va dépendre sa survie et son avenir, celui-ci n’ayant bien souvent rien d’autre comme possession que la terre où il vit, face à certaines classes comme la bourgeoisie, possédant les moyens de productions un peu partout dans le monde. Le philosophe marxiste français Georges Politzer (fusillé au Mont Valérien le 23 mai 1942) disait dans son texte « Race, Nation, Peuple » :

«  En se dressant contre le peuple, contre la classe ouvrière on se dresse contre ceux qui assurent, en fait, et assureront, quoi qu’il arrive, la continuité et la liberté de la nation. La sincérité même du sentiment national doit avoir pour conséquence l’union avec le peuple. En se séparant du peuple, en se dressant contre lui, c’est de la nation qu’on se sépare et c’est contre elle qu’on se dresse, et il ne saurait y avoir de redressement national sans la classe ouvrière ou contre elle, mais seulement avec elle. Précisément parce que la nation est peuple, une politique vraiment nationale ne saurait avoir pour condition des mesures antisociales. C’est contre la nation elle-même qu’une politique antisociale est dirigée et c’est elle qu’une telle politique affaiblit. La contradiction n’est pas entre la justice sociale et la défense nationale, mais entre la défense nationale et la réaction sociale. On s’en aperçoit bien lorsqu’on constate comment les ennemis du peuple se liguent avec les ennemis de la nation. Aujourd’hui, plus que jamais, opposer la défense de la démocratie et la défense de la nation est suspect du point de vue même des intérêts de la France. On constate du reste que ce sont les hitlériens, ceux qui veulent affaiblir la France, qui sont en même temps les détracteurs les plus acharnés de la démocratie. (…)

« Pour la classe ouvrière, nation et humanité sont indissolublement unies. Cette union dans la conscience des travailleurs est le reflet de ce qu’ils sont eux-mêmes économiquement et socialement. La classe ouvrière n’exploite personne ; elle n’a pas de privilèges sociaux à perdre qui peuvent la mettre en contradiction avec la nation, avec le peuple, c’est-à-dire avec elle-même. Il n’y a pas dans son cœur, de bourgeois qui puisse, selon l’expression de M. de Kérillis, parler plus fort que le patriote. »

La Marseillaise comporte aussi de nombreux dialogues historiques véritables. Nous pensons immédiatement à la discussion de Louis 16 et La Rochefoucauld au début du long-métrage, où quand le roi lui demande si c’est une révolte, La Rochefoucauld répond « non, Sire, c’est une révolution ». Hormis ce célèbre dialogue, nous le retrouvons dans les discussions au sujet du chant de La Marseillaise que le bataillon a durant tout le film, s’interrogeant sur la signification des paroles et sur ce qu’elles veulent dire dans la Révolution.

Les fondus sont utilisés pour passer d’une scène à une autre sans coupure dans l’action, par exemple quand successivement Bomier part de la maison de sa mère afin de s’inscrire en tant que volontaire des Marseillais, nous le voyons dans la rue puis nous avons un fondu dans la salle d’enregistrement. Une scène après, nous passons de la discussion sur la Marseillaise à son chant au départ du bataillon pour Paris.

On peut noter aussi une surprenante critique du retour à la nature dans le film. Lors de la scène de la Montagne au début du long-métrage, Bomier annonce qu’il préfère rester à la montagne car il vit mieux que sous un toit, simplement en ayant de l’instinct. Toutefois, cela lui plairait de faire venir une femme. Arnaud lui fait alors remarquer que s’il décide de faire venir tout ce qui lui manque à la montagne, cela deviendra une ville et donc dans ce cas au lieu de s’enfermer dans la nature, il ferait mieux de retourner à Marseille pour chasser les aristocrates et profiter de ce qui a été construit par le travail de leur parent. C’est une critique du retour à la nature dans un sens marxiste. En effet, l’idéal bucolique vient souvent avec un reflux des espérances placées dans le changement politique -ici les deux personnages sont contraint à la montagne car ils sont poursuivi pour leurs actions patriotiques – visant à retrouver une sorte de pureté originelle[10],  complétement illusoire car l’homme a tellement transformé la nature par son action qu’il ne reste pas de territoire à peu de chose près purement originel dans le Monde, et parce que cela tend à renier la réalité sociale pour une abstraction alors que la première reviendra tôt ou tard dans la vie de l’individu comme le souligne Arnaud dans cette scène.

Enfin, la prise des Tuileries lors de la seconde Révolution du 10 août 1792. Le critique de cinéma Georges Sadoul qui compare la façon de filmer une scène de prise de château chez d’autres grands réalisateurs de la même époque (Griffith et Gance), remarque que chez Renoir on est davantage dans une certaine forme de réalisme et l’impression donné c’est d’être dans un vrai palais assiégé. Ne serait-ce qu’assez simplement par l’effet de désordre du château dans certaines scènes. Scène réaliste aussi lorsque Bomier essayant de convaincre un garde Suisse de se rendre et qu’alors qu’il explique sa vision une balle l’atteint, arrêtant sa vie et commençant réellement la bataille dans le château, de manière brusque comme dans une véritable insurrection. Cette scène est suivie d’un long plan fixe dans la cour du château, où l’on voit au ras du sol les gardes nationaux fuirent alors qu’on tire de partout, sans pouvoir apercevoir les tireurs (les tirs viennent des fenêtres qui ne sont pas à portée du spectateur dans la scène), avant que les gardes suisses n’apparaissent en poursuivant leurs adversaires. Enfin, la reprise du château par les révolutionnaires est démontrée par la succession de fondu montrant la rapidité de l’action et par extension la victoire des forces révolutionnaires. Comme le dit Georges Sadoul :

« L’absence de pathos, la simplicité voulue du ton, la haine des effets faciles, tout cela permet d’atteindre sans effort jusqu’au plus haut style. »

A suivre.


[1] Un spectacle animé par la réalisatrice de films d’animation allemande, Lotte Reiniger.

[2] « La Marseillaise » par Jean Renoir, Regards 1938.

[3] « Arnaud et Jean-Marie Larrieu à propos de La Marseillaise » de Jean Renoir », La Cinetek, 25/04/2019.

[4] « La Marseillaise, épopée populaire » par Georges Sadoul, 1938.

[5] Nous ne disons pas que le personnage – où les aristocrates de La Marseillaise– ne soit pas empreint d’un certain ridicule historique, mais ici il suffit de constater que le réalisateur force beaucoup le trait.

[6] Il le cite dans son interview visible dans « Jean Renoir on La Marseillaise (1938) ». Toutefois, nous n’avons pas pu retrouver l’origine de cette citation.

[7] Manifeste du 25 juillet 1792 du chef de l’armée prussienne Charles-Guillaume-Ferdinand de Brunswick adressé au peuple de Paris, menaçant rien de moins que d’un bain de sang les révolutionnaires, « sans espoir de pardon », et quiconque touchera à la famille royale.

[8] Rappelons que Lénine disait qu’une révolution advenait quand ceux d’en bas n’en pouvaient plus et ceux d’en haut ne pouvaient plus gouverner comme avant.

[9] Le Marxisme et la Question nationale, 1913.

[10] La Lutte des classes de Domenico Losurdo.

La Marseillaise (1) : le Front populaire au cinéma

« Le commerce cinématographique classe les films en deux catégories : les films modernes et les films historiques. Les films modernes sont ceux qui prétendent se passer de notre temps. Les films historiques sont ceux qui prétendent se passer avant. […] Quitte à me faire beaucoup d’ennemis je ne crois pas beaucoup à cette classification. […] Aussi, (je) propose une grande simplification, c’est de réduire ces deux catégories en une seule et déclarer que les films ne doivent être ni « historiques » ni « modernes », mais tout simplement actuels. »

Cette citation est issue du dossier de presse de La Marseillaise, film français sorti en 1938, et c’est son réalisateur Jean Renoir qui parle. Cette simplification énoncée, bien que partiale, s’applique très bien à son film, à la fois historique en décrivant des évènements de la Révolution française, et moderne car faisant référence à des évènements se déroulant durant la production du film et dont les thèmes même du film sont liés à l’actualité. L’œuvre provient des années 30 où l’Europe voit la montée du fascisme : en Allemagne et en Italie bien sûr, en Espagne où Franco vient d’organiser un coup d’Etat, mais aussi en France où diverses ligues fascistes se développent et réalisent des actions violentes contre les « salopards à la casquette » (les ouvriers). Ligues abondamment financées par le patronat français, l’Italie fasciste et l’Allemagne hitlérienne. Milices de l’extrême-droite rimant avec terrorisme, si l’on pense à la Cagoule sévissant à l’époque[1].

Dans les années 30, le Komintern (la Troisième Internationale) commence à abandonner sa précédente stratégie « classe contre classe »[2] pour celui du « front uni antifasciste » sous l’égide notamment des communistes français et du bulgare Georg Dimitrov[3]. Cette nouvelle stratégie fait prévaloir la défense de la démocratie formelle (bourgeoise) face au fascisme[4], en passant par une alliance large au sein de la société, notamment avec les petits-bourgeois. Il s’agit pour les communistes de mener cette alliance, de participer activement à sa mise en place et de pouvoir critiquer de l’intérieur tout atermoiement de la social-démocratie, en montrant que pour aller jusqu’au bout de la logique de front et de la défense de la démocratie, il faut passer par des réformes sociales dures et même à terme par une révolution. C’est aussi par là même un moyen d’amener la social-démocratie et les partis de gauche à avoir un discours révolutionnaire afin de faire concurrence[5] aux PC.

Le Parti Communiste Français va être à l’avant-garde de cette stratégie. Dès un discours du 26 juin 1934 du secrétaire national du Parti Maurice Thorez, le PCF va proposer cette alliance aux autres partis de gauche comme la SFIO et les radicaux. Cela mènera bien entendu à une manifestation unitaire antifasciste le 14 juillet 1935. Celle-ci portant tellement à l’unification et à la paix qu’elle se prolongera dans un programme formalisé mais ambiguë menant à la victoire électorale de mai 1936. Après ce succès, une grande grève des ouvriers permit d’obtenir plusieurs avancées majeures pour les classes populaires et le pays tout entier comme les congés payés de 15 jours, la réduction du temps de travail avec la semaine de 40 heures et l’établissement des conventions collectives. Durant cette période la CGT et la CGTU (à majorité communiste) se réunifient afin de faire un front commun des travailleurs. Nous avons donc mouvement populaire fort qui amène de l’espoir pour une partie non négligeable de la population, tout cela grâce à ce front à la fois antifasciste et progressiste.

Le Parti Communiste Français va opérer avec le Front populaire un retournement historique important pour l’avenir du mouvement ouvrier français. Ainsi lors de la manifestation du 14 juillet 1935, Jacques Duclos du PCF va dans son discours réconcilier les chants La Marseillaise et L’internationale, et par là même occasion le drapeau rouge des ouvriers et le drapeau tricolore, discours repris ensuite par Maurice Thorez et d’autres dirigeants communistes français. Cela peut sembler une petite chose mais elle a son importance : en effet, suite au massacre de la Commune de Paris en 1871 par les Versaillais sous l’égide du drapeau français, il était devenu commun en général dans les mouvements sociaux-démocrates (communistes) de dénoncer patriotisme et nationalisme[6] d’un même élan et, pour le cas spécifiquement français, de rejeter le drapeau français qui avait servi à tirer sur les ouvriers, de même que son chant La Marseillaise, pour lui préférer le drapeau rouge du sang de l’ouvrier et l’Internationale comme chant. Cette pratique qui avait des raisons historiques n’en a pas moins fait rejeter certains éléments, à l’instar de la Révolution française, comme appartenant purement à la classe bourgeoise. De par cette réconciliation opérée par Duclos, il ne s’agit pas de faire de la démagogie (cette stratégie de reprise des histoires nationales est encouragée par le Komintern pour ne pas la laisser au fascisme) mais de faire une reprise critique du concept de nation, en prenant soin de rejeter tous ses aspects réactionnaires.

Jacques Duclos

Le Front populaire c’est aussi une période de forte émulation cinématographique, y compris au niveau des organisations de gauche qui se mettent à l’instar de la CGT à financer des films, et plus généralement à tout un tas de cinéastes emportés par la liesse populaire comme un certain Jean Renoir qui réalise pas moins de quatre films pour l’année 1936[7].

C’est dans ces deux cadres de réconciliation populaire de l’histoire révolutionnaire française et du mouvement ouvrier, ainsi que de l’essor d’un cinéma progressiste, que va se produire le film dont nous allons parler aujourd’hui : La Marseillaise de Jean Renoir. Sorti en 1938, le long-métrage narre l’histoire d’un bataillon de révolutionnaire marseillais lors de la première Révolution française montant à Paris pour demander l’arrêt de la politique contre-révolutionnaire du roi et de la violence des aristocrates, dans la cadre d’une guerre de la Prusse et des aristocrates émigrés contre la France.

Le film se déroule du 14 juillet 1789 jusqu’au début de la bataille de Valmy le 20 septembre 1792. Sur trois ans le film tente de synthétiser plusieurs moments importants de la Révolution française menant tous à la destitution du roi, dont nous allons tenter de faire un bref résumé afin que le lecteur ne soit pas perdu lors de l’analyse du film. Après la Révolution du 14 juillet 1789, la France passe d’une monarchie de droit divin à une monarchie constitutionnelle, les révolutionnaires étant très inspirés par le modèle anglais. La hiérarchie en trois castes de fait de la société (nobles, religieux et tiers états) est abolie et les titres de propriétés féodales et leur lot de privilèges sont retirés. C’est le triomphe de la bourgeoisie révolutionnaire et la provocation chez le petit peuple d’un certain enthousiasme pour la Révolution et ses perspectives. A contrario, les nobles dépossédés réagissent violemment à ce nouveau pouvoir politique et commencent de plus en plus à vouloir le retour d’une monarchie française d’Ancien Régime, pouvoir qui garantissait leur droit en tant que classe. Plusieurs désertent la France et partent à l’étranger, notamment pour la Prusse afin d’avoir l’aide de ce puissant allié pour reprendre le pays. C’est la période de l’émigration. Le 20 et 21 juin 1791, le roi tente de s’échapper de Paris afin de lancer une contre-révolution, fuite qui échoue donc et écorne son image. Après une Assemblée constituante, une constitution est enfin adoptée le 3 septembre 1791 instaurant définitivement la monarchie constitutionnelle et donnant au roi, en tant que représentant de l’exécutif, un pouvoir de véto sur plusieurs lois. C’est par ce pouvoir de véto que le roi va s’opposer de manière systématique aux lois de l’Assemblée nationale, s’attirant la foudre des députés les plus patriotes et du peuple français. La Révolution française va déclarer le 20 avril 1792 la guerre aux monarchies d’Europe et se lance à l’attaque, cependant la guerre tourne vite en défaveur de la Révolution et les armées étrangères dont prussiennes commencent à rentrer en France. Plusieurs généraux de l’armée en profitent pour trahir et rejoindre l’ennemi afin de remettre le pouvoir total au roi. Face à cette situation de plus en plus chaotique et au comportement du roi, le peuple et certains révolutionnaires remettent en cause l’utilité du roi et l’idée d’une République se répend. Cela culminera lors de la montée de plusieurs bataillons de volontaires des régions à la capitale pour combattre l’ennemi, ces mêmes bataillons qui vont participer à la prise de Tuileries du 10 août 1792 où le roi sera déchu de ses droits et la République in fine proclamée. C’est à cette période qu’apparaît le chant de La Marseillaise écrit par Rouget de Lisle pour les armées du Rhin et qui sera repris par les bataillons de Marseillais en arrivant sur Paris, donnant son nom à notre hymne national.

A suivre.


[1] « La Cagoule, enquête sur une conspiration d’extrême droite », documentaire de William Karel, disponible sur la chaine YouTube de Gédéon Seguier.

[2] Stratégie d’affrontement entre le prolétariat et la bourgeoisie, passant par une dénonciation de la social-démocratie faisant le jeu du fascisme. Dans le cadre de cette stratégie, tout accord électoral avec les partis de gauche bourgeoise est suspect mais pas interdit. La théorie de cette stratégie fait prévaloir aussi une continuité entre le processus de fascisation et le fascisme, sans saut qualitatif.

[3] Voir le septième congrès de l’Internationale Communiste en 1935.

[4] Voir le discours « Fascisme et classe ouvrière » prononcé par Georg Dimitrov au septième congrès de l’IC précité.

[5] « Quelle stratégie : front populaire ou classe contre classe ? », conférence de Victor Sarkis, chaîne YouTube des JRCF, 26/07/2020.

[6] A noter que, tandis qu’en France suite au discours de Duclos c’est le terme de patriotisme qui est beaucoup plus mis en avant face au nationalisme, considéré comme étant du domaine du réactionnaire, le terme « nationaliste » est des fois repris dans un sens positif par des communistes de pays colonisés au cours du vingtième siècle. A ce sujet, voir la vidéo de la communiste vietnamienne Luna oi!, « Nationalism », sortie le 25 juin 2021.

[7] Le crime de monsieur Lange, Partie de campagne, La vie est à nous et Les Bas-fonds.

La planète sauvage : éloge de la connaissance

« Le monde n’a de sens que si on a le courage de le réinventer ».

Cette citation nous vient de René Laloux, cinéaste d’animation français spécialisé dans la science-fiction et grand humaniste. Elle personnifie bien son tout premier long-métrage La planète sauvage sorti en 1973, racontant la révolte des Oms contre l’oppression de géants bleus extraterrestre.

Pendant longtemps au cinéma deux genres furent sous-estimé, moqué et considéré comme bas de gamme, malgré une pléthore d’œuvres amenant petit à petit vers une certaine maturité : la science-fiction et le film d’animation. Le premier était souvent déconsidéré car vu comme un genre mineur, pour les rêveurs malgré les grands noms qui s’y sont essayés, et parce qu’à l’époque au cinéma les effets spéciaux n’étaient pas assez avancés pour donner autre chose que des films bis construits avec deux trois bricoles. Au sujet du second, avec le succès de Walt Disney, les films d’animations étaient davantage destinés aux enfants. En France, on atteignait son paroxysme de déconsidération pour les deux genres, malgré l’essor de la BD de SF dans les années 60 et 70[1], alors quand René Laloux décide de sortir en 1973 un film d’animation français, destiné aux adultes, de science-fiction et utilisant en plus une animation différente de celle des cartoons, c’était un pari risqué ! Ce pari fut donc La planète sauvage, deuxième film d’animation français après La bergère et le ramoneur de Paul Grimault dans les années 50, dessiné par l’artiste Roland Topor. Le film fut un petit succès en salle, en particulier aux Etats-Unis grâce à Roger Corman qui le diffusa sous le titre Fantastic Planet, et reçu de nombreux prix, comme le prix spécial du jury à Cannes en 1973[2] ou le prix Saint-Michel à Bruxelles en 1974.

Le film a influencé plusieurs cinéastes : le plus évident est bien sûr James Cameron dont les géants bleus d’Avatar (2009) sont inspirés des extraterrestres de Laloux. L’animation japonaise a aussi été très influencés par le long-métrage, à l’instar d’Hayao Miyazaki et de Katsuhiro Otomo.

Voilà l’histoire du film : les Draags, un peuple de géant bleu adepte de la méditation, possèdent une espèce appelée Oms récupérée sur une lointaine planète, dont les membres sont soit des animaux domestiques soit des nuisibles. L’un des Oms domestique, Terr, va par inadvertance apprendre des Draags et avoir accès à leur savoir, ce qui l’entrainera à se rebeller contre ses maitres.

Le film est tiré du roman Oms en série de Stefan Wul (1957), même si de nombreux éléments du roman ont été modifié dans le film, en premier lieu l’existence de la fameuse Planète sauvage et le nombre de personnages fut sensiblement réduit.

La première chose dont on doit parler dans le film c’est de la technique d’animation utilisée, assez peu banal : le papier découpé en phase[3]. C’est une technique qui permet aux animateurs de dessiner le décor et de faire bouger le personnage découpé en dessinant plusieurs phases de ses mouvements, afin d’assurer plus de fluidité que dans la technique du papier découpé articulé, qui est simplement un personnage que l’on fait bouger grâce à un fil[4]. Selon Laloux, c’est une idée du dessinateur tchèque Josef Kabrt de l’utiliser pour le film. Cette technique permettait de conserver la beauté graphique de l’univers de Topor tout en gardant une certaine animation fluide. Laloux détestait l’animation mainstream de Disney sur celluloïd qui selon lui ne permettait pas de conserver une animation riche et détaillée comme lui souhaitait le faire. Cependant le plus gros souci c’est qu’il s’agit d’une animation qui coûte cher à produire.

Le film est tourné du point-de-vue des Draags, dans le sens où le monde de La planète sauvage est vu de leur taille, ce qui permet d’accentuer le fait que l’Oms est tout petit dans un univers où il n’est qu’une fourmi à la merci de prédateurs géants.

La première scène du film montre justement une femme courir avec son bébé entre les bras dans un territoire étrange et semblant hostile. Le paysage ayant l’air beaucoup plus grand qu’elle nous somme installé dans le fait qu’elle est toute petite. S’ensuit la rencontre avec un doigt de géant bleu qui la pousse elle et son enfant, avant de lui mettre des obstacles sur sa route et de la tuer par inadvertance. Une fois la mise à mort effectuée l’image remonte et nous nous rendons compte que ses bourreaux… ne sont que des enfants Draags qui pensaient jouer avec elle.

Le rythme est lent et poétique, ce qui peut faire penser à une autre caractéristique des Draags : leur vie s’écoule moins vite que les Oms, une année de ces derniers correspondant à une semaine des Draags. Un peu comme l’être humain et ses animaux domestiques.

La narration du film est à la première personne, celui du personnage principal Terr, que Laloux caractérise comme un « imbécile stalinien »[5]. Le fait que celui-ci parle en voix-off permet de nous attacher à lui et de comprendre ce qui se passe, mais a le contre-coup de nous faire sortir de cette histoire merveilleuse. Selon le réalisateur c’est parce qu’à l’époque l’équipe du film avait peur que sans voix-off le spectateur ne comprenne pas ce qui se passe. Toutefois, cela nous permet aussi en ayant une sorte de distance avec l’histoire de mieux réfléchir sur le sens du film.

C’est donc Terr que nous allons suivre et qui sera notre personnage en rébellion contre le sort fait aux Oms, du fait de son apprentissage des Draags. Dans une scène où les Draags forcent leurs animaux à combattre, Terr préfère résister et faire le contraire des ordres de ses maitres. Celui-ci finira par fuir, constatant que les relations avec sa maitresse Tiva se sont dégradées, non sans récupérer avec lui les écouteurs des leçons Draags lui permettant de faire connaître le savoir aux autres Oms. En cela, la parallèle est facile avec le titan Prométhée connu dans la mythologie grec pour avoir volé le feu de la connaissance des dieux pour les hommes afin qu’ils puissent se défendre face aux autres espèces[6].

 Le savoir est une forme de pouvoir et c’est d’ailleurs ce qui va permettre aux Oms de vaincre. La progression est nette dans le film : d’abord en apprenant à lire le langage des géants bleus, les Oms arrivent à éviter les pièges et à récupérer leurs aliments, puis grâce aux outils récupérés ils arrivent successivement à abattre une créature ailé mangeuse d’Oms et un Draags, avant de construire une fusée pour la Planète sauvage où ils découvrent le secret des Draags et leur point faible, ce qui oblige ces derniers à collaborer pour assurer leur pérennité en tant qu’espèce. A noter que le savoir est aussi indiqué comme moyen pour créer un rapport de force dans la résolution de conflit, ici celui entre deux espèces. René Laloux expliquait volontiers que pour lui l’opposition se trouvait plus entre intelligence et abrutissant plus qu’entre bon et mauvais[7]. Il faut dire que le réalisateur croyait au progrès humain par les sciences. C’est d’ailleurs par stupidité que les Draags font subir des violences aux Oms : ils ne se rendent pas compte qu’il s’agit d’une espèce intelligente.

Un autre point du film c’est l’extraordinaire cruauté, en particulier ceux des Draags (et encore certains rites humains ne sont pas mieux) et de certaines des bestioles de la planète, comme cette étrange créature en cage s’amusant à piéger les « oiseaux » sans autre but que de les tuer par plaisir, ou cette scène du bébé qui sort de l’œuf aussitôt pour être mangé par une créature. Les géants bleus font subir à leurs Oms (excepté les domestiques) des violences assez atroces, comme en atteste les fréquentes désomisation visant à gazer les Oms. Cette dernière fait référence à la Shoah. L’attitude des Draags doit nous amener en tant que spectateur à réfléchir sur la façon dont nous traitons nos animaux de compagnies et en général chaque vie sur terre. Il y a un certain éloge de la paix à la fin du film, les Draags et les Oms ne pouvant pas s’entredétruire sont obligé de vivre en harmonie en tant que deux espèces intelligentes.

Le film marque une grande influence des surréalistes : Topor est un dessinateur très inspiré des surréalistes et les paysages du film font penser à des tableaux du peintre Salvador Dali. Certaines créatures ressemblent d’ailleurs à un cadavre exquis. La musique très psychédélique d’Alain Goraguer est là pour accentuer le caractère oppressif de l’œuvre, tandis que le musicien de jazz Jean Guerin a permis de créer un paysage sonore avec le bruit des diverses créatures peuplant la planète.

René Laloux est né le 13 juillet 1929 à Paris. Il découvre très tôt le dessin, le cinéma, la BD et le dessin animé. A 17 ans, il quitte sa famille et va vivre de divers métiers, montant quelques pièces et se découvrant même une passion pour les marionnettes avant de devoir brutalement arrêter. De 1956 à 1960, il sera moniteur au sein de la Clinique de La Borde à Cour Cheverny, clinique avec des nouveaux traitements plus humains des malades mentaux. Il montera divers projets artistiques avec les malades, dont le plus connu est le court-métrage Les dents du singe, scénarisé et dessiné par les patients eux-mêmes. C’est grâce à ce court-métrage qu’il fera la connaissance du dessinateur Roland Topor avec qui il réalisera le court-métrage Les Temps morts puis Les escargots. Ces deux films ayant été des succès, les producteurs les ont lancés vers la création d’un film, d’abord pensé comme une adaptation de Gargantua de Rabelais, avant que soit décidé le film que nous traitons aujourd’hui. Après 1973, René Laloux a pu tourner deux autres long-métrages dans les années 80, Les maitres du temps avec des dessins de Moebius et Gandahar avec les dessins de Philippe Caza.

Le scénario du film qui allait devenir La planète sauvage a été écrit en 3 semaines à la pointe de Belle-Île avec Topor, dans la maison de l’épouse du réalisateur Jacques Collombat. Topor et Laloux ont adapté une œuvre française de science-fiction pour au moins deux raisons : tout d’abord pour une question de facilité à obtenir les droits et parce qu’il est plus facile d’adapter un auteur français car ils partagent une culture commune.

Le film étant trop cher à produire en France, les producteurs ont décidé de délocaliser la création du film en Tchécoslovaquie, sachant qu’il s’agissait d’un haut-lieu de l’animation et qu’il venait juste d’être signé en 1967 un protocole d’accord de coproduction avec la France. Ils étaient d’abord en centre-ville, puis à cause d’un problème de métro, le studio fut déplacé à la périphérie de Prague[8]. L’un des gros points fort de Prague c’est d’avoir à disposition un banc-titre permettant de filmer image par image. En fait, le tournage dura six ans car Laloux a rencontré un problème de nature historique : le printemps de Prague de 1968 et le resserrement de la vis au niveau politique[9]. Suite à cela, la vie était désorganisée et les responsables administratifs et politiques tchèques ont menés la vie dure à Laloux, car il était le seul français sur le tournage, notamment en l’accusant d’anticommunisme afin de pouvoir récupérer la mainmise sur le film. Le tournage a même été stoppé pendant 6 mois parce que les tchèques voulaient arbitrairement changer les clauses du contrat, ce que refusait les producteurs français !

Malgré ses soucis avec les autorités tchèques, Laloux a pu compter sur les animateurs tchèques qui ont été conquis par le projet après la découverte des premières images du film. Il a pu aussi s’appuyer sur l’animateur tchèque Josef Kabrt qui a recopié les dessins de Topor, ce dernier n’étant pas sur place car refusant de passer plusieurs années de sa vie sur un long-métrage. D’après certains les relations de Laloux et de Kabrt n’ont pas été de tout repos[10], cependant le réalisateur reconnait volontiers son talent et son aide précieuse.

Malgré les gros soucis rencontrés en Tchécoslovaquie, arrangé en rien par le fait que Laloux ne savait pas parler le tchèque, il en garda tout de même une bonne expérience :

« Le jeu en valait la chandelle, même si ce fut réellement très pénible. (…), ce fut une expérience très excitante, artistiquement parlant. »[11] 

Au sujet du spectateur recherché, c’est René Laloux qui s’exprime le mieux là-dessus :

« Quand je fais un film, je cherche d’abord à me faire plaisir, sans viser de classe d’âge particulière. Quand nous avons débuté dans la profession, dans les années cinquante-soixante, nous étions un certain nombre de jeunes à vouloir rompre avec l’animation traditionnelle américaine destinée aux très jeunes enfants. Nous visions donc un public d’adultes que nous n’avons finalement pas tellement rencontré, sauf peut-être avec La Planète sauvage. Nous nous sommes rendus compte qu’il y avait un problème de public par rapport à l’imaginaire. Un enfant de cinq ou six ans dispose d’un extraordinaire appétit d’imaginaire. Curieusement, en devenant adulte, cet enfant va développer une certaine impuissance à gérer ses rapports à l’imaginaire. En fin de compte, pour moi, le public idéal de La Planète sauvage se situerait entre quatre et dix ans. (…) Quand je fais un film, je me dis qu’il faut surtout pas que le spectateur de quatre à dix ans regarde ce même film avec condescendance ou mépris en arrivant à l’âge de trente ans… Le malheur c’est que les adultes ont une conception fausse de l’enfance. Ils poussent les enfants à intégrer un monde aliéné et leur font perdre, ainsi, tout goût pour l’imaginaire. »[12]

En guise de conclusion, les tchèques ont été très réticent à sortir le film dans leur pays et il n’a d’ailleurs été diffusé que dans quelques salles du pays. En fait, ceux-ci ont eu peur après le printemps de Prague que les Draags représentent les soviétiques, ce qui n’était bien sûr pas l’objectif des créateurs du film ! C’est fort dommage et montre une pensée à courte vue, car au fond le message du film épouse assez bien leur idéologie, la philosophie marxiste et communiste en général puisant ses sources dans l’Humanisme et les Lumières. Le film fait l’éloge d’êtres intelligents sortant de leur obscurantisme par le savoir pour obtenir une société de « coopérateurs civilisés »[13], capable en s’unissant, comme le prolétariat contre le patronat décrit par Marx et Engels, de créer un rapport de force suffisant pour obtenir victoire. Les Draags peuvent être facilement assimilé aux capitalistes, même si la parallèle n’étant pas total, les capitalistes et les prolétaires étant de la même espèce contrairement aux Oms et aux Draags, mais la fin indique à peu de choses près le projet communiste : le rapport d’exploitation et d’oppression des Draags sur les Oms a disparu au profit d’une société harmonieuse.


[1] C’est tout de même l’époque de l’essor de Métal hurlant. « Les Chroniques de l’Animation – La Planète Sauvage », Coinkrand, 03/04/2017.

[2] Il s’agit du tout premier film d’animation à être primé à Cannes.

[3] « René Laloux à propos de La Planète Sauvage (7/15) », William Jones, 28/07/2018.

[4] Une technique utilisée pour son court-métrage Les escargots avec les dessins du même Topor.

[5] Selon lui c’est parce que Terr est monolithique comme personnage…

[6] La métaphore est bien entendu renforcée par la taille des Draags.

[7] « René Laloux – interview », Lacitebd, 07/01/2016.

[8] Studio qui sera nommé plus tard Studio Jiri Trnka, du nom du célèbre animateur tchèque.

[9] D’après André Valio-Cavaglione, producteur du film, le directeur de la cinématographie tchèque ayant donné son agrément pour le contrat de co-production a été arrêté suite au printemps de Prague.

[10] « La Planète sauvage / CPSM #21 », Eliot Mini, 06/03/2015.

[11] Les mondes fantastiques de René Laloux de Fabrice Blin, page 55.

[12] Les mondes fantastiques de René Laloux de Fabrice Blin, page 100.

[13] Une notion de Lénine caractérisant le communisme.