Après les monstres, nous allons nous tourner vers une autre figure incontournable du cinéma d’horreur : le fantôme.
Etape obligatoire, la définition : il s’agit d’un mort n’ayant pas trouvé le repos et qui apparaît dans le monde des vivants. Son enveloppe matérielle n’est pas montrée et il est rarement en état de putréfaction contrairement aux zombies. Très souvent transparent, le fantôme peut se déplacer dans l’espace-temps à sa guise. Le revenant est un proche ou un inconnu, il garde cet aspect étrange, cette singularité qui lui donne un air inquiétant. Il reflète notre propre mort qui doit venir un jour.
Le fantôme n’est pas toujours une menace ; il arrive très souvent qu’il soit amical ou positif pour les personnages, comme la jeune fille assassinée de Lovely Bones de Peter Jackson, le mari disparu qui souhaite régler ses dernières obligations sur Terre avant d’aller dans l’au-delà dans Vers l’autre rive de Kiyoshi Kurosawa, les fantômes de Poudlard ou ceux de Crimson Peaks de Guillermo Del Toro venant prévenir l’héroïne du danger. Dans le cinéma horrifique, ce sera surtout les spectres malveillants, ceux avec une bonne raison de s’en prendre au vivant.
Dans les histoires de fantôme, il y a toujours une idée de vengeance posthume contre un crime ou une injustice commise contre l’esprit durant son vivant. Dans le théâtre du kabuki, un théâtre japonais populaire, le fantôme d’Oiwa de la pièce Tôkaidô Yotsuya Kaidan est un célèbre exemple. Elle est l’épouse d’un samouraï ambitieux, Lemon, qui la défigurera puis l’assassinera afin de se remarier. Oiwa reviendra hanter son meurtrier et le poussera à assassiner sa nouvelle femme, avant que le samouraï ne soit tué par la sœur adoptive de son fantôme d’ex-femme. Oiwa fait figure de justicière d’outre-tombe pour les péchés non réparés. Autre figure du théâtre japonais, le fantôme de la Femme-chat, à mi-chemin entre esprit vengeur et vampire. Celle-ci représente les victimes d’un seigneur féodal. Dans l’adaptation de Nobuo Nakagawa, La maison du fantôme de la femme-chat (1958), celle-ci vient d’abord tuer la mère, puis le fils et enfin le seigneur qui a assassiné son enfant avant de la violer, mais aussi poursuit les descendants du serviteur du seigneur, car il a aidé ce dernier à maquiller l’homicide. Dans Poltergeist (1982) de Tobe Hooper, un promoteur immobilier sans scrupule fait construire des maisons pour classe moyenne au-dessus d’un cimetière sans en avoir fait partir les corps. Kayako Saeki, la célèbre figure de Ju-On, est lâchement assassinée par son mari jaloux en même temps que son fils et vient porter sa souffrance par-delà la mort. Seulement, contrairement aux précédentes figures citées, Kayako ne se limite pas à se venger de certains individus, mais vise l’Humanité elle-même comme responsable de ses malheurs.
Les innocents
Par sa fonction de résurgence d’un passé d’injustice, le fantôme peut permettre d’émettre une critique sociale. Hanako est au départ une légende urbaine apparue au Japon dans les années 70-80 au sein des écoles japonaises. Elle est dite habillée de rouge et fait mourir de peur lors de ses apparitions dans les toilettes. Son existence vient d’une rumeur, mais sa légende aura droit à des adaptations en BD, en série ou en film[1]. Son importance sociale est résumée dans l’ouvrage Fantômes du cinéma japonais de Stéphane du Mesnildot :
« Hanako est un monstre organique mais aussi un spectre social. Le collège est l’un des premiers lieux d’intégration pour l’enfant mais c’est aussi le théâtre de la triste pratique de l’ijme – l’exclusion et la persécution d’un enfant, parfois par une classe entière. Hanako, victime de l’ijme qui se serait suicidée, perpétue la tradition revancharde des spectres classiques comme Oiwa. Les toilettes sont par ailleurs un lieu d’eau insalubre que l’on peut rapprocher des étangs méphitiques des anciennes légendes. »
Dans Whispering Corridors (1998) du coréen Park Ki-hyeong, le système éducatif, cette fois hors du Japon, est à nouveau dénoncé. L’éducation basée sur la compétition, les brimades et les châtiments corporels est critiquée à travers un fantôme qui se déguise en lycéenne tous les 3 ans pour se venger des professeurs et des élèves tortionnaires.
Le spectre se loge souvent dans une demeure bien spécifique, dans bien des cas le lieu de sa mort. Dans la série Amityville, les esprits interviennent pour pousser la famille occupant la maison à bout. La maison du diable (1963) de Robert Wise montre le personnage d’Eleanor finir par hanter la maison dont elle tentait de s’échapper[2]. Ce thème de la demeure hantée est très ancien, nous en avions déjà parlé dans le cadre de la littérature gothique anglaise, notamment dans le roman fondateur Le château d’Otrante d’Horace Walpole. Dès fois le lieu hanté est plus indistinct. Dans Ring d’Hideo Nakata, Sadako hante la cassette maudite et les appareils électriques.
Se pose la question de l’origine du fantôme : vient-il d’un univers parallèle, ce qui entraine qu’une fois mort il n’y a plus lien possible avec les vivants, ou constitue-t-il une prolongation du vivant ? Selon ce dernier point de vue, le fantôme peut rapidement devenir le symbole d’un individu isolé ou dont la liberté est aliénée. Il devient alors une métaphore de notre vivant, du fait que nous agissons déjà de manière automatique, que nous sommes déjà morts. Dans le cinéma social japonais, il n’est pas rare de retrouver des individus réduits à être des fantômes de la société par une dépersonnalisation à outrance. Dans The Rebirth (2007) de Masashiro Kobayashi, où deux parents face au deuil sont laissés dans leur douleur sourde à répéter chaque jour les mêmes gestes. Dans Tokyo sonata (2008) de Kiyoshi Kurosawa, ce sont les hordes de chômeurs qui deviennent eux-mêmes des fantômes. L’incapacité à différencier entre humain et fantôme peut arriver, comme dans Kaïro de Kurosawa[3], de la famille dans Les autres (2001). En forçant le trait, car on peut le comprendre en creux sans que cela soit dit explicitement, c’est que c’est le capitalisme lui-même qui nous transforme en fantôme, à force de nous faire pratiquer un travail répétitif, de nous isoler économiquement et socialement les uns des autres, malgré des connexions plus simples en apparence, notre position de producteur consommateur ou de non-consommateur nous métamorphose en étranger à nous-même et aux autres, et nous devenons fantôme à notre tour.
Le fantôme a déjà connu des utilisations politiques. Dans A petal (1996) de Jang Sun-woo, il est question du massacre de Kwangju du 18 mai 1980, dans le cadre de la répression d’un soulèvement populaire contre la dictature au pouvoir en Corée du Sud, qui a ensuite imposé une chape de plomb sur cette histoire. Le fantôme est ici une victime de ce massacre qui vient rappeler l’horreur de ce qu’on a tenté de faire oublier. D’ailleurs l’héroïne était petite fille au moment du drame. Dans Carne de tu carne (1983) de Carlos Mayolo, ce sont les fantômes des ancêtres exploiteurs de deux jeunes bourgeois de Colombie qui les condamnent à se nourrir du peuple pour survivre. De façon moins ouvertement politique, on a dans Poltergeist la remise en cause de l’organisation familiale traditionnelle. Sans grande subtilité, entre le père lisant Reagan le soir, l’hymne américain utilisé comme générique (sous-entendu que le rêve se réalise au détriment d’autrui) et la mère qui éclipse totalement le père comme rôle central de la famille.
A la manière de la nouvelle Le Horla de Maupassant, le spectre permet de questionner la perception de la réalité. Dans Les innocents de Jack Clayton (1961), nous savons dès le début de l’intrigue que nous allons être dans le fantasme de la nourrice (elle avoue qu’elle ne peut « s’empêcher d’imaginer certaines choses »). C’est par des petits sous-entendus ou des expressions que la nourrice commencera à perdre pied, sans lui faire comprendre la réalité derrière l’étrangeté du comportement des enfants (le désamour familial de la part de leur oncle, le traumatisme d’avoir perdu deux figures parentales de substitution), et lui faire croire que deux fantômes vont prendre le corps des enfants. Cette obsession prend corps par des scènes de juxtaposition où nous la retrouvons couchée au lit tandis que les images des enfants défilent devant elle. La musique stridente vient renforcer le cauchemar qu’elle vit mais aussi nous fait comprendre qu’il s’agit justement d’un rêve éveillé. C’est par ailleurs son éducation rigoriste, que l’on devine en creux du long-métrage, qui la pousse à croire au démon et à refouler aussi ses pensées, en l’espèce le désir charnel. Jusqu’à devenir une plus grande menace que les soi-disant « fantômes ».
Carne de tu carne
Dans une certaine mesure, le cinéma progressiste à la possibilité de s’emparer de la figure du fantôme, en tant que représentant d’un passé qui refait surface. Si on voulait aller au bout de cette logique, le fantôme deviendrait le symbole de l’exploitation, de la traite négrière, de la colonisation, du massacre des pauvres, etc. On pourrait bien voir les fantômes de la Commune venir hanter les descendants des Versaillais ! Les décoloniaux qui tentent de faire ressurgir dans la mémoire collective les crimes bien réels de la colonisation pourraient réaliser ce genre d’expérience, avec par exemple les torturés de la guerre d’Algérie revenant hanter les membres de l’OAS, ou encore les morts de la Shoah envers les nazis ou leurs adeptes. En réalité, à cause de ce retour du refoulé, les questions sociales sont potentiellement même plus faciles à traiter dans le cadre d’un film de fantôme que dans le cadre d’un film sur un monstre. Attention, je ne dis pas qu’un film de fantôme a automatiquement une portée progressiste. Dès fois, le spectre sert à justifier les croyances en l’au-delà des personnages tandis que les rationalistes sont moqués. Il existe dans tous les cas un vrai terreau d’utilisation du spectre dans un point-de-vue social.
[1] Notamment Hanako-chan (1998) de Tsutsumi Yukihiko.
Nous partageons un article paru sur le site Investigaction, car il permet d’alimenter le débat sur la propagande de guerre au cinéma, qui n’est pas réservée aux pays en-dehors du bloc occidental, mais peut se retrouver même dans les grandes productions.
Le documentaire Theaters of War: How the Pentagon and the CIA took Hollywood (2022) est une illustration effrayante de la collaboration profonde entre l’industrie américaine du divertissement et l’appareil d’État américain. Il démontre comment Hollywood et d’autres segments de l’industrie glorifient la machine de guerre de plusieurs milliers de milliards de dollars, blanchissent ses interventions mondiales sanglantes et tentent de conditionner la population à des crimes encore plus grands.
Sorti au début de l’année et disponible sur certains services de streaming, dont Kanopy, ce film de 87 minutes est réalisé, monté et raconté par Roger Stahl, professeur d’études de communication à l’université de Géorgie.
Le film de Stahl, qui a récemment été projeté au Festival du film sur les droits de l’homme de Barcelone, n’a cependant pas reçu la publicité qu’il méritait. Ce n’est pas une surprise, mais cela va dans le sens des efforts déployés pour minimiser l’importance des augmentations gargantuesques du budget du Pentagone par l’administration Biden dans le cadre de ses opérations militaires contre la Russie en Ukraine et des préparatifs d’un conflit militaire avec la Chine. Tout ce qui fait référence avec précision ou même qui soulève des inquiétudes quant au bilan réel et aux conséquences catastrophiques du militarisme impérialiste américain est écarté et marginalisé.
Le documentaire de Stahl s’inspire largement de National Security Cinema: The Shocking New Evidence of Government Control in Hollywood écrit par Matthew Alford et Tom Secker et publié en 2017 (voir critique du WSWS) et des documents et courriels internes du Pentagone récemment obtenus.
Alford, Secker et d’autres universitaires, ainsi que le réalisateur Oliver Stone, deux vétérans de la guerre d’Irak et d’autres personnes sont interviewés dans le documentaire.
L’intervention de l’armée américaine dans la production de films hollywoodiens n’est évidemment pas un phénomène nouveau. En 1917, Washington a créé un comité d’information publique chargé de formuler des directives pour les médias et de promouvoir le soutien national à son entrée dans la Première Guerre mondiale.
L’industrie cinématographique a répondu en s’engageant à fournir «des diapositives, des bandes-annonces de films, des affiches… pour diffuser cette propagande si nécessaire à la mobilisation immédiate des grandes ressources du pays.»
Wings (1927, réalisé par William Wellman), le tout premier film récompensé par un Oscar, a reçu une aide cruciale de l’armée, ouvrant ainsi la voie à une augmentation spectaculaire de ce type de partenariat après l’entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale en 1941.
Si tout cela est généralement bien connu, peu d’Américains aujourd’hui sont conscients de l’expansion massive de cette collaboration depuis la Seconde Guerre mondiale et de la censure que le Pentagone et la CIA exercent sur la majeure partie de l’industrie du divertissement grand public. Comme l’explique Matthew Alford à Theaters of War, «le Pentagone fonctionne comme une machine de relations publiques savamment huilée qui fait de la publicité pour l’organisation la plus violente et la plus puissante de la planète.»
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les réalisateurs de films et les producteurs de télévision basés aux États-Unis qui souhaitent obtenir l’aide du ministère de la Défense (DoD) ou de la CIA – c’est-à-dire l’utilisation gratuite ou à prix réduit d’équipements et d’installations militaires, des conseils techniques et du personnel militaire en tant que figurants – ont dû se plier aux exigences de ces agences.
Les réalisateurs et les producteurs doivent être prêts à faire examiner leurs scénarios, puis à accepter tous les changements demandés. Les «accords d’assistance à la production» incluent le contrôle direct du sujet, de l’intrigue et du développement des personnages.
En fait, le bureau des médias de divertissement du ministère de la Défense dispose d’une longue liste de règles qui interdisent automatiquement toute aide militaire aux films décrivant des crimes de guerre, la torture, des attentats contre des officiers, les suicides d’anciens combattants, les agressions sexuelles et le racisme dans les forces armées.
Les interventions du Pentagone ne se limitent plus à l’industrie cinématographique, mais englobent les séries télévisées dramatiques, les émissions de cuisine, les compétitions d’endurance et autres programmes de «réalité», ainsi que les jeux vidéo et les médias sociaux.
Avant sa production, l’équipe du documentaire de Stahl a obtenu jusqu’à 30.000 pages de documents internes du DoD, de courriels et d’autres éléments, révélant que le Pentagone et la CIA ont exercé un contrôle éditorial direct sur plus de 2500 productions cinématographiques et télévisuelles, la plupart depuis 2001. La plupart des commentateurs pensaient auparavant que ces agences n’avaient été impliquées que dans quelques centaines de films.
Top Gun: Maverick
Theaters of War s’ouvre sur l’implication du Pentagone dans Top Gun: Maverick, qui a rapporté 1,48 milliard de dollars cette année, le film le plus rentable pour 2022.
Dans le prolongement de l’assistance militaire qu’ils ont fournie à Top Gun, son prédécesseur de 1986, les studios ont autorisé l’Entertainment Media Office du Pentagone à éditer et à modifier le scénario pour y ajouter des «points de discussion» clés. Le «Bureau» a également eu droit à une projection spéciale du résultat final avant sa sortie officielle.
Le documentaire retrace ensuite l’évolution des relations qu’Hollywood a entretenues après la Seconde Guerre mondiale avec le complexe militaro-industriel et les universitaires, tels que Lawrence H. Suid (Guts & Glory: The Making of the American Military Image in Film[2002]). Il examine également la manière dont la CIA a créé son propre bureau de médias de divertissement dans les années 1990, qui s’est rapidement développé pour présenter, conseiller et même écrire certains films pour les studios.
Oliver Stone [Photo: Theaters of War] [Photo: Theaters of War]
Oliver Stone raconte à Theaters of War ses tentatives infructueuses pour obtenir de l’aide pour Platoon, basé sur sa propre expérience de la guerre du Viêt Nam, et Born on the Fourth of July, sur le vétéran paralysé du Viêt Nam Ron Kovic. L’armée a catégoriquement rejeté les scénarios anti-guerre de Stone, affirmant cyniquement qu’ils étaient inexacts.
«Toute l’éthique de ce bureau [des médias de divertissement] au Pentagone est qu’il est censé fournir de l’exactitude aux cinéastes, mais il fait le contraire. Ils fournissent des inexactitudes et des mensonges», explique Stone. «Ils ne veulent que des films qui glorifient le soldat américain, glorifient notre patriotisme, la patrie et le nationalisme, [et] ce [genre] de bêtises. Ils fétichisent l’armée.»
Bien qu’il existe trop d’exemples de productions Hollywood/Pentagon-CIA pour les citer ici, Theaters of Warse concentre sur plusieurs films et producteurs de premier plan. Parmi eux, Jerry Bruckheimer (Pearl Harbor) et Michael Bay (Armageddon) et sa franchise Transformers.
Michael Bay sur le plateau de Transformers, Nouveau-Mexique, mai 2006
Theaters of War présente un clip de Bay, assis aux côtés de Phil Strub, qui a dirigé l’Entertainment Media Office pendant près de 30 ans, se vantant d’avoir «une ligne directe avec le Pentagone».
Le documentaire examine également certaines superproductions de plusieurs centaines de millions de dollars, tels que Godzillaet la franchise Iron Man de Marvel Comic, qui, à la suite d’interventions du Pentagone, ont inversé l’intention politique de leurs histoires originales et glorifient l’armée, présentant l’utilisation d’armes nucléaires comme une force du bien.
Comme l’explique Tanner Mirlees, de l’université Ontario Tech, dans le documentaire, la science-fiction et le fantastique offrent «un espace imaginaire fictif permettant de scénariser et de jouer les divers mélodrames de l’armée, sans jamais avoir à aborder les véritables motifs de la politique étrangère dans le monde d’aujourd’hui ou les conséquences pour ceux qui se battent en son nom et meurent dans son sillage».
Theaters of War démonte également The Long Road Home, (2017), une minisérie télévisée sur l’intervention militaire désastreuse de l’armée américaine dans la ville de Sadr City en Irak, au cours de laquelle 60 soldats américains ont été blessés et huit tués, début avril 2004.
La minisérie a été réalisée en étroite collaboration avec le Pentagone, qui a fourni Fort Hood, la plus grande base militaire des États-Unis, et son terrain d’entraînement à la guerre en milieu urbain, qui a été remodelé pour ressembler à Sadr City et utilisé pour le tournage de la production télévisée.
Deux anciens soldats américains, Duncan Koebrich et Travis Walker, qui ont participé à l’action, expliquent comment l’émission déforme de manière flagrante ce qui s’est passé, présentant à tort le lieutenant-colonel Gary Volesky comme un héros de première ligne. Ils dénoncent également l’émission pour avoir dénigré Tomas Young, l’un des nombreux blessés graves.
The Long Road Home[Photo: natgeotv.com] [Photo: natgeotv.com]
Young, qui est resté paralysé à vie après avoir été blessé, est devenu par la suite un vétéran déterminé de la lutte contre la guerre en Irak et un militant pacifiste. Casey Sheehan, le fils de 24 ans de la militante anti-guerre Cindy Sheehan, a été tué lors du même incident.
Theaters of War note que les États-Unis ont dépensé environ 8000 milliards de dollars pour bombarder 70 pays dans le monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et fait référence au nombre stupéfiant de morts et de souffrances indicibles. Selon le rapport, plus de 200.000 personnes sont mortes en Afghanistan et plus d’un million en Irak seulement, et environ 59 millions de personnes ont été faites réfugiées dans le monde.
Malgré le matériel puissant rassemblé dans Theaters of War, le documentaire se termine par un appel à la législation ou à une action en justice pour obliger Hollywood à placer un texte au début de chaque film ou émission de télévision indiquant au spectateur qu’il a été réalisé en collaboration avec le Pentagone ou la CIA. Un tel appel est totalement futile.
S’il est vrai que les spectateurs doivent être informés de l’identité de ceux qui ont réalisé ce qu’ils regardent, cela sous-estime sérieusement l’impérialisme américain et son complexe militaro-industriel, ainsi que la menace qu’il représente pour les droits démocratiques fondamentaux et l’existence de l’humanité tout entière. Malgré cette faiblesse cruciale, Theaters of War mérite d’être mis à la disposition du public partout dans le monde. Ses révélations constituent une condamnation dévastatrice d’Hollywood et des chefs de l’industrie du divertissement qui n’ont pas eu besoin d’être persuadés que des profits massifs pouvaient être réalisés en produisant de la propagande de guerre pour l’armée américaine.
Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre chaîne YouTube ? Je m’appelle Louis et sur ma chaîne Youtube, La Chimèrathèque, je parle de cinéma mais pas seulement. J’essaye d’appuyer mes propos sur mes lectures, en psycho, socio, narratologie etc.. Petit point sur le nom parce que souvent on le trouve compliqué : c’est simplement Chimère avec le suffixe thèque.
Dans quelques unes de vos vidéos vous critiquez Marvel et le cinéma grand spectacle. Vous vous en prenez au phénomène de l’identification, qui ne permet pas réellement une prise de conscience. Pouvez-vous en dire plus ? Je dirais que le marketing Marvel écrase ses possibilités artistiques. Ce n’est pas des films devant lesquels on s’ennuie, mais on est jamais surpris, lorsqu’on en a vu un, on les a tous vu. Chaque film, j’ai l’impression que c’est la publicité du prochain. Je trouve les films dévitalisés et la mise-en-scène plate. Dans le cinéma grand spectacle, il y a beaucoup de choses mieux réalisées. Ce n’est pas le cinéma qui m’attire le plus mais je n’ai rien contre. Et ce n’est pas une question non plus de scénario. Je préfère regarder The Raid ou un John Wick qui assume ne pas vouloir dire quelque chose mais juste proposer une expérience de cinéma. Il y a une très belle vidéo de Every frame is a painting qui parle de Marvel et qui est assez intéressante. Pour l’identification c’est une des théories de Bertold Brecht, qui lui oppose la distanciation. Très très résumé, il voulait que le spectateur soit conscient de ce qu’il regarde et donc briser le 4eme mur. Bien sûr une œuvre va nous toucher particulièrement lorsqu’on a vécu des choses similaires aux personnages mais il ne faut pas que ça soit une condition sine qua non pour apprécier une œuvre. C’est ce que vont faire beaucoup de films, marketer les personnages féminins pour les femmes par exemple, etc. Et puis ils vont quand même mettre un homme blanc cis genre, au cas où ! Par exemple Steve Trevor dans Wonder Woman ou le personnage de Martin Freeman dans Black Panther. Alors qu’ils ne sont pas nécessaires. C’est pour ça, je trouve, qu’il faut s’émanciper de vouloir à tout prix s’identifier parce que ça va finir par nous rendre moins souple d’esprit. Après c’est toujours plus nuancé que ça, ça a surement des effets positifs et c’est très bien. Peut-être qu’il faut passer par là, mais il faut se rappeler que le but est de vendre un produit. Le but d’un ou d’une cinéaste est aussi de nous transporter dans une expérience inédite. En tout cas c’est ce que je recherche dans un film. Je pense par exemple à EO qui est sortie récemment qui est hyper intéressant puisqu’on est dans la peau d’un âne quasiment tout le film. Ce film, c’est une preuve qu’on a pas besoin d’être proche physiquement, ni mentalement d’un personnage. Même si évidemment on projette des intentions humaines sur lui.
Avec des plateformes comme Netflix nous avons accès, au moins en apparence, à plus de contenu venant de divers pays et pas seulement americano-centré. Vous parlez de la culture de masse lors de votre dernière vidéo sur Avatar. Est-ce que ce genre de plateforme permet d’intégrer différentes cultures à la culture dite de masse ou au contraire elle l’uniformise ?
Je sais que Netflix pour ses propres productions a certaines demandes. Par exemple, ils ne veulent pas trop de plans larges parce que les spectateurs regardent le film sur le téléphone. Je pense simplement que Netflix est un symptôme. Il a accéléré ce qui existait déjà. Il y a vraiment des bonnes choses et diverses sur la plateforme mais c’est rarement mis en avant. C’est aussi un cercle vicieux parce que quand tu es réalisateur.rice peu importe ton origine si tu n’as vu que des films américains et bien c’est le cinéma que tu vas reproduire. C’est certain qu’un algorithme qui propose des choses selon nos goûts ça ne pousse pas à sortir de sa “zone de confort cinématographique”.
Vous êtes aussi l’auteur de quelques court-métrages. Est-ce facile de se faire financer et de diffuser un film ? Je ne suis pas le mieux placé pour répondre. J’ai fait avec une amie, Sophie Chaffaut, une série de vidéos pour tenter de répondre à la question. C’est sur nos deux chaînes et ça s’appelle Cinéastes Trip. En France on a la chance d’avoir un très bon système. Il y a beaucoup d’aides des régions, beaucoup de concours, d’appels à projet. Et le CNC est vraiment bien. Ce n’est pas facile non, mais c’est possible. Aussi, il faut savoir qu’il n’y a que peu de marché pour les court-métrages, c’est fait pour mettre en avant des réalisateur.rices mais c’est un milieu non rentable.
Même question ou presque sur votre travail de poésie. Est-ce facile à publier ? Est-ce que cela touche un large public ? Pareil, je ne suis pas un expert. Mais je dirais que non. Encore moins que pour les films. Quand je regardais pour des maisons d’édition en 2020, il y avait souvent sur les sites marqués “nous ne recevons plus de manuscrit jusque 2023”. J’ai donc fait une autoédition. Je pense que le chemin classique c’est de passer par des revues de poésie.
En guise de conclusion, je vous invite à découvrir trois vidéos de sa chaîne !
Pour la nouvelle année, je me suis décidé à faire un petit résumé des films sortis en 2022 et que j’ai préféré. Bien entendu, c’est seulement ceux que j’ai eu l’occasion de voir, donc si on ne trouve pas tel ou tel film qui aurait mérité sa place, il est possible que je ne l’ai simplement pas vu. Bref, donc voici mes 6 films préférés de l’année 2022.
Arthur Rambo
Un jeune écrivain, Karim D., venant des quartiers populaires, se retrouve en l’espace de quelques heures d’idôle du tout Paris bourgeois à paria, à cause de ses tweets sous un faux compte, Arthur Rambo, faisant la part belle à l’apologie du terrorisme, l’antisémitisme et le machisme. Commence alors une brusque descente sociale.
Le film est réalisé par Laurent Cantet, dont la filmographie est assez riche mais est surtout marquée par la Palme d’or de 2008 pour son film Entre les murs. Le rôle principal est dévolu à Rabah Nait Oufella, que vous avez sans doute déjà vu dans Grave de Julia Ducournau. Le long-métrage est basé sur l’affaire Mehdi Meklat, ce jeune écrivain des cités, qui en 2017, alors qu’il était au sommet de sa gloire et adoubé par la gauche, subit les foudres car sous le pseudo Twitter Marcelin Deschamps il rédigeait des tweets dangereux, sous prétexte de construire un personnage fictif.
La première chose que j’ai appréciée, c’est l’usage des tweets à l’écran (injurieux comme élogieux), venant brusquer le spectateur, notamment lorsqu’un tweet à caractère raciste vient apparaître et casser une ambiance festive. Cela provoque une distance entre les évènements et le spectateur, pour mieux appréhender ce qui se passe.
Karim D. est un jeune écrivain, mais c’est surtout un transfuge de classe. La thèse de Laurent Cantet c’est que là où une certaine forme d’anticonformisme et une marge d’erreur peuvent être permises à des bourgeois, ici rien n’est pardonné à ce jeune romancier qui ne vient pas de ce milieu. Son parcours ira dans le sens inverse de sa réussite : commençant au sommet dans les quartiers bobos de Paris, il finira par retourner dans sa cité de Bagnolet, et il troquera au passage le costard pour le jogging.
Autre point fort du film, il n’y a jamais de jugement moral sur le personnage. A chacun de se faire son idée. On voit par contre la réaction de ses tweets sur les gens, notamment celle de son jeune frère, qui les a pris pour argent comptant, au grand désarroi de Karim D. Bien entendu, le film critique les réseaux sociaux, en particulier cet enfer de la stupidité qu’est Twitter, où les avis idiots, dégradants, affligeants, sont permis et encouragés pour amuser la galerie, se faire mousser, harceler, etc, à condition de ne pas faire dans la nuance[1].
EO
Un jeune âne de cirque fait son voyage du pays, en rébellion face au rôle qu’on lui fait jouer et aux atrocités qu’il voit, toujours avec une certaine candeur.
Nous avons ici affaire à un film d’un réalisateur renommé, le polonais Jerzy Skolimowski, considéré comme l’un des grands noms du nouveau cinéma polonais des années 60, qui a réalisé notamment Deep end en 1970. Le long-métrage s’inspire du film Auhasard Balthazar (1966) de Robert Bresson
Ce que je trouve intéressant, c’est qu’au travers de plusieurs séquences où l’on comprend les sentiments du personnage, il n’est jamais humanisé, dans le sens où nous n’avons à aucun moment de voix off venant expliciter ses pensées. J’apprécie aussi le travail des couleurs qui donne un côté presque féérique au road movie d’EO.
Ma scène préférée reste la scène en forêt en pleine nuit. On entend tous les animaux de la forêt dont les loups. Nous avons peur qu’EO se fasse dévorer, mais la musique nous alerte d’un autre danger. Nous voyons des lasers à travers la nuit. Très vite, avec les bruits de tirs, les chasseurs deviennent le danger dont l’âne va devoir s’échapper. La perspective est renversée : ce n’est pas la nature inhospitalière qui est menaçante, mais au contraire l’humanité que tente de fuir l’âne.
EO montre l’exploitation animale sous toutes ses formes (cirque, course, nourriture, fourrure), jusqu’au dénouement tragique. Je ne suis pas un partisan de l’antispécisme et je mange de la viande car j’aime ça, mais le film a réussi à me toucher profondément par les émotions qu’il transmet. Des émotions voulues par le réalisateur pour dénoncer la maltraitance animale, le thème de l’œuvre.
Junk Head
Dans un monde futuriste, les humains sont devenus grâce aux sciences virtuellement immortels mais ont perdu leurs capacités à se reproduire. Une maladie mortelle vient les chambouler. Afin de remédier à ça, ils envoient l’un des leurs dans les sous-sols, où vivent des créatures mutantes créées par les humains mais qui se sont rebellés et ont acquis leur autonomie, afin de trouver le secret de la reproduction.
Takahide Hori signe son premier long-métrage dans une animation en volume. Vous savez, on dit la plupart du temps que le cinéma est un art qui se fait une équipe, avec beaucoup de budget. Notre réalisateur ne serait pas d’accord, étant donné qu’il travaille seul sur son projet depuis 2009, de l’animation aux « voix », et cela sans connaissance sur la façon de réaliser un film. Parvenant d’abord à un court-métrage de 30 minutes (basiquement la première partie du film), c’est après son succès qu’il décide d’en faire un long-métrage.
Nous entrons dans un univers SF bariolé qui fait la part belle aux parodies des œuvres de SF, aux mangas ou aux films d’action (Bruce Lee). Les mutants sont de formes diverses et des fois grotesques, comme cet être aux bras en forme de tentacules, un autre qui ressemble au docteur fou dans L’étrange noël de Mister Jack ou, mon préféré, celui dont le trou du cul ressemble à un visage qui nous laisse voir de manière bien crasse l’écoulement de sa matière fécale.
Les scènes de courses poursuites sont nombreuses, et les affrontements gores avec. L’une des séquences qui m’a marqué, mais assez difficile à décrire, se déroule au début du long-métrage, lorsque le personnage principal est poursuivi par deux monstres à travers les couloirs. Il arrive près de trous dans le mur d’où sortent une matière rouge ressemblant à du sang et dégoulinant du sol. Il s’agit de marques laissées par des vers. Qui touche celles-ci se fait dévorer. Alors que les plans nous montrent au ralenti toute la scène sous tous les angles, y compris la sortie des vers, cela se termine en déluge de sang de tous les côtés.
Le seul bémol du film, c’est sa fin, qui n’en est pas une… l’auteur ayant la volonté de faire une trilogie de Junk Head, la conclusion appelle une suite.
Unicorn Wars
Un combat centenaire confronte les oursons bigots et les licornes partisantes de l’environnement. Un jeune groupe d’oursons militaires va entrer dans la Forêt magique, où vivent les licornes. Leur désenchantement se fera très vite et les atrocités ne tardent pas à arriver.
Alberto Vazquez est un auteur de BD espagnol et un tout récent réalisateur de films d’animation. Il s’agit de son deuxième long-métrage après Psiconautas en 2015. Unicorn Wars est l’adaptation d’une de ses BD, elle-même adaptée dans son court-métrage Sangre del Unicornio, où l’on retrouve les personnages de Dodu et Célestin.
L’animation est faite main, sauf pour les licornes que les animateurs ont faites dans certaines scènes en 3d, tout en ayant travaillé à leur donner un aspect 2d pour éviter de jurer avec le reste du décor. Nous sommes dans un univers très coloré, avec des personnages issus de l’enfance, mais mis dans un univers dangereux et dramatique, avec des scènes ultra-violentes, où ces oursons mignons à en être grotesque, vont devoir affronter les massacres, la mort, les mutilations, le cannibalisme et les traumas physiques et psychologiques.
Les références sont nombreuses : nous avons les films de guerre comme Apocalypse now et Full Metal Jacket, à la guerre d’Espagne, à Hitler, à la Bible (Caïn et Abel, Dieu faisant l’homme à partir d’argile, la Forêt enchantée qui n’est rien d’autre que le Jardin d’Eden).
Alberto Vazquez critique le militarisme (aucune joie aux scènes de batailles qui font perdre tous les côtés) et le fanatisme religieux, à travers ces oursons vivant sous un Etat militaire et dont la religion fait la part belle à l’appel au génocide et au refus d’écouter l’autre. A la fin, pas de conciliation possible entre les parties, aucun espoir de paix, seulement la destruction de tout.
Falcon Lake
Deux jeunes connaissent des amours adolescentes au cours de l’été, au bord d’un lac du Québec, avec en arrière-plan l’histoire d’un fantôme.
Falcon Lake est adapté de la BD Une sœur de Bastien Vivès. C’est la première réalisation de l’actrice Charlotte Le Bon, mais qui a aussi exercé la carrière d’illustratrice et de street artist.
La première chose qui saute aux yeux, c’est l’image qui n’est pas en haute définition et qui donne une touche vieillotte, style film de vacances des années 80 et 90.
Le film est donc centré sur l’histoire d’amour entre deux adolescents dont les familles se connaissent. Un peu comme dans toutes romances, les parents, s’ils sont présents, laissent une grande marge de liberté aux enfants, permettant donc de mieux donner libre cours aux séances de séduction, qui passe par la découverte de la sexualité (à noter que le point de vue du film est celui du garçon).
Le fantôme du lac est une invention de la fille, Chloé, même si au début, au travers de quelques plans, il est laissé supposer qu’elle puisse être elle-même le fantôme. C’est finalement Bastien, le garçon, qui deviendra le fantôme à la fin.
La scène de la mort de Bastien est subtile, car à aucun moment celle-ci n’est explicitement révélée, c’est au spectateur de la comprendre. Alors qu’il essaye de rejoindre son groupe en nageant dans le lac, on voit Bastien avoir des difficultés à nager, puis plus la caméra s’éloigne de lui pour montrer l’immensité du lac, plus on le voit plonger la tête sous l’eau. L’image quitte le gamin pour nous montrer les arbres, avant de revenir sur le lac où plus rien ne bouge, dans un grand silence. La scène suivante enfonce le clou. Nous y voyons les parents de Bastien pleurer (nous pensons, nous spectateurs, qu’ils pleurent parce qu’ils quittent leurs amis). On y voit le petit-frère mais pas Bastien. Puis avec leur voiture ils s’arrêtent devant le lieu où Bastien a nagé pour déposer des fleurs et se recueillir. Bastien arrive derrière comme sortant de la voiture. Il ne dit rien mais il a compris. Il se met à courir pour rejoindre Chloé là où ils avaient l’habitude d’aller. Il arrive dans son dos, au même endroit où apparaissait le faux fantôme. La fin laisse supposer que seul Chloé peut le voir.
Un premier film prometteur pour la suite de la carrière de Charlotte Le Bon.
El Buen patron
Le patron d’une petite entreprise de balance s’apprête à accueillir le jury d’un concours, qu’il espère bien gagner et ajouter à la liste des trophées de son usine. Ce patron, joué par Javier Bardem, se présente comme un homme jovial proche de ses employés, partageant leurs peines. Cependant, entre la contestation devant son usine d’un employé qu’il vient de licencier, les problèmes de couple de l’un des ses directeurs et la séduction de l’une de ses employés, son image de bon patron va vite s’effriter et montrer sa personnalité d’orgueilleux manipulateur.
El Buen patron est réalisé par Fernando Leon de Aranoa, auteur espagnol du film Les Lundis au soleil. C’est une comédie grinçante sur les travers du patronat sans faire dans le pathos.
Le long-métrage écorche l’image du bon patron, qui n’hésite pas à appliquer le droit de cuissage et à se débarrasser de ses conquêtes manu militari, à faire du chantage, à utiliser des milices privées pour mater la contestation. A ce sujet, l’un des gags du film c’est que la balance aux portes de l’entreprise est déréglée alors qu’elle doit être parfaitement équilibrée. Elle sera finalement réparée… en y ajoutant une balle de pistolet pour faire cet équilibre ! Sous-entendu que la bourgeoisie utilisera la violence armée s’il s’agit de rétablir l’ordre. Le film démonte aussi la propagande du bon patron qui s’est fait tout seul, notre personnage principal ayant hérité son entreprise de son père, bref qu’il s’est donné simplement la peine de naître.
La dernière scène montre toute l’étendue de son égoïsme. Après avoir réglé la contestation de son employé licencié en envoyant le fils d’un salarié et son gang raciste le fracasser, entraînant la mort du fils, le patron gagne le prix. Il le fait alors accrocher par le salarié ayant perdu son fils au mur qu’il réserve dans sa maison à ce sujet. Le plan nous montre sur le même espace le visage mortifié du salarié et celui du patron, qui passe du sourire à une profonde tristesse. Alors que l’on sent le regard appuyé du salarié sur son chef, on pense que le patron se sent coupable et ressent des remords parce qu’il a causé des douleurs à autrui. Mais non, il pleure seulement parce que le prix a mal été accroché au mur !
[1] A noter que l’année de sortie du film correspond aussi à une affaire similaire, celle du journaliste Taha Bouhafs, passé de jeune prodige des quartiers à paria en l’espace de quelques jours. Certes, les affaires sont différentes (Meklat utilisait un faux compte pour y publier des injures, Bouhafs est accusé d’agression sexuelle), mais on y trouve le même problème du rapport aux réseaux sociaux, Bouhafs étant connu pour utiliser Twitter comme un lieu pour harceler moralement un ennemi supposé ou avéré de sa cause.
Les débuts du cinéma d’horreur sont marqués par une influence des légendes populaires. Afin de provoquer l’angoisse et de parler au plus grand nombre, les réalisateurs et producteurs n’hésitent pas à utiliser des monstres du folklore pour leurs œuvres. Les légendes sont peuplées de figures connues du public et donc sont plus à même d’attirer les spectateurs vers un art relativement nouveau, en leur parlant directement de ce qui est proche. Les contes et les romans gothiques servent d’inspiration toute faite, notamment Frankenstein, qui connait une première adaptation en 1910. Il semble tout naturel, quitte à aborder au cas par cas les différents sous-genres du cinéma d’horreur, de parler de la figure du monstre comme fondateur de tout l’édifice d’épouvante.
Mais qu’est-ce que le monstre au juste ? C’est une créature hideuse, souvent d’origine magique, ayant rarement des bonnes intentions envers l’Humanité et en particulier les enfants. Cela peut aussi désigner dans la vie réelle une personne difforme ou dont nous considérons le comportement comme réprouvable, à tort ou à raison. Dans son aspect difforme, il devient le symbole de notre intolérance face à une certaine altérité.
Nous trouvons une multitude de monstres foisonnant dans les folklores : la Lorelei dans les pays germaniques, la Llorona dans les pays d’Amérique latine, le Chupacabra au Mexique, Baba Yaga en Russie, le Pocong en Indonésie, le Cavalier sans tête aux Etats-Unis, etc. Certaines créatures ont connu plus de succès que d’autres et ont marqué durablement leur influence, c’est donc d’eux dont on va parler en priorité.
Nous ne parlerons pas des kaijus, films de monstres géants japonais, même si le sujet peut s’y prêter, car ils sont beaucoup trop dissemblables et connaissent leurs propres codes que n’ont pas les autres films de monstres. Encore plus souvent que les films qui vont nous occuper, l’aspect horrifique est abandonné pour le registre de l’aventure ou de l’action. Nous ne parlerons pas non plus des films d’animaux tueurs, qui certes font rencontrer des animaux monstrueux par leurs comportements, mais qui se basent sur un aspect beaucoup trop réaliste, tel Les Oiseaux ou Cujo. On y trouve un thème de vengeance de la nature sur l’homme qu’on ne retrouve pas forcément ailleurs (voir Le jour des animaux de William Girdler en 1977).
Au cinéma, mais à vrai dire de même en littérature et en peinture, le monstrueux passe d’abord par l’apparence. On utilise les personnages difformes, dont l’aspect marquent directement une différence avec le monde, sans s’interroger sur la substance de la personne qualifiée de « monstre ». C’est de fait de cette représentation que le film Freaks de Tod Browning est considéré comme un film d’horreur, malgré qu’il soit davantage un récit purement dramatique. Dans cette histoire, le nain d’une foire ambulante d’humains difformes s’éprend d’une belle femme, qui en retour se joue de lui car elle connait sa fortune et n’a que mépris pour les « Freaks » (surnom offensant des difformes). Ce récit de manipulation, d’une volonté d’amour du monde extérieur impossible, se termine mal pour l’usurpatrice qui subira la colère des Freaks voulant secourir leur ami.
Il arrive qu’un personnage 100% humain, mais pouvant commettre des crimes, soit reconnu comme un monstre par sa difformité. Le Fantôme de l’opéra de Gaston Leroux (1910) et ses diverses adaptations le montrent. Erik, le fameux « fantôme » du roman, est un ancien prestidigitateur qui s’est réfugié sous l’Opéra Garnier à Paris. Doué d’une grande sensibilité, d’une belle voix et d’un certain talent musical, il est toutefois rejeté par la société car il est hideux de naissance. Tombant amoureux d’une jeune chanteuse de l’opéra, il fera tout pour gagner son amour, quitte à la kidnapper et à tenter d’assassiner son fiancé. Tout cela s’avère impossible à cause de sa monstruosité physique. Le tragique de l’œuvre réside dans le fait qu’Erik n’est pas un homme mauvais en soi, c’est sa situation qui le pousse à ces actes. Il apparaît plus pitoyable que méchant, notamment dans la première adaptation avec Lon Chaney (1925). On peut citer aussi le cas du film Phantom of the Paradise de Brian de Palma (1974), qui mixe la légende de Faust et celle du fantôme, en contant l’histoire d’un compositeur volé, spolié, mutilé par un producteur véreux de musique, et qui hante l’opéra de ce même producteur afin que sa musique soit enfin entendue. Même si, fort heureusement, les mentalités ont évolué et que certaines tares physiques ne sont plus pointées du doigt, la difformité reste un élément qu’on retrouve dans les histoires d’horreurs. Le cas le plus flagrant étant le slasher Vendredi 13 et son Jason Voorhees difforme sous un masque de hockey.
Bon nombre des premiers films d’horreur vont s’inspirer de la littérature gothique anglaise, ou tout du moins d’une certaine atmosphère s’y rapportant. Le vampire en est probablement la figure représentative. Cette créature, aux multiples noms à travers le monde, est un mort-vivant, un être humain transformé en créature démoniaque. La première mention textuelle du terme vampire vient d’un journal viennois intitulé Das Wienerische Diarium en 1725, à l’intérieur du procès-verbal d’un représentant du gouvernement autrichien[1]. Le vampire est, encore plus dans ses versions récentes, à mi-chemin entre trois sensations : la peur, la puissance et l’érotisme. La frayeur par la peur de l’obscurité, de la mort et de la douleur. La puissance, avec un personnage aux multiples pouvoirs, quasi-invincible et omnipotent nécessitant plusieurs hommes pour l’abattre. L’érotisme car le vampire est aussi séducteur. Sa position dominante face à sa « proie » peut faire penser à une relation BDSM. La morsure au contact de la peau qui fait comme une pénétration, à l’instar du Dracula de la Hammer ou de la Carmilla de Le Fanu. La symbolique du sang y est importante dans la légende : le rouge c’est la couleur de la vie et le vampire aspire celle-ci pour survivre.
Le vampire a connu différentes interprétations au cinéma, toujours en se renouvelant. Chez Universal le vampire, notamment le Dracula de Tod Browning (1931), vient de l’est. Il a peur du jour, de l’ail, peut se transformer en chauve-souris, ne se reflète pas dans le miroir, peut hypnotiser et possède des canines acérées. Chez la Hammer, le vampire garde ces mêmes caractéristiques, ses yeux sont injectés de sang et il se montre bien plus séducteur avec les femmes. Comme dans Le cauchemar de Dracula où il est jaloux de ses maîtresses et souhaite de nouvelles conquêtes féminines, ce qui reste un thème dans un autre film, Les cicatrices de Dracula. Nosferatu de Murnau (1922) nous fait découvrir un Comte Orlok à l’aspect cauchemardesque (oreilles pointues et griffes à la place des doigts). Même faiblesse que l’on retrouve chez les autres vampires, en particulier la crainte du jour. Le Comte Orlok a une dimension plus pathétique, celui d’un vampire amoureux, qui sera encore accentué dans le remake de Werner Herzog avec Klaus Kinski en rôle-titre. Vampyr de Dreyer (1932) s’inspire vaguement de Carmilla. Cette fois c’est une vieille dame qui contrôle son monde et s’attaque aux jeunes filles. Elle est capable de manipuler les ombres. Comme pour Dracula, un pieux dans le cœur à la levée du jour permet de la vaincre. Les lèvres rouges d’Harry Kümel (1971) fait intervenir la Comtesse Bathory, coupable dans la réalité du massacre de plusieurs jeunes filles, dans le monde moderne. Là aussi on retrouve l’influence de Le Fanu. Les relations lesbiennes sont ouvertes et font face au couple hétérosexuel. Le changement ici c’est de mettre le vampire aux prises à un couple dysfonctionnel, le mari étant une brute épaisse qui veut contrôler entièrement sa femme, tout en lui mentant et en couchant avec d’autres. En l’espèce, le vampire vient plutôt révéler les problèmes du couple et en quelque sorte permettre la libération de la femme de la tyrannie de son époux. Dans Entretien avec un vampire de Neil Jordan (1994), les vampires ont moins de superpouvoirs, sont toujours allergiques au soleil mais ne fuient pas devant l’ail. Le long-métrage aborde des questions familiales et de l’aspect sexuel et sensuel du vampire. D’autant plus que s’ils se nourrissent de sang humain, les morts-vivants peuvent amplement survivre avec le sang des animaux. D’une certaine façon les vampires se sont démocratisé ces 40 dernières années, c’est-à-dire qu’ils ne sont plus aristocrate et pédant, mais s’accompagne d’une perte de leurs pouvoirs. Dans Aux frontières de l’aube de Kathryn Bigelow (1987), les vampires sont des marginaux qui vivent cachés de la société et n’ont comme pouvoir que l’immortalité. Dans la série Buffy contre les vampires, les vampires font partie d’un panel de démon que doit affronter l’héroïne et n’en sont d’ailleurs pas les plus puissants. Même s’ils peuvent utiliser la magie, leur pouvoir de base sont simplement une certaine longévité et des sens accrus. L’enfant miroir de Philip Ridley (1990) est une tentative intéressante d’utiliser le mythe du vampire pour réaliser une critique sociale de la superstition et des petites communautés fermées sur elles-mêmes. On utilise la légende de vampire mais il n’y en a pas dans le film. C’est le gamin superstitieux, personnage principal de l’œuvre, qui interprète mal les choses.
Le loup-garou, autre figure monstrueuse, est un mythe ancien. On dit que c’est une punition de Zeus envers Lycaon. C’est l’écrivain et homme politique Gervais de Tilburg qui est à l’origine, au 12ème siècle, du rapprochement entre loup-garou et nouvelle lune, dans son Livre des merveilles. La Lune, élément omniprésent de la lycanthropie, a plusieurs sens dans nos croyances. Elle peut signifier un changement, y compris des troubles mentaux[2]. Le loup-garou est semblable à un autre personnage de monstre, provenant de la littérature anglaise, c’est-à-dire Mr. Hyde, l’alter-ego du Docteur Jekyll. Comme ce double maléfique, le loup-garou représente la dualité de l’homme, sa part agressive en chacun de nous qui ne demande qu’à se réveiller. Les contraintes sociales de la société anglaise bourgeoise contraigne le brave docteur Jekyll qui souhaite s’en libérer sans perdre son statut social, tandis que le loup-garou cache une frustration qui explose à la pleine Lune.
Le loup-garou possède lui aussi une dimension sexuelle[3], sauf qu’il s’agit moins de séduction que de sortir du refoulé, soit en découvrant son corps et une sexualité plus animale (comme Ginger Snaps ou Hurlements), soit par la révélation de certains tabous comme l’homosexualité.
Moment important d’un film de loup-garou, la transformation peut être soit instantanée soit progressive, mais elle est quasiment tout le temps douloureux. La compagnie des loups de Neil Jordan (1984) nous fait voir une scène gore où le malheureux doit s’arracher la peau, ses os changer de place afin de réapparaitre en loup. Le loup garou de Londres de John Landis (1981) et sa scène mythique dévoilent l’horreur de cette transformation[4].
Le loup-garou peut aussi avoir un aspect étonnamment prolétaire, en étant assimilé à des esclaves qui se révoltent, qui sont sales (image associée souvent au prolétariat à cause de la salissure causée par les machines dans les usines ou les mines) et vivent dans les sous-sols, comme dans la saga (très médiocre) Underworld. Dans Teddy des frères Boukherma, le loup-garou devient le symbole du refoulement social qui explose. Teddy y est un jeune en situation précaire et sans parent, élevé par son oncle déficient mentalement, qui est rejeté à la marginalité par tout le monde et qui fait de la provocation pour se faire remarquer. Au fur et à mesure du film, que tout ce qui lui restait lui est retiré, il assume sa colère jusqu’à provoquer un massacre un soir de pleine Lune lors de la soirée de bingo de son village.
Il existe des questions sociales abordées par les vampires et les loup-garou de manière plus ou moins affirmées, même s’il s’agit rarement de l’objet principal. C’est l’exemple de When animals dream de Jonas Alexander Arnby (2014) où le loup garou devient une métaphore de l’affranchissement de la femme d’un milieu patriarcal cherchant à la contrôler. Par ailleurs, les images de monstres sont souvent utilisées dans la propagande politique. Marx comparait dans le Capital les capitalistes aux vampires. Même chose dans le court-métrage d’animation Interplanetary Revolution, dont nous avions déjà parlé sur ce blog. Le film Pura Sangre de Luis Opina montre un grand bourgeois boire le sang de jeunes hommes pauvres pour continuer à survivre. Les bolchéviques ont été comparés à des monstres sanguinaires du folklore, comme le furent aussi les nazis. Jouer sur le folklore populaire permet de mieux toucher les gens, comme à l’image de cette affiche des communistes allemands présentant le spartakiste luttant contre l’hydre de l’Herne de la réaction et du SPD.
Un exemple parlant est décrit page 21 du livre de Jean Marigny, La fascination des vampires :
« Une gravure de Walter Crane, de 1890, représente un ouvrier allongé sur le sol tandis qu’une énorme chauve-souris portant l’inscription « Kapitalismus » lui suce le sang et qu’un ange ailé, soufflant dans une trompette où est inscrit le mot « Socialismus », vient à son secours. »
Frankenstein est un roman de l’écrivaine anglaise Mary Shelley. La créature au centre de l’histoire est faite de morceau de cadavre, par un créateur qui voulait prouver qu’il était lui aussi capable de créer la vie de toute pièce. Abandonnée, la créature devient autodidacte. Douée d’intelligence et de sensibilité, c’est celle-ci qui la poussera à la violence face au rejet à cause de son apparence. Dès le livre il y a un aspect pitoyable et humain du monstre de Frankenstein.
Frankenstein de James Whale (1931) reste la plus célèbre adaptation du mythe. Ici, l’ambiance gothique est respectée même si elle fait intervenir en parallèle un monde moderne. Même si la créature est une menace et possède un cerveau de criminel, celle-ci ne semble pas vicieuse. En réalité, la plupart de ses actes répréhensibles sont soit de l’autodéfense soit de la stupidité. Il en va ainsi lorsqu’il assassine l’employé de son créateur qui le battait régulièrement, ou lors de la scène extrêmement connue avec la petite fille, où il tue cette dernière sans le vouloir car il ne comprend pas que les petites filles ne flottent pas (ce qu’on voit à son visage paniqué après l’acte). Le monstre n’est plus l’être doué de sensibilité et intelligent de Mary Shelley, mais il reste pitoyable et on ne peut s’empêcher de garder une certaine empathie pour lui.
Frankenstein connaîtra plusieurs adaptations, dont un film des années 90 se voulant fidèle au roman et proche esthétiquement du Dracula de Coppola, sans parvenir au même brio que les deux œuvres. Chez la Hammer, le monstre n’est plus au centre, il n’est plus pitoyable mais sanguinaire. Il est remplacé par son créateur, devenu un petit-bourgeois psychopathe sans aucune émotion[5].
Le personnage du docteur Frankenstein a, chez Shelley comme dans les adaptations, un aspect très anti-religieux en voulant se jouer créateur à la place du Créateur, même si devant les erreurs qu’il commet cela fini par prouver la validité de la religion et le renoncement à une volonté de connaissance à tout prix. Le personnage du docteur fou jouant à Dieu va inspirer une floppée de personnages dans la littérature et les autres arts. Le docteur Moreau du livre d’H.G. Welles en est un exemple : voulant prouver certaines vérités sur la civilisation, il transforme chirurgicalement des animaux afin de les rendre bipède et capable de parole. Nous avons le cas d’Herbert West dans Re-animator, adapté d’une nouvelle de Lovecraft, où le brillant et égocentrique docteur réanime des cadavres pour prouver qu’il peut étendre la vie à l’infini, même si cela se termine en catastrophe.
Au fil des ans, les monstres perdent de leur crédibilité dans le cinéma d’horreur et connaissent des parodies. C’était déjà le cas dans les années 50 chez Universal, puis avec Mel Brooks ou dans quelques sorties récentes. Le genre horrifique a tendance à être abandonné au profit du drame. Les monstres deviennent des êtres incompris, digne de notre sympathie. On pourrait citer l’exemple de La mouche de Cronenberg, où la transformation totale du docteur en mouche géante laisse voir sa douleur et son humanité. Le cinéma de Tim Burton utilise ce thème de l’empathie pour les monstres à fond. Edward aux mains d’argent (1990) est victime de l’incompréhension du monde et d’un amour impossible à cause de son apparence. L’étrange noël de Mister Jack (1993) montre le roi de la journée d’Halloween qui se lasse de faire peur et veut connaître d’autres sensations. Les noces funèbres (2005)narrent l’histoire d’une revenante à qu’un jeune homme a demandé en mariage sans le vouloir, et qui doit terminer la procédure pour que l’âme de la défunte repose en paix.
L’amour y est à chaque fois impossible et se termine toujours par un échec :
« L’union des corps et des âmes avec un être humain clairement identifié comme tel s’avère impossible. Cette tentative et son échec provoquent à chaque fois violences et destructions. Cette équation et son improbable résolution confrontent, à titre d’exemple, Ann Darrow, l’héroïne de King Kong, et le singe géant qui en est amoureux ; Imhotep la momie et Helen Grosvenor, réincarnation d’Anck-es-en-Amon, princesse égyptienne dont il est épris ; Lota une panthère devenue femme « grâce » aux manipulations du docteur Moreau et Edward le héros naufragé ; et dans notre démonstration Hans et Cléopâtre, les héros tragiques de Freaks. »[6]
L’influence des monstres se retrouvent énormément dans les comics (il faut se rappeler qu’avant la censure bon nombre de BD des Etats-Unis étaient horrifiques) et il n’est pas étonnant de les retrouver dans l’univers des super-héros. Hulk, le colosse vert alter-ego de Bruce Banner, a son design inspiré de la créature de Frankenstein du film des années 30. Et sa double personnalité concentrant ses sentiments refoulés est inspiré du célèbre Mr.Hyde. Blade, le chasseur de vampire chez Marvel, qui traque à ses heures perdues Dracula. Ghost rider, le motard ayant fait un pacte avec le diable et contraint à se transformer. Man-Thing, une créature des marais amorphe résultat d’un accident. Sans parler des ennemis de Batman, dont l’apparence monstrueuse est frappante, comme l’Epouvantail et Double-face.
Les monstres ont même tendance à devenir eux-mêmes des super-héros. Buffy contre les vampires qui s’inspire clairement des codes super-héroïque, offre un panel de créatures fantastiques se mettant du côté de l’héroïne dans sa quête contre le mal, ou au contraire en souhaitant détruire le monde. Une série plus récente comme Teen Wolf reprend les codes de la série de Joss Whedon mais avec des loup-garou, dont la transformation n’est plus douloureuse et est rapidement maitrisable. Twilight, qui se veut comme une saga romantique, offre une collection de vampire et de loup-garou dont les aspects négatifs ont été enlevés, y compris la crainte mortelle du soleil, ce qui fait d’eux in fine seulement des défenseurs de la veuve et de l’orphelin. A tel point que la mélancolie du personnage principal, qui regrette sa transformation, devient incompréhensible, tellement le vampirisme ne comporte que des avantages. On retrouve aussi dans l’excellente BD La ligue des gentlemen extraordinaires d’Alan Moore Mister Hyde en tant que personnage principal. D’où le fait que, même si le projet tendait à éloigner les monstres de leur aspect horrifique, l’idée du Dark Universe d’Universal[7] n’était pas totalement incongru.
Qu’en est-il, même si cette question a traversée cet article, de la position du mouvement ouvrier et du cinéma progressiste avec le cinéma des monstres. Les relations ne sont pas inexistantes, il existe quelques exemples, mais ils restent rares, le monstre étant souvent utilisé de manière idéaliste lorsqu’on va parler de sujet important, où alors représente une rébellion individuelle destinée à l’échec. Sa lutte, c’est celle de son acceptation dans la société. Cette lutte est destinée à être perdue, car à l’instar du poète incompris en avance sur son temps, le monstre n’arrive pas à faire cesser l’intolérance des autres. Cet aspect d’éternel retour de l’échec vient tout droit de l’héritage romantique de ces histoires, il n’est donc pas étonnant de retrouver ce traitement de l’intrigue. Les questions sociales sont assez rares en réalité, sauf pour des sujets comme la sexualité ou la libération de la femme, et encore il s’agit d’utiliser des images racoleuses pour vendre un produit, mais nous ne retrouvons pas une remise en cause du système capitaliste, de son exploitation du travail et des pays du Tiers monde. Les monstres représentent des marginaux qui n’arrivent pas à s’insérer dans une certaine société, dans le meilleur des cas ils peuvent représenter des minorités. Le problème qui se pose est aussi la réponse à apporter à ces problèmes : la pure sauvagerie ou le collectif ? La lutte contre sa marginalité par la violence individuelle, quitte à faire des victimes innocentes, ou une action collective pour faire changer les mentalités et trouver un véritable statut social ? En guise de conclusion, si on enlève toutes les interprétations que nous pouvons avoir sur les œuvres, il ne faut pas oublier que si nous avons droit toujours à ce même genre d’histoire qui marche auprès du public, ce n’est pas par réflexion poussée sur la société. Il s’agit simplement d’intrigues faciles à recopier, donc rapidement écrite et produite, où l’on met juste assez de pathos pour l’identification avec les personnages et assez d’érotisme pour attirer le public. L’objectif c’est le rendement, le profit à tout prix. L’industrie réalise des films médiocres pour un public capable de l’apprécier et prêt à payer pour ces produits. On touche à l’art des masses dont parlait le philosophe hispano-mexicain Adolfo Sanchez Vazquez[8], c’est-à-dire un art dont on a retiré la substance pour qu’il soit accessible aux hommes aliénés du capitalisme, se tuant à la tâche toute la journée et souhaitant juste mettre leur cerveau sur pause le soir, qui ne peuvent apprécier une œuvre réellement artistique et se contentent d’un art amoindri et déshumanisé.
[1] Lire l’ouvrage sur le vampire de Jean Marigny, La fascination des vampires.
[2] Voir l’analyse de Ginger Snaps par le blog Bon chic bon genre (20/01/2021).
[3] Voir « [Dossier] Le loup garou et sa représentation dans le genre », sur le blog Bon chic bon genre le 20/03/2021
[4] L’idée de douleur causée par la transformation se retrouve dans des séries fantastiques récentes comme Vampire diaries.
[5] « La persistance du mythe : Frankenstein à l’écran », extrait du livre Frankenstein : mythe et philosophie de Jean-Jacques Lecercle (1998).
[6] « Corps extrêmes et figures de l’entre-deux dans le cinéma fantastique hollywoodien 1931-1935 », Champ psychosomatique numéro 35, Olivier Rachid Grim.
[7] Voir la vidéo « Universal monsters » – de l’âge d’or au Dark Universe », 01/11/2020.
Un point que nous avons finalement peu abordé, c’est celui du mode de production. Il est assez récurrent lorsqu’on parle de cinéma d’horreur d’en faire abstraction. Cela permet de ne pas questionner l’objectif derrière la création des œuvres d’épouvante (quel public doivent-elles toucher ?)[1]. Le phénomène est pourtant connu, d’autant plus pour le cinéma d’exploitation dont c’est la genèse, le cinéma horrifique ou « de genre » peut être réalisé à la chaine avec un petit budget, le récent studio Blumhouse en ayant fait sa marque de fabrique, dans le but d’être rentable. L’équipe technique n’a pas forcément beaucoup de temps concernant le montage ou les effets spéciaux, mais il en est de même pour les scénaristes. Ceux-ci n’ont pas toujours le loisir d’écrire une histoire poussée avec des personnages crédibles. Ils sont donc obligés de se focaliser sur d’autres éléments pour attirer l’attention, notamment le gore ou les jump-scare, afin de provoquer un dégoût ou une peur facile susceptible de plaire à un public qui ne demande rien de plus. Je me permets de le rappeler, car trop souvent on entend dire que le cinéma d’horreur est provocant et dérangeant, un art de transgression. Un avis potentiellement vérifiable si on se base uniquement sur les vieilles familles réactionnaires d’Outre-atlantique. Le défaut principal à cette position de l’horreur comme cinéma de transgression, c’est qu’il méconnait un élément important, cardinal du capitalisme, masqué en effet par les pleurs des familles conservatrices : en régime capitaliste, la transgression dans une certaine mesure, surtout si elle est désidéologisée, est une marchandise comme une autre. C’est ce que développait le sociologue Michel Clouscard dans ses ouvrages au sujet des générations post-soixante-huit, le mot d’ordre « il est interdit d’interdire » devenant le cheval de bataille de la petite bourgeoisie intellectuelle montante voulant accéder à la consommation. Hormis ce point, beaucoup des œuvres dont on parle sont certes transgressives d’un certain point de vue, mais ne cherchent pas à élever le goût de leur public, plutôt à jouer sur leurs bas instincts pour les faire consommer davantage. Toutefois, il serait faux de dire qu’il n’a jamais existé de cinéma d’horreur à portée sociale, ayant tenté de défendre un message émancipateur et d’influer sur la société. Nous allons tenter d’en faire un premier tour non exhaustif. Petite précision, le fait de porter un message social ne signifie pas qu’il soit bon en lui-même, ni qu’il soit matérialiste ou même marxiste.
David Cronenberg est un réalisateur canadien bien connu des fans de l’horreur et de la science-fiction, en particulier pour son remake de La Mouche en 1986. Ces films portent souvent sur le rapport à la réalité, au corps et aux changements qu’il subit, de même qu’à la violence et aux névroses. Son genre de prédilection est le body horror, dont nous aurons à reparler lors d’un article ultérieur. On lui doit des films comme Chromosome 3 (inspiré de sa séparation avec sa femme et sa bataille pour la garde de sa fille), Scanners, Crash et plus récemment Crimes of the Future.
Frissons (1975) de David Cronenberg montre la contamination de tout un immeuble par des parasites, qui vont pousser au bout les envies libidineuses des contaminés. L’entièreté du récit est à huis clos. L’horreur surgit au sein d’un ensemble bourgeois fermé par des grilles et un garde. Un lieu cloisonné physiquement, où la sexualité se cache dans des pulsions refoulées que chacun tente d’enfouir mais qui menace de sortir à chaque instant. La peur du meurtre est ici remplacée par la peur du viol collectif. La volonté de Cronenberg, même s’il tente d’éviter une identification avec les personnages pour laisser le spectateur se faire son avis, est de créer une allégorie de la bestialité cachée derrière une apparence civilisée, que ce soit chez les vieux respectables, les relations de couple ou parents-enfants. La fin du film indique que le mal semble se propager hors de toute proportion.
Vidéodrome (1983) va plus loin dans le discours politique. Tout d’abord, le long-métrage s’inscrit dans une époque où la diffusion et l’accès à la télévision connaît un essor phénoménal et pose question, notamment sur l’influence des images. C’est aussi la période de la guerre froide, d’une radicalité politique (indépendantisme et régionaliste), de la violence terroriste et de conflits médiatiques. L’histoire est celle d’un directeur d’une chaine de télé pornographique, en prise du jour au lendemain avec une mystérieuse émission faite uniquement de tortures, Vidéodrome. Suite aux visionnages, la réalité semble se tordre devant lui jusqu’à ce qu’il n’arrive plus à discerner le vrai du faux.
Le film possède une intrigue (celle que nous venons d’énoncer) et une sous-intrigue. La sous-intrigue présente le combat entre deux organisations. La première souhaite éradiquer les citoyens qu’elle considère comme nuisible, la seconde souhaitant faire évoluer la population vers un monde où la réalité et la vidéo n’auront plus de distinction. Au centre, le protagoniste, qu’ils vont s’efforcer chacun de manipuler au profit de leur projet. Celui-ci est d’ailleurs un pur opportuniste rapidement dépassé par les évènements, jusqu’à devenir une coquille vide. Le long-métrage montre que les idéologies, à travers un outil comme la télévision, y compris dans un programme qui semble aussi loin que possible de la politique, peuvent manipuler le comportement des spectateurs avides de nouvelles images, d’autant plus s’ils n’ont aucun recul sur celles-ci.
Vidéodrome joue aussi sur une volonté malsaine d’aller toujours plus loin dans le fantasme, à l’instar de la copine du personnage principal, qui se sent de plus en plus excitée par des pratiques sexuelles dangereuses. Plusieurs scènes laissent à notre appréciation de savoir si elles sont réelles ou fantasmées[2]. Les objets prennent vie et le personnage principal se transforme en magnétoscope.
Dans le long-métrage, on retrouve le « Secours cathodique » dirigé par Oblivion, qui organise des lieux de shoot pour ceux qui ont besoin de quelques heures passées devant la télévision. Oblivion représente un discours idéaliste car pour lui le monde réel n’existe pas, seule la stimulation dans le cerveau existe. Ce qui veut dire qu’hormis les sensations il n’y a aucun moyen de connaître le monde. Son personnage est inspiré du théoricien des perturbations sensorielles Marshall McLuhan, qui a travaillé sur l’impact de la télévision sur l’esprit humain. Son ennemi Barry Convex est inspiré d’un télévangéliste de l’époque coupable de malversations sexuelles et financières[3].
Partons du côté du Japn avec le réalisateur Kiyoshi Kurosawa. Ce dernier a commencé le cinéma d’horreur avec le très médiocre Sweet home en 1986. Kurosawa aura à nouveau du succès à la fin de années 90 avec le polar Cure. Dans la fin des années 2000, il abandonnera le genre horrifique après l’avoir totalement retourné, au profit d’histoires davantage sociales, même si de temps à autres il tourne des films policiers ou avec des fantômes.
Son film Door 3 (1996) est un hommage à David Cronenberg, qui reprend l’idée d’un parasite provoquant une frénésie des pulsions sexuelles comme dans Frissons, mais en parlant plutôt du marché du travail au Japon et de l’oppression sexuelle des femmes japonaises voulant s’élever.
Kaïro (2001) raconte l’invasion des fantômes dans notre réalité grâce à internet. Le film est une charge contre la solitude grandissante des jeunes japonais, à peine cachée par les débuts d’internet, qui va jusqu’à poser le suicide comme problème de société[4]. D’ailleurs dans ses interviews de l’époque, Kurosawa se montre très virulent contre la société japonaise. Dans Retribution (2007)[5], il s’attaque à l’urbanisation à outrance de Tokyo qui démolit le passé.
Kurosawa tente de dire quelque chose sur le monde, de donner sa perspective, mais si elle se veut résolument humaniste sa filmographie s’inscrit dans un courant idéaliste, où les problèmes viennent du comportement des seuls individus et non de l’organisation en tant que telle de la société. Plusieurs de ses films sont politiques que ce soit Charisma (1999), une allégorie sur le pouvoir dans une société, ou Avant que nous disparaissions (2017), montrant des extraterrestres envahir la Terre en volant les concepts aux humains, sans parler des films sociaux du style Tokyo sonata (2008). Pour lui, le problème de la société est d’ordre moral ou lié à des éléments technologiques déconnectant les uns et les autres. Sans parler d’une critique du travail comme asservissement émotionnel et empêchement à l’épanouissement[6], et non comme l’endroit par excellence du vol du produit de la force de travail au profit d’une minorité de bourgeois. Si on peut déceler grâce à son travail l’air du temps, on trouvera difficilement une analyse et une compréhension claire de l’histoire, de la politique et encore moins des moyens de productions.
George Romero était un réalisateur américain principalement connu pour ses films de zombies. Chez lui, les références politiques sont plus présentes et beaucoup moins vagues que chez les deux artistes précédemment cités.
The Crazies (1973) parle d’un petit village américain envahit par l’armée, près duquel un avion de l’armée transportant un virus provoquant un état de folie s’est écrasé. La situation ne tarde pas à dégénérer entre les militaires et les citoyens résistant à cette invasion, tandis que le virus commence sa propagation.
Le film évoque la guerre du Vietnam en cours dans plusieurs plans, comme la poursuite en hélicoptère des rebelles par les militaires, ou la scène du prêtre préférant se faire brûler pour protester contre les consignes de l’armée. La raison d’Etat (cacher la création d’une arme bactériologique et son impact sur une population américaine) et les libertés individuelles se font face. Nous avons droit à plusieurs scènes avec des membres du gouvernement discutant à Washington de la situation de la ville, sans en informer la population. Les « fous » du film représentent à la fois le peuple vietnamien et les militaires américains partis pour mourir là-bas sans comprendre les raisons de leur combat. C’est remarquable, mais les militaires comme les rebelles sont traités objectivement par le réalisateur.
Zombie (1978) montre des survivants d’une apocalypse zombie se réfugiant dans un centre commercial. L’univers du film est dans la continuité de son premier long-métrage, La nuit des morts-vivants, même s’il n’en constitue pas une suite. Il est réalisé après la crise pétrolière, qui fut aussi une crise de la possibilité de consommer.
Contrairement au premier opus de 68, la télévision ne joue plus son rôle d’informations, mais au contraire elle est là seulement pour donner les prérogatives du gouvernement de gestion de la crise. Ce qui donne en introduction une prise de bec en direct. Le racisme est présent lors d’une des premières scènes, lorsque les policiers organisent un raid sur le HLM dont les habitants n’ont pas suivi les consignes de regroupement du gouvernement. L’un des policiers, particulièrement bruyant, fait état de sa haine contre les portoricains et les afro-américains, n’hésitant pas à tirer sur les civils désarmés, avant lui-même d’être tué par Peter, l’un des policiers afro-américains. Ce policier raciste représente le ressentiment de la petite-bourgeoisie blanche américaine contre ceux qu’elle considère comme n’ayant pas mérité de cadeaux (c’est-à-dire plus pauvre qu’eux). Un point beaucoup plus développé, c’est l’infantilisme de certains hommes, dont Roger (qui joue comme un gosse à tuer les zombies, ce qui lui causera sa perte) et Stephen (qui défiera des bikers pour défendre « sa propriété », c’est-à-dire le centre commercial, causant aussi sa perte), conditionnés par une société à bout de souffle, mais aussi par la présence du centre commercial dont l’accès à la consommation facile les faits redescendre en enfance. Ils ne sont pas les seules : les zombies reproduisent inconsciemment leurs anciennes habitudes, ici aller au centre commercial. Le film est souvent vu par la critique comme un pamphlet contre la société de consommation abrutissant les masses au nom d’une consommation accessible, à condition d’en avoir les moyens. Comme le rappelle Peter, certains biens ne sont pas acquérable par les petites gens. Romero dénonce ici un système qui recommande un plaisir individuel et facile au détriment du collectif. Un critique décrit le mall (centre commercial) de Romero ainsi :
« Une fois à l’intérieur de cet espace feutré et aseptisé, le badaud se transforme en consommateur, flânant au gré non pas de sa propre envie mais du désir de se couler dans un moule soigneusement préétabli, où la musique en boit remplir la fonction d’un cocon lénifiant dans lequel il sera, des heures durant, choyé, dorloté et protégé comme un enfant par sa mère. Et le Mall sert à transformer les personnes en jeunes enfants préoedipiens, chez qui la pulsion l’emporte sur toute contrainte : on veut posséder quelque chose, on doit satisfaire à cette (com)pulsion d’acheter, tel un bébé exigeant la satisfaction immédiate d’un besoin corporel. »[7]
Les deux personnages les plus réfléchis et rationnels, mettant à bas l’ancienne société, et donc ayant la possibilité d’en recréer une nouvelle, c’est Fran, la compagne de Stephen, et Peter, le policier noir. On retrouve d’ailleurs une critique du machisme, le personnage de Fran s’affermissant au fil de l’intrigue pour devenir un élément central du groupe, alors qu’elle a tendance au début à être mise de côté, à l’instar d’une scène où les hommes du groupe discutent sans sa présence de son propre avortement.
Land of the dead (2005) se passe dans un avenir où l’apocalypse zombie est réalisé. Sur une île, les pauvres sont entassés dans des bidonvilles, tandis que les riches se retrouvent dans un immeuble ultrasécurisé, à la fois contre les morts-vivants et contre les pauvres. Dans ce cadre-là une rébellion d’un officier éclate, tandis que les zombies, menés par un des leurs devenus plus intelligent, sont en passe d’attaquer la ville.
On assiste à une répartition spatiale entre riches et pauvres, entre ceux qui vivent dans les bas-fonds et ceux qui peuvent vivre dans la tour protégée. Le film évoque le thème de l’ultrasécurité, très présent après les attentats du 11 septembre 2001, où une partie de la population plus ou moins aisée souhaite au maximum se prémunir contre toutes récupérations de leurs richesses. A vrai dire, c’est une constante des villes où le capitalisme le plus sauvage se déchaîne, celle de faire cohabiter à la bordure la misère la plus extrême et de l’autre les villas sécurisées de la bourgeoisie. La tour est un lieu clos de protection, mais qui s’avère inefficace comme dans Zombie. Zombies et pauvres sont montrés comme des opprimés, dont l’alliance de circonstances permet de mettre à bas un système oligarchique.
Et ces trois exemples ne sont pas les seuls éléments de la filmographie de Romero. On peut penser à Season of the witch qui dénonce l’aliénation de la femme par le patriarcat ou à Bruiser, qui dénonce la dépossession de soi par le capitalisme.
Candyman de Bernard Rose (1991), dont nous avions déjà parlé sur ce blog. L’histoire suit une jeune chercheuse en légende urbaine dans les HLM américains de Cabrini-Green, où Candyman règne, un être surnaturel apparaissant pour commettre des meurtres sanglant une fois qu’on prononce 3 fois son nom devant un miroir. Le film fixe son intrigue dans les quartiers pauvres et la peur de ses habitants. Il fait vivre à son personnage principal priviléfié le même sort et le même discrédit de la parole que subissent les afro-américains des quartiers. D’ailleurs Candyman est un ancien fils d’esclave affranchi brûlé par des blancs pour être tombé amoureux d’une jeune fille blanche.
La suite du premier film, Candyman (2021) de Nia Dacosta, est encore plus ouvertement politique que le premier. Il dépeint le jeune enfant sauvé par Hélène (l’héroïne du premier opus), devenu adulte et artiste, qui par le jeu du hasard se retrouve à s’intéresser à la légende de Candyman, alors que le quartier de Cabrini-Green dans lequel il a vécu a été rasé pour être racheté par la petite-bourgeoisie blanche.
Vous êtes sans doute au courant, mais les Etats-Unis connaissent un fort taux de violence raciale. Les images de policiers tuant dans des circonstances douteuses des individus afro-américains sont légion. On pense immédiatement à la mort de George Floyd étouffé lors de son arrestation, mais malheureusement c’est un cas parmi d’autres. Les Etats-Unis possèdent l’une des populations carcérales les plus fortes au monde et bon nombre sont des noirs ou des minorités. Le Mouvement Black lives matters a débuté chez l’Oncle Sam : le cinéma américain ne pouvait pas rester neutre, en particulier chez les réalisateurs noirs (c’est le cas présent). En plus de ces phénomènes, il existe une autre sorte de violence plus insidieuse, c’est celle de la gentrification/embourgeoisement des quartiers. C’est un phénomène existant en France, notamment à Paris et dans sa petite couronne, mais qui prend encore une autre tournure Outre-atlantique. En effet, les afro-américains pauvres étaient entassés dans les mêmes quartiers. Or, du fait des rénovations des logements, du prix de l’immobilier, des rachats et des reconstructions, les primo-arrivants ont tendances à être chassés pour laisser place à une petite-bourgeoisie avide de trouver de nouveau logement. C’est ce qui arrive à Cabrini-Green dans le film et dans la réalité : la petite-bourgeoisie blanche remplace les déclassés noirs. Le film gagne à montrer que la bourgeoisie libérale aime s’approprier l’histoire des autres sans contenu critique. Le long-métrage se veut comme une tentative de réappropriation d’un passé par les premiers concernés contre le vol de leur histoire. Ce que Candyman signifie ici : un outil de lutte pour la réappropriation d’une histoire.
Cependant, la critique de la gentrification est assez peu subtile, dans le sens où celle-ci est évoquée à plusieurs reprises comme un message direct au spectateur, à tel point qu’on dirait que la réalisatrice ne savait pas comment bien faire comprendre son message. Autre problème, les violences policières sont totalement évasives jusqu’à la fin du film. Certes, l’un des Candyman est assassiné par la police, mais rien ne nous dit jusqu’à la fin qu’il s’agit d’un problème des temps modernes. D’autre part, l’utilisation de Candyman comme outil de réappropriation culturelle n’est pas positive et penche vers une guerre raciale. L’idée derrière le fait de « ressusciter »[8] Candyman, ce n’est pas de libérer un peuple de l’oppression, mais la vengeance. L’un des personnages l’explique très bien : les blancs les ont chassés de chez eux et veulent reprendre à leur compte le passé des afro-américains, ils reprendront aussi Candyman et sa violence barbare. La seule réponse à l’oppression : la violence aveugle, terroriste, sans perspective de libération. Ensuite, la transformation des origines de Candyman dans ce film pose question et entraîne des contradictions avec le premier long-métrage. Dans l’opus de 1992, Candyman, alias Daniel Roubitaille, est clairement identifié et son histoire avec. Sa motivation principale est de continuer à exister par la crainte de son nom, à l’instar d’un dieu. A la fin, Helene le bat et devient elle-même à cause des habitants du ghetto la nouvelle légende remplaçant Candyman. Dans le film de 2021, il n’y a pas un mais des Candyman, tous victimes de violences raciales. L’esprit de Candyman devient donc un esprit vengeur, celui des noirs assassinés lors de violences raciales. Pourtant, et c’est encore cas dans le film de 2021, il ne s’en prend pas à des blancs mais aux pauvres du ghetto. De même, si Candyman représente uniquement les violences raciales faites aux noirs, on peut se demander pourquoi le personnage principal du premier film devient elle-même la nouvelle incarnation de Candyman à la fin de l’histoire.
Jordan Peele, co-scénariste du dernier Candyman, est un réalisateur afro-américain ayant commencé une carrière d’humoriste avant de prendre la tournure horrifique d’aujourd’hui. Get Out est son premier film, celui qui l’a fait connaître internationalement et qui se veut très personnel. Le long-métrage est réalisé dans la période post-élection d’Obama, où les promesses d’une meilleure qualité de vie pour les afro-américains n’ont pas été tenues. Get out (2017) présente Chris, un jeune photographe afro-américain, qui doit passer un week-end dans la famille de sa copine, des membres de la bourgeoisie blanche. Au cours de son bref séjour les éléments troublants vont s’accumuler, d’autant plus lorsqu’il se rend compte que la mère de famille l’hypnotise.
DANIEL KALUUYA
Le réalisateur a une excellente utilisation de l’identification, car elle nous permet ici de nous mettre à la place d’un point-de-vue que nous avons peu l’habitude de voir au cinéma : celui d’un jeune homme noir au milieu de riches blancs. Des moments en apparence normaux sont là pour montrer l’oppression et le malaise du héros, les autres le regardant comme un être étrange et un objet de curiosité. D’ailleurs le film joue beaucoup sur une inquiétante étrangeté, comme les domestiques noirs qui parlent tout sauf normalement.
La famille Armitage n’est pas raciste en soi. Elle ne déteste pas les noirs, mais elle croit aux clichés racistes sur les noirs (cours vite, danse dans le sang, performances exceptionnelles au lit, etc) et à leur croissante popularité dans la société, qu’ils veulent donc s’approprier pour eux et leurs clients. Grâce à leur technique de transplantation, ils peuvent se faire beaucoup d’argent en vendant le corps de jeunes hommes noirs à des riches blancs. Rien ne prouve dans le film qu’ils n’ont pas fait ça à d’autres communautés. C’est juste que pour eux les noirs seraient plus demandés car porteurs de meilleures qualités. A la limite, le plus raciste des membres de la famille se trouve être le frère de la copine du héros, le plus ouvertement hostile à Chris. La fille, la copine du héros donc, est l’équivalente d’un philosémite : elle aime les noirs pour leurs clichés racistes et, lors d’une scène, où on la voit dans sa chambre, habillée en chasseuse avec derrière elle les photos de ses victimes, tout en cherchant des photos de basketteurs afro-américains, on peut penser qu’elle est vraiment attirée sexuellement par les jeunes noirs, ce qui explique qu’elle éprouve un grand plaisir à ramener ses proies à sa famille. Et par ailleurs, c’est un détournement de la vieille idée raciste voulant que les noirs s’en prennent aux jeunes filles blanches.
Le marchand d’art lui ne croit pas à ces préjugés. Cependant, il réalise une appropriation culturelle en souhaitant récupérer le corps de Chris, afin de pouvoir retrouver la vue et voir ce que perçoit Chris.
Us (2019) est le second long-métrage de Jordan Peele. Le film suit une famille afro-américaine de la petite-bourgeoisie est confrontée à leurs clones qui souhaitent les remplacer. Contrairement à Get out, c’est moins une question de racisme que de classisme, c’est-à-dire le racisme de classe, le fait de déconsidérer les pauvres.
Ici les reliés, les doppelgangers, sont des êtres clonés par le gouvernement pour pouvoir contrôler ceux de la surface en leur faisant refaire exactement les mêmes gestes (comment ? on ne sait pas), mais qui ont une personnalité différente de l’original. Ils représentent les pauvres qui, bien qu’en tout point similaire à leurs homologues de la surface, sont laissés dans la précarité la plus totale et dont les choix sont dictés par ceux d’en haut (comment ? on ne sait pas). L’un des clones énonce qu’ils sont des Américains comme les autres malgré leur précarité. Ils organisent la révolution des déclassés qui se propage dans tout le pays. Cependant le film s’attarde à dénoncer le classisme, c’est-à-dire le racisme de classe, et non les méfaits de la répartition en classe. Les reliés ne sont pas tout à fait des prolétaires dans le sens où ils ne sont pas exploités dans leur force de travail. Si on compare aux ouvriers dans Metropolis de Fritz Lang, obligés de vivre dans les bas-fonds à faire fonctionner les machines pour les riches du dessus, les reliés n’ont pas d’impact sur le train de vie des gens de la surface, ni positivement ni négativement. Chacun est plus victime d’une expérience du gouvernement qu’une victime du capitalisme. La haine de classe a des raisons objectives mais est mal retranscrite dans le film. De manière générale le propos est moins intéressant et pertinent que dans Get out. In fine, le long-métrage semble pencher vers une réconciliation des classes plus qu’à une abolition de celles-ci.
Enfin, parlons d’un genre méconnu : le gothique tropical[9]. Ce sont des histoires d’épouvante prenant place dans les paysages de la forêt amazonienne, mélangeant fantastique et horreur pour dénoncer le néocolonialisme et le capitalisme. C’est d’abord un sous-genre littéraire, créé par Alvaro Mutis avec son livre La mansion de Araucaima, couplant les thèmes du cannibalisme avec le passé esclavagiste et la réalité néocoloniale de l’Amérique latine. Le Groupe Caliwood, une bande de réalisateurs colombiens anticapitalistes, vont en faire un genre cinématographique et parler politique. Ils voulaient un cinéma d’horreur bon marché et démystifiant les horreurs de la violence et de la misère. Durant les années 80 en Colombie, la classe supérieure est une partie minoritaire de la population ayant le pouvoir sur les institutions économiques et politiques.
Pura sangre (1982) de Luis Ospina, un réalisateur colombien, est un exemple du gothique tropical au cinéma. Un riche homme malade a besoin de sang de jeunes hommes pour continuer à vivre. Son fils fait chanter ses domestiques, des assassins-violeurs, pour lui trouver du sang frais. Ainsi commence une série de meurtres barbares.
Le film s’inspire d’une véritable affaire, celle du monstre de Mangones, un tueur en série colombien jamais arrêté ayant sévi des années 60 à 70, tuant et violant de 30 à 38 préadolescents de Cali. Plus précisément l’histoire s’inspire d’une rumeur lancée à propos de ce tueur : il serait en réalité un homme riche atteint d’une leucémie ayant besoin du sang de jeunes victimes. Par ailleurs, la Colombie est un pays connu pour sa grande violence et ses affrontements de classe, ainsi que sa grande dépendance aux Etats-Unis. Le film montre un riche vivre littéralement du sang du peuple avec l’aide de ses complices. L’image du vampire sert à comparer la bourgeoisie régnante à un monstre vivant de la force vitale d’autrui. Cette image démonte la soi-disante respetabilité des bourgeois, car ils tirent toutes leurs richesses des travailleurs.
Carne de tu Carne (1983) de Carlos Mayolo, lui aussi colombien et membre de Caliwood, se déroule durant la dictature militaire. Une famille aisée est réunie pour l’enterrement de la matriarche. Obligé de fuir lors d’une explosion, deux jeunes membres de cette famille vont développer une relation amoureuse incestueuse, avant d’être possédés par les fantômes de leurs ancêtres, les transformant en des êtres cannibales et vampiriques[10].
Comme dans Pura sangre, le film part d’une histoire vraie, l’explosion à Cali de plusieurs dépôts de munitions de l’armée causant plus de 1300 morts, afin d’amener à un récit fantastique, tout en implantant l’horreur dans une période historique bien particulière.
Le gothique tropical dépeint un paysage d’horreur où toutes les interactions sociales sont condamnées, où même l’amour est incestueux. Toutefois, avec un message politique clair et assumé, tourné vers le remplacement d’une élite parasitaire, de même que son réalisme historique, le gothique tropical montre la lumière au bout du tunnel, celle d’une révolution renvoyant ceux qui le méritent aux poubelles de l’histoire. C’est ce qui se rapproche le plus d’un véritable cinéma d’horreur matérialiste.
[1] Sans que son propos soit le même que celui développé ici, la dernière vidéo de la chaîne En tout genre à propos de la définition du cinéma de genre, fait une intéressante distinction entre cinéma de genre et cinéma d’exploitation.
[2] Cela nous offre un avant-goût du film Existenz.
[3] Numéro spécial de Mad Movies, juillet 2022, sur David Cronenberg.
[4] Je ne développe pas plus, j’avais rédigé un article au sujet de ce film, intitulé « Kaïro : solitude mortelle au pays des fantômes ».
[5] De même, vous trouverez une critique plus complète de ce film sur le blog. « Retribution : du passé faisons table rase ».
[6] Je connais mal l’histoire du Japon, donc je ne saurais trop m’avancer, mais il me semble que les Japonais ont un rapport particulier quasi-féodal avec le travail.
[7]George A. Romero : un cinéma crépusculaire. Sous la direction de Frank Lafond.
[8] Les termes sont entre guillemets, car il y a un vrai problème de cohérence dans l’œuvre, sur laquelle je ne m’attarde pas. Toutefois, pour donner une idée de ce que je veux dire : Candyman n’a pas besoin de ressusciter, il existe déjà dans le film et nous le voyons commettre plusieurs meurtres sans mal avant sa résurrection officielle.
[9] Cette partie vient directement de la vidéo sur le même sujet de la chaîne Vidéodrome.
[10] La créature est inspirée d’une légende indigène, celle de la Madremonte.
L’opinion dominante veut que le cinéma d’horreur fût inexistant en URSS (sauf une exception) et, si on se renseigne un peu sur le sujet, on peut être amené effectivement à penser que le cinéma soviétique en est dépourvu. Le genre horrifique ne s’est pas développé comme la science-fiction (le sujet d’un précédent article). Parce que la culture russe et la culture occidentale sont trop différentes pour que ce genre s’imprègne en Union soviétique ? Certains le pensent. Toutefois à y regarder de près, ce genre de théorie essentialiste ne permet pas de comprendre pourquoi la SF a pu se développer, ni un cinéma profondément occidental dans son essence, le western. En effet, en URSS il existait un tel genre cinématographique, reprenant soit directement les codes du Western (son espace géographique), mais en dépeignant les Indiens davantage sous un jour positif, d’être moins violent et amoral que les compères italiens ou américains, soit en plaçant directement l’intrigue en Union soviétique (on appelait ça les Ostern (1) ), plus précisément dans les Républiques asiatiques, pendant la guerre civile (1918-1921) et la décennie suivante.
Un critique, Andreï Kozovoï, a tenté de répondre à cette absence dans un article « Un genre en miettes ? Retour sur l’absence du film d’horreur dans la Russie soviétique », paru en 2008 dans la revue 1895, Revue de l’association française de recherche sur l’histoire du cinéma. Selon lui, le cinéma d’horreur se trouvait « en miettes » dans le cinéma d’Union soviétique : c’est-à-dire que des éléments empruntés au cinéma d’horreur étaient visibles, sans que les films ne soient totalement des films d’horreur. Toujours pour l’auteur, c’est ce qui a permis par la suite au cinéma de Russie de pouvoir faire émerger des films d’épouvante. Le début de ces « miettes » serait dans les années 40, mais de manière assez rare jusqu’aux années 60, les réalisateurs utilisant surtout les détails ignobles pour caractériser l’ennemi politique du moment. C’est vraiment à partir des années 60 que ces détails deviennent plus présents. Le plus célèbre exemple des années 40 est Kachtchei l’immortel (1944) d’Aleksandr Ro’ou, adaptation d’une légende russe. L’acteur principal, Gueorgui Milliar, est habitué à jouer les monstres du folklore russe, celui-ci ayant déjà interprété la sorcière Baba Yaga dans un autre film. Il est vrai que son allure à la Dracula et à la Frankenstein lui permet de jouer facilement ces rôles. Le film s’inscrit totalement dans la période historique de production : le héros est autant amoureux de sa belle que de sa patrie, envahie par une armée étrangère ressemblant fortement à l’Allemagne nazie, qu’il s’agit de délivrer. La poussière argentée (1953) d’Abram Room, est dans son cas un film d’aventure montrant des nazis transformant des afro-américains en sorte de zombies. L’expérience du docteur Abst (1968) d’Alexandre Timonichine, dépeint encore des nazis faisant des expériences sur des soviétiques, là aussi transformés en zombie. C’est le moment pour nous de rappeler que les pertes de l’Armée rouge durant la Seconde guerre mondiale furent colossales et que cela a constitué un véritable traumatisme pour la population soviétique (2). Des éléments horrifiques peuvent aussi se trouver, mais c’est seulement mon avis personnel, dans Les chevaux de feu (1968) de Paradjanov. Le film part du folklore ukrainien et nous présente tout de même un fantôme hantant le personnage principal et synonyme de mort pour lui, et de l’autre un sorcier maléfique dont les pouvoirs semblent bien réels. L’esprit malin du Yambouï (1978) de Boris Buneev, reprend des codes du cinéma d’horreur : une musique lugubre, des personnes croyant au surnaturel, de l’hémoglobine et plusieurs plans sur des scènes plus ou moins dégoutantes. Seulement ici, il s’agit d’une croyance en un esprit maléfique qui se trouvera finalement être un ours géant et cannibale. Toutefois il s’inscrit davantage comme un film d’aventure. Jour de colère (1985) de Sulambek Mannilov, voit un scientifique créer des créatures pour le servir, les Atarks, en reprenant les thèmes de L’Île du docteur Moreau d’H.G. Wells. Cependant, il y a deux films qui ne comportent pas des « miettes » mais qui reprennent ouvertement les codes des films d’horreur : il s’agit de Vij (1967) et de La chasse du roi Stakh (1980). Vij raconte l’histoire de Khoma, un jeune séminariste, qui tue une sorcière lui jouant des mauvais tours, mais doit par un tour de celle-ci veiller sur son corps pendant trois nuits. Celle-ci va alors utiliser ces nuits pour tenter de se venger du membre du clergé. Contrairement à d’autres films soviétiques, la présence fantastique est réelle. L’histoire est tirée d’une nouvelle de Nicolas Gogol s’inspirant des légendes ukrainiennes, peuple dont il est issu. Son récit avait déjà été adapté en 1909 et en 1916. Une interprétation en avait été faite dans le célèbre film de Mario Bava Le masque du démon (1960). Au départ le film ne semble pas horrifique. Lors de la première scène avec la sorcière (où elle transporte littéralement le personnage dans les airs), la musique est féerique plus qu’angoissante. Elle est même légèrement mélancolique lorsque Khoma tue son bourreau. Nous commençons à rentrer dans l’ambiance lors d’une scène de beuverie hallucinatoire, dans une taverne où l’ont amené les paysans qui doivent le conduire à la chapelle où repose celle qu’il a tué. On le voit difficilement tenter de chercher une échappatoire, sans qu’aucune de ses tentatives n’aboutissent. Puis l’épouvante devient totale lors des trois nuits de veille du corps, avec les moyens classiques : sons, lumière et montage rapide. La dernière nuit étant la plus horrifique avec l’apparition des monstres, dont le fameux Vij, roi des gnomes, qui gardent un certain charme aujourd’hui malgré certains effets spéciaux datés. Ceux-ci sont de la main du maitre Alexandre Ptouchko (1900-1973), qui a beaucoup travaillé dans l’animation, particulièrement avec des poupées et des marionnettes. A son actif nous trouvons des films comme Le nouveau Gulliver (1935), Le tour du monde de Sadko (1953) et Rouslan et Ludmila (1972). Bien que la majorité de ses films soient pour les enfants, Ptouchko a déjà oeuvré avec ses productions sur le fantastique et le folklore slave. C’est le studio qui lui a demandé d’aider les deux jeunes réalisateurs inexpérimentés de Vij, Constantin Erchov et Gueorgui Kropatchiov (3). Le film semble influencé aussi bien par le cinéma fantastique russe (ce qui n’est pas surprenant) que par la Hammer. Le héros n’est pas personnifié par sa bonté mais justement par ses imperfections. Tour à tour pleurnicheur, peureux, alcoolique, vantard et menteur, Khoma est l’incarnation des défauts humains. Vij rencontra un vif succès avec 32,6 millions d’entrées. La chasse sauvage du roi Stakh (1980) de Valeri Roubintchik, narre le récit d’un architecte ayant débarqué dans un vieux château de Biélorussie (période tsariste) appartenant à une famille noble. La plus jeune de cette famille semble hantée par la malédiction qui touche sa famille, suite à la trahison de l’un de ses ancêtres envers le roi Stakh lui ayant permis d’acquérir ses terres. Une trahison qui amène chacun de ses descendants à connaitre une mort précoce par la chasse sauvage du fameux roi. Les évènements mystérieux s’enchainant, le jeune héros va tenter de découvrir ce qui se cache derrière cette légende. Classer ce long-métrage en horrifique peut être trompeur. Le film reprend une atmosphère lourde, une menace sourde et des apparitions qui semblent cauchemardesques au premeir abord, mais en fait le long-métrage est un énorme hommage au gothique, et notamment à des auteurs comme Ann Radcliff et Horace Walpole. En effet, on retrouve l’entièreté d’une histoire gothique (4) : un château immense, une famille aristocrate, un héros noble, une sombre malédiction pesant sur la famille, une présence fantastique supposée, un mystère entourant les lieux et les habitants. Mais là où La chasse fait vraiment penser aux premières œuvres gothiques, c’est que les évènements mystérieux… finissent par s’expliquer rationnellement ! Il s’agissait simplement d’un complot pour récupérer un héritage. La fin est tragique d’ailleurs pour les instigateurs de celui-ci. Le film a connu un petit succès en URSS avec 11,3 millions de spectateurs au box-office. Mais pourquoi n’y en a-t-il pas plus ? Pourquoi un sous-genre de l’horreur, un équivalent de l’Ostern pour le Western, n’est-il pas apparu en URSS ?
En URSS le cinéma était considéré comme un service public (5). Les créations cinématographiques devaient être au service de principes culturels et esthétiques précis. Les processus de production et de distribution en étaient les garants. Pour qu’un studio (il n’en existait pas qu’un) produise un long-métrage, il fallait que le Goskino en accepte le scénario. Cet organisme pouvait prodiguer des conseils politiques aussi bien que créatif, mais ne censurait pas à tous les coups. L’intelligentsia du Parti communiste d’URSS a toujours été très dure avec le cinéma d’horreur, malgré des périodes d’accalmie, en particulier celles où le cinéma soviétique importait beaucoup de films étrangers pour renflouer les caisses (cela a été le cas avec le film Orca) (6). Les critiques adressées sont multiples :
– détournement des questions de la vie réelle par des éléments fantastiques ;
– reflet capitaliste du quotidien dans l’horreur ;
– le caractère addictif de ce genre de production ;
– un outil de l’impérialisme.
On le voit, dans les critiques de l’intelligentsia soviétique il y a un peu de tout, y compris des remarques qui peuvent nous sembler ridicules, voire conservatrices. Au sujet du détournement de la vie réelle, c’est une vraie question qui se pose depuis longtemps. Je ne vais pas revenir sur les questions de distanciation au sein de la démarche brechtienne, j’en ai déjà trop parlé dans les articles précédents. Il n’importe plus de filmer le monde mais de le transformer. Donc comment faire ? Des artistes ont préféré représenter des ouvriers et la vie réelle pour parvenir à ce point. C’est vrai que si on met beaucoup en avant l’aspect métaphorique de tel ou tel film d’horreur, on en constate peu d’impacts sociaux, encore moins de révolte. A la limite il s’agirait d’un reflet de notre réalité dans ce qu’elle a de plus terrifiante. Mais on pourrait se demander si n’importe quel film, n’importe quelle œuvre d’art, à jamais pu changer le monde. Était évoqué un aspect impérialiste. Dans l’article de Kozovoï cité plus haut, il était critiqué une diffusion de Thriller, le clip de Michael Jackson, à Buenos Aires. Dans le cadre du plan Marshall effectivement, ces films furent diffusés en masse, au même titre que les autres productions américaines, dans le but de faire un profit important tout en imposant une certaine uniformité culturelle en faveur des Etats-Unis. Mais d’autres pays ont un cinéma d’horreur sans qu’il y ait particulièrement une visée impérialiste, à l’instar du Japon ou de l’Italie.
Nous avons donc vu qu’il existait bien des éléments d’horreur dans le cinéma soviétique, mais qui n’ont jamais pu se développer pendant la durée d’existence de l’URSS, à cause de facteur interne et idéologique, mais qu’il ne s’agit pas d’un rejet de tout ce qui est occidental, car cela n’expliquerait en aucun cas la présence de la science-fiction et du Western.
(1) « Ostern : les particularités des westerns à la soviétique », Russia Beyond, par Vadim Davydenko et Rossiyskaya Gazeta, 08/07/2014.
(2) Relire notre critique sur le dessin animé Vasilyok.
(3) « Vij ou le diable : l’horreur gothique d’après Nicolas Gogol », 18/03/2021, ON-mag.
(4) « La chasse sauvage du roi Stakh, film gothique soviétique », Le mag du ciné, Hervé Aubert, 2019.
(5) Je reprends ici ce que disait le collègue du blog T’en poses des questions dans son double article au sujet de Serguei Paradjanov, « Miniatures arméniennes et cinéma soviétique ».
(6) C’est l’objet d’une partie de l’étude de Kozovoï que nous ne retranscrivons pas ici.
Juste avant de poursuivre mon étude sur le mouvement ouvrier et le cinéma d’horreur, en portant mon attention sur le genre horrifique en URSS, il me semblait approprié de parler d’un genre cinématographique très présent dans le cinéma soviétique : la science-fiction.
Son histoire est assez complexe dans le premier pays socialiste, car le genre n’a pas toujours été favorisé par les autorités, mais en même temps logique : la révolution socialiste devant amener une nouvelle organisation de la société, où les survivances de l’ancien régime tsariste et du capitalisme auraient disparus, où le monde serait libéré de l’exploitation, qui aboutirait à l’harmonie du genre humain. Cette nouvelle société, novatrice et seulement rêvée jusqu’ici, il fallait bien l’imaginer. Quoi de mieux dans ce cas que la science-fiction ? L’alliance de la science et des histoires fantastiques afin d’envisager l’avenir ! Cela aboutit aux héros de l’auteur du roman La nébuleuse d’Andromède, Ivan Efremov[1], qui incarnent tellement la perfection qu’ils en sont inhumains par moment.
Le socialisme défendu par les bolchéviques se voulant scientifique, il est normal que cette volonté de « faire science » se retrouve dans le cinéma d’URSS, et donc dans l’aspect proprement scientifique des histoires de SF. Cela peut paraitre idiot de dire cela, mais c’est pour souligner qu’on ne parle pas ici de soap opera ou de films d’anticipations comme en Occident. C’est pour cela que dans son développement la SF soviétique aura une tendance à la vraisemblance (par rapport aux connaissances d’alors). Ainsi des romans d’Alexandre Belaïev, du film Le voyage cosmique (1936) ou du Chemin vers les étoiles (1957)[2]. De même durant la période de répression stalinienne, il existe une SF dite « à visée proche »[3], c’est-à-dire se passant tout au plus 10 ans plus tard que la date de production du film/livre, afin de rester soutenable au niveau scientifique et éviter toute fantaisie.
Le genre, aussi bien en littérature qu’au cinéma, était très populaire mais ne recevait pas de financement mirobolant des studios pour produire ce type de scénario. La plupart des films de science-fiction soviétique sont mêmes souvent avec un petit budget et des effets spéciaux que l’on peut qualifier aujourd’hui de kitsch.
Cependant dans le cadre d’un évènement historique, certains de ces œuvres vont connaître une période de pleine lumière : la conquête spatiale.
Le 4 octobre 1957, l’URSS réalise l’exploit d’envoyer dans l’espace le satellite Spoutnik. C’est exploit énervera les Etats-Unis au plus haut point et débutera la course à l’espace entre les deux pays rivaux. En novembre 1957, les soviétiques envoient le premier animal vivant dans l’espace, la chienne Laïka. En 1958, les USA lancent leur propre satellite Explorer 1. Le 31 janvier 1961, les Etats-Unis sont les premiers à envoyer un chimpanzé dans l’espace. Youri Gagarine devient le 12 avril 1961 le premier humain à aller dans l’espace. Le 16 juin 1963, ce sera la cosmonaute russe Valentina Terechkova à être la première femme à se rendre dans l’espace. La première sortie humaine dans l’espace sera réalisée par le soviétique Alexei Leonov le 18 mars 1965. Les premiers pas de l’Humanité sur la Lune seront ceux de l’américain Neil Armstrong le 20 juillet 1969.
C’est dans ce cadre que va naître le film dont nous allons parler aujourd’hui.
La SF soviétique se compose de divers titres comme Aelita (1924), racontant l’histoire d’amour d’un jeune soviétique pour une princesse marsienne, tandis que la révolte des esclaves de Mars gronde. Le voyage cosmique (1936) pour sa part raconte le voyage sur la Lune d’une expédition. L’appel du ciel (1959) dénoncent la compétition internationale dans la course à l’espace. Un rêve devient réalité (1963) narre la rencontre entre la Terre et une civilisation extraterrestre. Solaris (1972) de Tarkovski, bien entendu. Cet univers se retrouve aussi dans l’animation. Ces films, pour la plupart en tout cas, manifestent beaucoup d’espoir dans le développement technologique qui nous permettrait d’améliorer la vie, aller sur une autre planète, discuter avec des peuples extraterrestres, etc.
Et il y a un grand nom dans la SF soviétique : celui de Pavel Klouchantsev[4]. Né en 1910 et décédé en 1999, il s’agit du pionnier de la SF de son pays, d’un maitre des effets spéciaux qui créa son premier studio dans les années 30. C’est surtout dans le cadre de la course à l’espace qu’il va pouvoir développer son œuvre, notamment en termes de créations d’illusions pour rendre le tout spectaculaire. Il réalise le Chemin vers les étoiles en 1957. Ayant coûté cher à réaliser, il obtient à la dernière minute le soutien des autorités politiques pour le plein financement, le film sortant peu après l’envoi réussi du satellite Sputnik, qui sera d’ailleurs incorporé dans le moyen-métrage pour l’occasion. Il y a tenu lourdement car il voulait « imaginer le futur, pour montrer que la vie peut être radicalement changé ». Lui aussi tient à la crédibilité de ses films, et c’est pour cela que tout le monde a été impressionné par le réalisme de son œuvre, y compris en ce qui concerne l’absence de gravité dans l’espace. Des extraits du film seront même diffusé aux Etats-Unis. Après une tentative avortée de faire un film montrant de concert des vaisseaux de différentes nations (y compris Etats-Unis et URSS) partir visiter l’espace en harmonie (nous sommes à la période des tensions entre les deux pays) sous le titre Pierre de Lune, Klouchantsev va réaliser le film dont nous parlerons plus loin, La planète des tempêtes. A nouveau en 1965 il réalisera un moyen-métrage mi-éducatif mi-fictionnel montrant les soviétiques aller sur la Lune, sobrement intitulé Lune, avec beaucoup de détail de ce que serait la vie dans une station spatiale. En 1968, il réalisera Mars. Renvoyé des studios en 1972, il sera par la suite oublié dans son pays et il mourra dans la misère durant l’ère des années 90 en Russie.
La planète des tempêtes raconte l’histoire d’une expédition spatiale vers la planète Venus afin de l’explorer. L’un des vaisseaux est détruit par une comète et l’équipage de la navette restante décident de maintenir leur mission pour découvrir une nouvelle civilisation.
Le fait que ce soit Venus n’est pas totalement anodin. Dès 1961, la planète est devenue un objectif du programme spatial soviétique[5]. Dans le cadre du programme VENERA, environ une trentaine de sondes furent envoyées entre 1961 et 1985, ce qui a permis notamment d’avoir quelques images de Venus. D’ailleurs vu la chaleur et la pression atmosphérique, il est très peu probable qu’un cosmonaute puisse s’y poser, mais ces éléments n’étaient pas connus lors de la sortie du long-métrage.
Pour revenir au film, celui-ci est un trésor au niveau des techniques d’effets spéciaux dans le but de rendre crédible ce que le spectateur voit à l’écran. Certes, maintenant certains plans semblent très kitsch, et on peut rire devant les costumes des dinosaures (Venus serait au stade préhistorique), mais certains plans restent magnifiques. Par exemple, lors de l’attaque sur un cosmonaute d’une sorte de plante carnivore géante, qui l’attrape pour mieux le dévorer. En fait la scène a été tournée à l’envers : en réalité les cosmonautes se dégagent de la fleur alors que dans le film on a l’impression qu’ils se font attirer par elle. D’autre part la scène sous l’eau a été en réalité tournée en plateau avec des aquarium et des fumigènes afin de laisser croire à une scène réellement sous-marine.
Le robot John est aussi une surprise du long-métrage. Ses mécanismes sont riches de détails, afin de le rendre réaliste (pince, moteur, fils, etc). Il fait penser à certains égards à Robby de Planète interdite (1956). Ses fonctions de robot sont de faire des analyses sur les atterrissages et protéger l’équipage. Mais il se montre très vite en roue libre lorsque certains calculs le font divaguer et l’amène à penser qu’il est supérieur aux humains, ce qui le rend inapte dans certaines situations, car malgré tout il a une raison froide mais pas de conscience lui permettant de bien analyser les évènements. Un élément que regrettera son créateur, le seul des cosmonautes à préférer la robotique, plus parfaite à ses yeux, que l’Humanité.
A l’instar d’autres productions de SF, nous avons droit à une débauche de technologie comme dans les années 30 (le générique montre le tableau de bord d’un vaisseau). Le réalisateur rajoute cependant un peu de dilemme aux personnages, comme l’attente face à l’inconnu, le fait d’aller sauver des collègues au risque de saborder la mission, le fait de continuer une mission après la mort tragique d’un équipage et l’opposition homme-machine.
Les astronautes ont l’occasion d’énoncer plusieurs théories concernant une potentielle civilisation avancée sur Venus, suite à la découverte de certains objets. Ils se demandent notamment comment il peut exister une civilisation en pleine évolution dans une planète encore arriérée. Est-ce qu’il s’agit d’une race extraterrestre ayant colonisée Venus et qui aurait régressée ? Peut-être est-ce qu’il est arrivé la même chose sur la planète bleue ? D’ailleurs on constate à la fin, à travers une sorte de masque vénusien, que leur visage est quasiment identique à celui de l’espèce humaine.
Le but de Klouchantsev à travers son film : montrer une utopie avec une société chaleureuse et une nouvelle race d’homme. Ici les scientifiques font partie d’un monde pacifié et cherche juste la découverte, pas la conquête, et ils restent unis.
Pour qui le film est tourné ? C’est vers le peuple soviétique, afin de le faire rêver à un avenir prospère et humain, un avenir socialiste. Et montrer les succès de la conquête spatiale (le réalisateur était personnellement très attaché à ce que ce soit les soviétiques qui gagnent la course à la Lune).
Le film n’a pas forcément été apprécié par la Commissaire à la culture de l’époque, Yekaterina Furtseva, à cause de la femme cosmonaute qui pleure, ce qui n’empêchera pas le réalisateur de continuer à travailler encore 10 ans. Le film fut d’ailleurs un succès avec 20 millions de spectateurs l’ayant vu dans le monde entier.
Le producteur Roger Corman en rachètera les droits pour en faire deux films avec des bouts du long-métrage de Klouchantsev : Voyage sur la planète préhistorique (1965) et Voyage to the Planet of Prehistoric Women (1968).
[1] Adapté en 67 au cinéma. Malgré quelques bonnes idées, le film souffre de plusieurs longueurs.
[2] Ce dernier a été réalisé avec les conseils du créateur du programme spatial soviétique.
[3] « La science-fiction soviétique », chaîne Enfants de l’Est, 11/02/2021.
[4] « Klushantsev (Klouchantsev) : le pionnier cinéma de SF russe », un documentaire d’Arte.
[5] « VENERA – L’incroyable exploration de Venus par l’URSS », chaîne de Hugo Lisoir, 23/05/2019.
Une fois une généalogie succincte faite, intéressons-nous aux liens entre cinéma d’horreur et mouvement ouvrier. Nous le verrons, les relations ne sont pas vraiment fraternelles.
Comme j’ai pu l’évoquer dans l’introduction, le mouvement ouvrier s’est inscrit dans la lignée des mouvements rationalistes issus des Lumières, et donc la lutte contre la superstition s’y trouve toujours en creux. La raison, celle qui est le point de départ de tout, c’est la faculté des êtres humains de pouvoir réfléchir sur leur monde en cherchant la vérité. Il ne s’agit donc plus ici de se baser sur la foi ou la croyance pour agir, mais sur la science, celle-ci permettant à terme de libérer les êtres humains de leur esclavage. Karl Marx se réclamait de Hegel, même si c’est pour replacer sa dialectique sur ses pieds, qui lui-même se réclamait des Lumières et de la Révolution française. Le philosophe allemand parlait d’ailleurs à propos de son socialisme de socialisme scientifique, car il restait encore beaucoup d’aspect utopique dans la première pensée socialiste (pour résumer, on entend par là des pensées qui souhaitent un monde idéal sans regarder comment le créer dans la réalité). Il décida de faire l’analyse des classes sociales et du fonctionnement du capitalisme. Ses successeurs directes reprendront ce terme de « socialisme scientifique » et l’approfondiront en ayant toujours à cœur de faire « l’analyse concrète d’une situation concrète » (Lénine). On verra Lénine faire l’analyse scientifiquement de l’impérialisme, Rosa Luxemburg des problèmes du réformisme bersteinien, de même que des personnes comme Ho Chi Minh et Ernesto Guevara écrire des textes théoriques pour les militants.
L’éducation était un moyen important pour les socialistes/communistes afin d’élever la conscience de classe du prolétariat, partant du principe que sans moyen de réflexion aucune conscience de classe n’est possible[1]. En 1918, l’URSS lançait un programme d’alphabétisation de la population entre huit et cinquante ans[2], dans un pays particulièrement arriéré. Et le programme fut mené à terme avec l’aide de toutes les bonnes volontés. Lénine disait dans Les tâches des unions de la jeunesse, 2 octobre 1920, que l’école « doit donner à la jeunesse les bases de la connaissance » pour en faire des « hommes cultivés ». Les gros retards de l’URSS seront rattrapés en 20 ans, notamment grâce à celle qui s’occupa de l’organisation du système éducatif soviétique, c’est-à-dire Nadejda Kroupskaïa. Cuba a pris des mesures dans les années 60 pour alphabétiser sa population[3], ce qui la fait devenir le pays d’Amérique latine où l’analphabétisme a disparu. L’Île a aussi mise en place le programme « Eduque ton enfant »[4], à travers l’Institut Central des Sciences Pédagogiques, à destination des familles vivants dans les campagnes ou dans les montagnes n’ayant que peu accès aux Cercles infantiles[5] afin de les préparer à la vie en société, à l’intégration scolaire et aux mesures d’hygiènes. 70% des enfants en âge périscolaire participent à ce programme. L’UNICEF déclare d’ailleurs Cuba « paradis de l’enfance » et champion du monde de la protection des droits des enfants.
Ce besoin d’éducation se ressent dans les films réalisés en URSS. Lors de la Révolution d’Octobre une grande partie de la population de la Russie impériale était des paysans illettrés. Le but du cinéma ici était d’abord de diffuser les thèses marxistes et ce que mettait en place comme politique le gouvernement bolchévique. Le cinéma avait une première vocation didactique et les films éducatifs étaient la norme, notamment contre l’alcoolisme ou des documentaires sur certaines parties de l’URSS nécessitant des améliorations techniques, comme du Sel pour Svania de Kalatozov. C’est aussi l’objectif poursuivi par Eisenstein dans ses premières œuvres et dont nous avions déjà parlé ici[6]. Précisément, dans le cas de l’immense réalisateur, il s’agissait d’éduquer politiquement le peuple pour construire le pouvoir des travailleurs. Le septième art a vocation à montrer en acte la solidarité de classe de tous les travailleurs contre l’exploitation, ainsi que les innovations techniques par lesquels on construira le socialisme. La question : est-ce que le cinéma d’horreur peut avoir ce but éducatif ? Destiné à effrayer, provoquer la panique, éventuellement à questionner, jouer sur la peur de l’inconnu, il n’a tout simplement pas les mêmes objectifs que la politique poursuivie par les premiers cinéastes révolutionnaires. Est-ce que la représentation des pauvres dans Massacre à la tronçonneuse peut aider à rapprocher les peuples en Amérique ? Si on pose comme ça la question, bien sûr que non, mais en faisant fi de l’objectif du film, ce qui est complètement sans intérêt.
En littérature, le philosophe et théoricien de l’art hongrois Georg Lukacs défendait un réalisme traditionnel. Les romans de Sir Walter Scott et d’Honoré de Balzac avaient selon lui un caractère révolutionnaire, car leur politique nostalgique pré-aristocratique permettait des positions précises et critiques de la bourgeoisie montante. Même s’il reconnait que les écrivains de cette tradition réaliste ont abandonnés cette position avec la révolution de 1848, où il n’était plus possible de critiquer durement la bourgeoisie face au prolétariat montant.
Le mouvement ouvrier s’oppose donc à la superstition, qui peut se définir comme un système de croyances plus ou moins farfelues basées sur des éléments magiques ou inexpliqués. Elle peut faire croire tout et n’importe quoi et asservit les hommes qui sont censés la prendre pour véridique au lieu de se faire une opinion en se basant sur la réalité des faits. Or ce qui est reproché au fantastique, c’est de jouer sur la superstition et la croyance aveugle, ce qui avait d’ailleurs été retorqué à Walpole à son époque. La superstition est aussi très souvent associée à la coutume et a des anciennes civilisations barbares, dont il faut se défaire. Nous avions cité lors d’un article précédent L’exorciste comme œuvre horrifique ayant servi à la diffusion d’un discours religieux orthodoxe, afin de remettre sur le devant de la scène la présence du démon comme réalité. Ceci pour montrer que la superstition, associé à une certaine forme d’organisation désuète de la société, peut servir une politique réactionnaire.
Le fantastique créé une distance avec le monde pour mieux lui échapper, a contrario de la distanciation chez Brecht, dramaturge communiste, dont j’avais déjà parlé dans un article sur le film Les bourreaux meurent aussi, qui permet selon lui de faire réfléchir le spectateur en lui montrant certains éléments de société sous un autre angle, de le sortir de sa passivité et de transformer le monde. Tandis que le fantastique offre une échappatoire au monde, l’art socialiste vise plutôt à ramener sur terre afin de faire travailler la majorité à un changement de société dans le but de créer la fameuse société communiste. A titre d’anecdote, et toujours avec Brecht, l’une de ses pièces, La décision, qui voyait quatre militants jeunes communistes obligés d’exécuter l’un de leur jeune camarade dont les positions gauchistes risqueraient de mettre à mal leur mission, ne devait pas être joué en public, mais de faire jouer le rôle du jeune exécuté par un ouvrier (tous les autres étant des acteurs professionnels) afin qu’il comprenne ses erreurs et puisse s’élever par l’entremise d’un autre personnage.
J’avais lu récemment un article sur le blog Bon chic Bon genre intitulé « [ZOOM] Pourquoi tous les films sont politiques » (décembre 2021) à propos du concept de « Tout est politique », très utilisé par les critiques de gauche du cinéma sur internet. Ce qui m’a frappé dans celui-ci, dont l’auteure adopte un point-de-vue résolument post-moderne, c’est que l’identification devient le but ultime d’un film. C’est-à-dire que le spectateur cherche avant tout en allant voir une œuvre à s’identifier avec les personnages, à ressentir ce qu’ils ressentent. C’est très réducteur. Certes l’identification peut jouer un rôle positif, si par exemple le but c’est de montrer un personnage réalisant certaines bonnes actions et qu’elles nous poussent à faire de même, ou bien en nous faisant épouser un point-de-vue inhabituel, mais malgré tout son aspect purgateur des passions endort le spectateur qui souhaite juste passer un bon moment. Celui-ci ne réfléchit pas forcément sur ce qu’il voit et la portée de certains messages peut lui échapper. C’est selon moi le cas de la saga Matrix dans une certaine mesure, dont la trop grande identification avec les personnages cache le message véhiculé par la saga. C’est d’ailleurs sans doute pour cela qu’il y a davantage de distanciation et un regard ironique dans le dernier volet, Matrix résurrections, qui prend un plaisir intelligent à l’autoréférence et à jouer avec les attentes des spectateurs. Le vidéaste de la chaîne La Chimérathèque prenait l’exemple des films de super-héros pour s’attaquer à l’aspect soi-disant progressiste de certaines œuvres à l’instar de Black Panther, mais on pourrait dire de même de l’horreur, qui nous fait entrer dans la peau d’un personnage et nous procure un frisson souhaité par le producteur, dont il sait que ses profits en dépendent.
L’idée ce serait simplement de s’identifier avec le personnage pour révolutionner le cinéma. Soit mettre en personnage principal une personne issue d’une minorité pour tout changer. Selon mon point-de-vue, en restant à ce stade, cela revient à un changement cosmétique, soit pas de changement du tout. Si ce n’est un besoin de provoquer une division de la société dans le but d’assurer un profit, et à quelques exceptions près, le capitalisme et l’exploitation, et donc in fine l’oppression, peuvent passer outre le fait que telle personne soit noire, femme, gay ou que sais-je, si cela sert ses intérêts (Thatcher, Obama[7], Christine Lagarde sont de parfaits exemples). Les films à identification, malgré certains vernis progressistes, permettent surtout de maintenir une domination globale, celle du capitalisme, au détriment de toute autre perspective, même si pour se donner bonne conscience il peut regretter certains travers de la société. Si on veut un cinéma progressiste, on ne peut accepter la généralisation de ce point-de-vue. Je pense, mais c’est seulement mon avis, que c’est pour cela que dans l’horreur on entend facilement des personnes se concentrer sur l’aspect vraiment horrifique d’un film et pas sur les aspects sociétaux qu’ils peuvent impliquer, parce qu’en réalité via l’identification le point de focal n’est pas sur ces éléments mais sur la souffrance des personnages. Cependant, je ne dis pas qu’il ne peut pas y avoir des tentatives de distanciation dans le cinéma d’horreur, voire des éléments sociaux explicites dénoncés, quitte à utiliser une identification retournée de telle manière qu’elle amène effectivement une certaine réflexion. Ce sera ce qui sera au centre d’un autre article.
Dans l’article précédemment cité, il y est dit aussi que le cinéma d’horreur serait le vilain petit canard du cinéma, et qu’à tout prendre les images politiques sortent plus facilement dans ce cadre-là. Les images politiques étant ici une diversité d’oppression. Le problème c’est que l’auteure de l’article ne voit pas les rapports de production : elle considère le cinéma d’horreur comme le paria parce que la critique officielle ne l’aime pas (ce qui en plus n’est plus vraiment le cas). Elle prend la critique auteurisante du cinéma pour la production, alors que le cinéma d’horreur se vend. Les producteurs ont moins un désir de rébellion qu’un désir d’écouler leurs marchandises à un public nombreux. Le théoricien de l’art Adolfo Sanchez Vasquez dans Les idées esthétiques de Marx exprime que le cinéma est l’un des arts subissant le plus l’hostilité du capitalisme (c’est-à-dire dans la libre création permise à l’artiste), car la quantité de capital investit et la consommation massive permet mieux la création de profits. C’est bien normal : le cinéma est un art couteux à réaliser, donc la pression est plus forte pour le rentabiliser. Le cinéma aux Etats-Unis ou dans d’autres pays capitalistes devient une industrie comme une autre, où les bénéfices deviennent plus importants que la qualité du film. Qui contredira cet état de fait lorsqu’on voit certains déboires de grands et petits réalisateurs pour imposer leurs vues sur un film face à leurs producteurs ? Qui niera que le cinéma d’exploitation cherchait bien plus l’appât du gain qu’un travail soigné ?
Ainsi Roger Corman a permis de produire un grand nombre de films de genre mais il incarne moins le « rebelle » du cinéma qu’un businessman vendant un produit différent sur le marché, mais qui trouve bien des distributeurs et des revendeurs. Cette vision de l’art de masse et populaire contre le cinéma d’auteur est souvent véhiculée en France à cause du dégout pour un certain type de films français très intimistes et centrés, avouons-le, sur la vie de leurs auteurs, et vu qu’il s’agit très souvent de cette classe sociale, donc sur les mœurs de la bourgeoisie. De temps à autre, cette même bourgeoisie cherche, pour se donner bonne conscience, à montrer la larme à l’œil la condition des pauvres, sans perspective de changement bien entendu. Ce qu’un critique du journal Frustration appelle le « bourgeois gaze »[8]. En réaction, on a tendance à identifier ce cinéma d’auteur comme bourgeois et à considérer comme populaire voire révolutionnaire le cinéma de genre, alors que dans un mode de production capitaliste, il s’agit simplement d’un même système de production mais qui va réaliser deux marchandises différentes pour un public différent, un peu comme dans les drive-in des années 30 : le cinéma de divertissement est destiné à plaire à la masse[9] car facilement accessible et produit dans le but d’être diffusé, même s’il peut véhiculer des idées franchement contestables, et le cinéma d’auteur va parler à la bourgeoisie qui va permettre à ces derniers de s’identifier à ces protagonistes. Bien entendu, ce que j’exprime ici ne fait pas dans la nuance et on peut voir dans les deux cas des œuvres qui sortent du cadre et qui apportent un plus. Mais je veux insister qu’il ne faille pas se leurrer et encenser le cinéma de genre en faisant de lui l’exacte opposé d’une culture bourgeoise.
Dernièrement, au cinéma se développe ce que j’appellerais une esthétique du sentiment et de la sensation contre l’intellectualité. J’entends par là que de plus en plus de films, destinés au grand public et acclamés par la critique, se vident de toute substance. Le fonds, par exemple les luttes sociales, l’exploitation guerrière du monde, les hiérarchies sociales injustes, disparaissent, sauf dans quelques dénonciations conformistes à base de bonne conscience écologiste et de féminisme opportuniste sans grand danger[10]. A la place, le paquet est mis sur la beauté de l’image, mais aussi sur des références. De plus en plus de critiques s’amusent d’ailleurs à décortiquer les références cinématographiques que telle ou telle œuvre va placer dans ses images. Un réalisateur comme Nicolas Winding Refn en est le parfait exemple avec ses films Drive (2011), Only God forgives (2013) et The Neon Demon (2016). Les références et l’esthétique y sont poussées à fond pour rendre une expérience purement artistique au spectateur, mais sans réflexion sur l’humanité ou contestation de l’ordre établi. Drive, de loin le meilleur des trois, multiplie les références à des films comme Halloween ou à des courts métrages moins connus comme Lucifer rising de Kenneth Anger. Mais en-dehors de la pure expérience de cinéma offerte par la musique et l’image soignée du long-métrage, le scénario est d’une platitude et n’apporte pas grand-chose. De même avec The Neon Demon, un film d’horreur sans horreur selon son réalisateur, se déroulant dans le milieu de la mode, dont le seul message est une plate dénonciation d’un monde modulé par les apparences… tout en l’exploitant sans recule critique dans le film.
Au même moment, plusieurs courants obscurantistes, qui demandent à redécouvrir le monde via les sensations au détriment de la raison, font leur percée. On peut penser à toutes les dérives sectaires du type Anthroposophes, mais aussi à la montée de l’extrême-droite néonazie en Europe (pour rappel le nazisme a une tradition de croyance dans l’occultisme). Ce n’est sans doute pas anodin alors que nous sommes dans une phase impérialiste et exterministe, c’est-à-dire où le capital dans sa course au profit ne se soucie plus de l’environnement, des cultures, etc. Maintenant l’esthétique est pure et libre des grands idéaux politiques. A vrai dire il reste une possibilité : la rébellion, mais celle-ci est sans lendemain, sans structuration, sans réflexion politique. Elle n’est destinée qu’à tout casser sans construire, ce qui signifie sa perte et donc toujours le maintien in fine de l’ordre présent. Ainsi on comprend aisément le succès du film Joker (2019) auprès du public, car il reflète l’impasse dans lequel se trouve la société occidentale capitaliste sans moyen durable de changer les choses.
[1] Ni reconstruction des pays en question, ravagés par la guerre et par un système féodal pourrissant.
[2] « Ils ont osé ! » L’expérience de l’école soviétique des années 1920 », 21/06/2017, Samuel Joshua, revue Contretemps.
[3] Nous en voyons un exemple dans le dernier segment du film Lucia (1968) d’Humberto Solas.
[4] « L’éducation socialiste cubaine, un exemple pour le monde » par Simon, blog JRCF, 05/10/2018.
[5] Institutions pédagogiques et d’enseignement, mis en place à partir de 1961 et accueillant des enfants en âge périscolaire, de 45 jours à 6 ans.
[6] « La conquête du pouvoir par le prolétariat dans les trois premiers films d’Eisenstein », Le cuirassé d’octobre, 23/08/2021.
[7] Dans son cas, il est responsable de beaucoup plus de meurtres extraterritoriaux que son prédécesseur républicain George W. Bush.
[8] « Le bourgeois gaze » : au cinéma, le monde est perçu à travers les lunettes déformantes de la bourgeoisie », 18/06/2021.
[9] Le théoricien de l’art Adolfo Sanchez Vazquez surnomme cela l’art de masse, afin de le différencier de l’art populaire, réellement réalisé pour exprimer les idées et les désirs du peuple. L’art de masse désigne l’art dont les produits sont là pour satisfaire des hommes aliénés par le capitalisme. Sa puissance est assurée par la possibilité de trouver un public et des moyens de diffusion efficace. Les grands problèmes humains et sociaux sont laissés de côté au profit d’une satisfaction d’un désir légitime de divertissement, tout en faisant attention à ne pas s’attaquer trop durement au système en place. C’est un « art produit précisément à la mesure de l’homme creux et dépersonnalisé auquel il est destiné. S’il y a une pleine correspondance entre production et consommation, entre objet et sujet ou entre œuvre et public, nous trouvons cette dernière dans la relation entre l’art de masse et les goûts et besoins de ceux qui en jouissent ou des consommateurs. » Par contre, Vazquez s’oppose à la théorie que si ce cinéma perdure c’est à cause du public. Pour lui, le problème vient en amont, dans le fait que les capitalistes produisent délibérément un art de piètre qualité afin de vendre et se cachent derrière une pseudo-popularité de leurs produits.
[10] J’ajoute une note pour expliquer ce que j’entends par là. Je pense en particulier aux grandes productions américaines. Il est de plus en plus régulier lorsque le réalisateur/réalisatrice souhaite donner faussement de la profondeur à son long-métrage, qu’il se tourne vers le panel des causes consensuelles pour l’ajouter à son film. Le thème de l’écologie, bien médiatisé dans les pays occidentaux, est tout trouvé. Mais attention, comment le traiter ? Serait-ce de dénoncer le système économique qui exploite la planète avec son marché mondial non régulé ? Serait-ce de dénoncer les liens de classes entre les hommes politiques de nos pays et les principales multinationales polluantes ? Non, à la place nous aurons la complainte de « l’Humanité est coupable », car ce serait cette dernière, dans son essence, qui causerait toute ces souffrances pour… pour… nous ne savons pas. Sans doute par plaisir ? A la place d’une réflexion pour sortir de la crise et dénoncer le mode de production responsable de tout cela, on préfère faire une leçon de morale. C’est le cas du film Tenet de Christopher Nolan.
Pour ce qui est du féminisme, nous pouvons en dire la même chose. Dans l’article sur Le village du pêché, nous avions parlé de la distinction « féminisme bourgeois »/ « féminisme prolétarien ». Dans le cinéma des grosses productions nous nous retrouvons avec des représentations qui se veulent ambitieuses des femmes. En dénonçant l’inégalité salariale entre hommes et femmes ? En dénonçant le fait que les femmes sont soumises souvent aux travaux les plus précaires ? Encore une fois, si ces thèmes ne sont pas inexistants, ils ne sont pas la majorité du genre. Dans la plupart des cas, il faudra juste montrer quelques propos machistes, des hommes entre eux se montrant volontiers virilistes, lorsqu’ils ne commettent pas des actes criminels envers leurs comparses féminines, et face à eux des femmes, souvent des étudiantes ou des personnes qui semblent plutôt de familles aisées, qui les ridiculisent par leur charisme et leur intelligence. Il serait de mauvaise foi de dire que ces œuvres n’attaquent pas une certaine surreprésentation masculine, ce qui n’est franchement pas un mal loin de là, mais il faut savoir au profit de qui. Je l’ai un peu amorcé, mais il semble que ce soit, au même titre que les autres œuvres, des femmes de la petite-bourgeoisie dont on nous narre les exploits. Cela attaque la surreprésentation masculine, mais tout simplement parce que dans une époque où dans les pays occidentaux la plupart des lois restreignant le pouvoir des femmes ont été supprimées, il est normal que celle-ci disparaisse avec le temps, et c’est un bienfait. Cependant, on gomme totalement la partie la plus précaire des femmes. Osons le dire : femme bourgeoise partout, femme prolétaire nulle part. Et même après cela, quelles sont les raisons qui poussent les hommes à s’en prendre aux femmes ? Visiblement, leur essence les rendant mauvais par nature. Ainsi encore une fois le système économique est gommé au profit d’une leçon de morale.
Les premiers studios de cinéma produisaient déjà des films d’épouvante (Frankenstein) ou à caractère fantastique, mais c’est seulement après la Première guerre mondiale que l’horreur va vraiment devenir retentissante au cinéma, en particulier dans le cinéma allemand, avec des films comme Nosferatu ou Le cabinet du docteur Caligari. Ils font suite à l’échec de la révolution allemande, mais aussi à la boucherie monumentale de 14-18 pour les travailleurs, dont on peut penser que les horreurs à l’écran sont le reflet des horreurs vécus (ou en tout cas à l’origine du succès)[1]. C’est ce « reflet » de la réalité dans les consciences qui se retrouve dans le mouvement artistique expressionniste, montrant les horreurs de la guerre, souvent associé aux premiers films d’horreur. C’est aussi un élément partagé avec le jeune mouvement artistique du surréalisme[2] : la haine de la guerre et de ses abominations tout d’abord, qui hantent les premières œuvres, puis l’aspect onirique des poèmes, peintures ou films (qu’on pense à Un chien andalou). Et d’ailleurs, les surréalistes appréciaient beaucoup la littérature gothique, à l’instar de Breton et Artaud, car l’imagination était sans limites à l’instar de la méthode créatrice des surréalistes.
Il y a aussi dans ces films allemands une sorte de conscience nationale refoulée avec les accords de Versailles. Précédemment j’avais rappelé que l’Allemagne avait été le lieu privilégié de l’occultisme et des charlatans. Les prestidigitateurs de génie qui par leurs tours peuvent commettre des crimes beaucoup plus graves que le vol sont présents dans le jeune cinéma allemand, à l’instar du fameux docteur Calligari ou du docteur Mabuse. Et d’ailleurs les vieux contes allemands sont aussi adaptés, comme la légende de Siegfried via les deux parties des Nibelungen de Fritz Lang. Cette dernière adaptation étant même destinée à redresser un certain esprit allemand.
En 1929, un krach boursier a plongé le monde dans une crise économique sans précédente. Aux USA, la bourgeoisie va tenter coûte que coûte de maintenir la confiance du peuple américain dans le mode de production capitaliste. Toutefois, des sociétés comme la Universal vont produire des films beaucoup plus sombres en prenant pour thèmes des éléments horrifiques. Précisons-le tout de suite, le but n’est pas contestataire mais financier : les films rapportent énormément pour un faible budget. Il s’agit souvent de films entre 1h et 1h15, inspirés par l’expressionnisme allemand et le gothique. Bien entendu, les plus connus sont Dracula puis Frankenstein, respectivement de Tod Browning et James Whale, avec Bela Lugosi et Boris Karloff, en 1931. En ce qui concerne Dracula, c’est l’interprétation de l’acteur principal qui marque les mémoires, donnant dans l’imaginaire collectif le visage de l’acteur aux traits et caractéristiques du vampire. Dans le cas de Frankenstein, Karloff joue une créature incontrôlable et enfantine, a contrario du monstre intelligent et sensible de l’histoire originale. Bien que sa présence maléfique soit soulignée, il est aussi pataud et certains de ses crimes peuvent au choix être l’effet de la peur, d’une incompréhension ou d’un geste d’autodéfense. Le studio présente une horreur engendrée par la société elle-même par les abus de la science. J’insiste là-dessus car on a trop tendance à l’oublier aujourd’hui : ce n’est pas nécessairement un message progressiste. Ainsi au 19ème siècle cette critique de la société moderne et de la science contre les valeurs traditionnelles était surtout un message véhiculé par la réaction, préférant se recueillir dans un ordre naturel hors de tout conflit social voulu par la bourgeoisie en expansion puis par le prolétariat naissant, c’est-à-dire la monarchie fantasmée[3] et son corollaire religieux. Il faut l’avoir en tête avant de regarder ces films avec les lunettes de maintenant, soit après l’horreur ultime de la bombe atomique et du réchauffement climatique.
A la même époque le chômage est massif et la sensation de rejet est forte de la part des travailleurs immigrés, ce qui explique sans doute le succès d’un long-métrage comme Les chasses du Comte Zaroff[4].
Jusqu’à présent nous avons parlé de ce qui était produit comme cinéma d’horreur et des interprétations des divers succès. Cependant, les films dans le capitalisme sont des produits comme les autres, destinés à être rentable. Regardons dans ce cas le mode de consommation de ce cinéma. L’arrivée du parlant ayant fait augmenter les coûts de production, les producteurs trouvent divers moyens de faire du profit. Les double feature[5] apparaissent. Ils donnent la possibilité de voir deux films pour le prix d’un seul, série A et série B. L’après-midi était réservé dans les salles de cinéma aux séries B où le spectateur avait clairement le but de voir le plus de films sans regarder à la qualité, alors que le soir était réservé aux séries A. C’est surtout le Western qui est massivement produit à l’époque dans la catégorie B.
Dans le milieu des années 30, la crise se résorbant petit à petit, on constate que les films horrifiques ont de plus en plus tendance à aller vers la parodie, indiquant la volonté du consommateur américain de trouver autre chose que les histoires glauques. Face à Universal nous trouvons le studio RKO[6] qui va décider de faire autre chose que des licences et réaliser des films bien plus poétiques. L’horreur y devient une toile de fond dans un sous-texte plus global.
Les double features disparaissent dans les années 50 et les films passent désormais à la télé, réorganisant au passage le mode de consommation. Guerre froide obligeant, le cinéma est influencé par une atmosphère de paranoïa et une remise en cause des autorités accusées de mentir[7]. C’est à cette époque qu’on a énormément de films de monstres géants, dont le plus célèbre est le japonais Godzilla (1954), métaphore du danger de l’arme atomique (l’inventeur d’une arme dangereuse préfère se tuer en emportant son secret avec lui plutôt que son arme soit utilisée contre l’humanité).
Dans le même temps les cinéma drive-in apparaissent. Le mode de consommation, c’est-à-dire un écran en extérieur près d’un parking permettant d’assister à la projection, fait que ce n’est pas pour un public attentif au déroulé de l’intrigue.
A l’apogée du boom économique d’après-guerre, le genre horrifique prit une tournure marquée par le surnaturel. On assista à une pléthore de films de fantômes, sur les sorcières, sur les cultes sataniques et autres possessions démoniaques. Il est intéressant de noter que la croyance en Dieu aux Etats-Unis est utilisée à la même époque contre l’impie soviétique, accusé de tous les maux.
Dans les années 60, avec la fin de la censure le cinéma prend une nouvelle ampleur, notamment avec les célèbres Psychose et Les oiseaux d’Alfred Hitchcock. Le premier montre les premiers pas des tueurs en série au cinéma par l’intermédiaire de Norman Bates, inspiré du vrai tueur en série Ed Gein, tandis que le second fait apparaître des animaux dont l’attitude féroce est inexplicable. 1963 marques aussi le début du cinéma gore avec Blood Feast d’Herschell Gordon Lewis.
Toujours dans les années 60, le cinéma italien développe ce qu’on appelle le giallo, un genre cinématographique entre le policier, l’horreur et l’érotisme. Un genre qui inspirera grandement le slahser américain, par sa présence d’un tueur agissant dans la nuit, dont on ne voit pas le visage et qui agresse des femmes érotisées avec une certaine allégresse.
Les années 60 c’est aussi le début du cinéma d’exploitation, soit un cinéma destiné à attirer le public par tous les moyens, y compris le gore et l’érotisme, et dont le but premier est la rentabilité, quitte à être à la limite de la morale et du bon goût. Le film y est encore plus une marchandise consommable rapidement. Roger Corman, célèbre réalisateur et producteur américain, y fait ses gammes. Outre d’avoir permis de fait connaître des talents comme Francis Ford Coppola, Joe Dante et James Cameron, d’avoir diffusé aux Etats-Unis les œuvres de Bergman, Fellini et de René Laloux[8], c’est aussi le réalisateur de nombreux films bis à l’instar de La petite boutique des horreurs en 1960. Nous avions parlé d’Edgar Allan Poe lors de l’article précédent. Roger Corman a adapté un grand nombre de ses œuvres au cinéma, sans grande fidélité avec le matériel original, dont la star est Vincent Price, inspirant le cinéma ultérieur d’un Tim Burton[9] : La chute de la maison Usher (1960), La chambre des tortures (1961), Le Corbeau (1963), Le masque de la Mort Rouge (1964) ou La tombe de Ligeia (1964).
Lorsqu’on parle de l’horreur pendant les années 50-70, le nom d’une société de production revient souvent : la Hammer[10]. Ce studio anglais réalisa en plusieurs années des séries de films reprenant les plus grands monstres dans la perspective de les mettre au gout du jour, tout en donnant une nouvelle esthétique au cinéma d’horreur. C’est avec The Quatermass Xperiment (1955), réalisé dans le but d’éviter la faillite du studio à cause de la concurrence de la télévision, que la Hammer se fait un nom. Cette histoire de contamination sur fond de science-fiction ayant fonctionnée grâce à des images volontairement choquantes (le studio a cherché lui-même a ce qu’il y ait une limite d’âge pour voir le long-métrage), la direction de la Hammer décide de continuer dans cette direction pour exploiter le filon. Ce sera d’abord Frankenstein s’est échappé (1957). Il sera suivi de Le cauchemar de Dracula (1958), de La Momie (1959), de Le chien des Baskerville (1959), de La nuit du loup-garou (1961) et des suites de Dracula et de Frankenstein. Ces films possèdent tous à peu près les mêmes marques : un décor gothique, une présence fantastique, des personnages de la noblesse et des défenseurs du bien contre le mal. Cependant, leur succès vient aussi de la grande dose d’érotisme dans leurs œuvres, y compris à une période où la censure battait son plein. Ainsi on y voit un Dracula maitre de son harem et jaloux de ses maîtresses infidèles. Le studio périclitera dans les années 70 suite à la fin de la censure et à la concurrence de la nouvelle vague de l’horreur.
Les films d’horreur commencent à évoquer de manière non explicite certains faits de société, sans jamais faire œuvre de pédagogie politique, comme le problème du racisme dans La nuit des morts-vivants (1968), ou bien du corps des femmes dans Rosemary’s baby (1968) et Carrie (1976). L’exorciste (1973) sera pour sa part soutenu par une école jésuite pour conforter les enseignements superstitieux[11].
En 1973, le boom de l’après-guerre atteignit ses limites et marqua la réapparition de la récession. Cela se refléta dans des films comme Massacre à la tronçonneuse (1974) et Zombie (1978). Le premier montre une famille de texans tuant des touristes pour se nourrir suite à la fermeture des abattoirs, tandis que le second dépeint les conditionnements d’une société de consommation.
Cannibal holocaust en 1980, film sous forme de found footage, provoqua une large désapprobation. Certains l’interprètent comme une critique de l’impérialisme et du pillage des ressources. L’ère des giallos se termine dans les années 70, laissant la place au slasher, en pleine recrudescence avec le succès Halloween (1978) de John Carpenter. Les œuvres mettent en scène un tueur psychopathe masqué ou défiguré[12] qui tue à l’arme blanche un groupe de jeunes adolescents aux mœurs légères. De ce fait, il est souligné le possible message réactionnaire derrière le slasher.
Dans les années 90, c’est l’explosion des VHS. Cette décennie est aussi marquée par une baisse, après la chute de l’URSS, du nombre de productions d’horreur renouvelant le genre et avec succès. On devra attendre Scream (1996) de Wes Craven pour un renouveau du slasher.
Dans les années 2000, le gore et le malsain vont encore plus loin, sans doute à la suite du 11 septembre 2001 et par la marchandisation accentuée qui oblige à être le plus « transgressif » pour vendre le mieux. D’où la mode du torture porn (Saw, Hostel), un genre montrant de jeunes personnes, surtout des femmes, capturées par une bande de sadiques et subissant des tortures. Ici, encore plus que dans le slasher, c’est vraiment le côté démonstratif de l’horreur qui importe plus que la peur en elle-même.
A la faveur de la crise économique de 2010, le genre horrifique semble redécoller. Fin des années 2010, certains films ont clairement une portée sociale comme Get out.
Il appartiendra aux gens de la prochaine génération d’étudier l’influence du coronavirus et de la guerre en Ukraine sur le genre horrifique. Sachant que notre mode de consommation des films a aussi changé. Déjà présents avant la crise du covid-19, les plateformes vidéo permettent plus facilement d’accéder aux dernières sorties sans aller au cinéma. Ce qui induit la possibilité d’avoir accès en grande quantité à un catalogue de films imaginables sans avoir à attendre leurs diffusions sur grand écran, à la télé ou en DVD.
Bien que nous nous soyons moins attardés là-dessus, la littérature d’épouvante n’est pas devenue sans objet au 20ème siècle, que l’on pense aux œuvres de Lovecraft ou de Stephen King qui servent régulièrement d’inspiration aux œuvres audiovisuelles. Après ce résumé succinct, il appartient de s’intéresser aux liens entretenus entre nos deux objets d’études.
[1] On retrouve la même chose avec Tom Savini et la guerre du Vietnam, ce conflit lui ayant inspiré les maquillages gores qu’il produira lors de sa carrière.
[2] Un surréaliste plus tardif comme Jan Svankmajer a réalisé des court-métrages sur des œuvres gothiques, comme celle d’Edgar Poe ou Le Château d’Otrante.
[3] Je parle de fantasme car, malgré ce qu’en disent les amoureux de la royauté, la monarchie était loin d’être un régime en-dehors de l’histoire où tout se passait dans le meilleur des mondes, que ce soit pour le bas peuple ou les nobles, ces derniers pouvant être l’objet d’intrigues à leur défaveur. Les rébellions contre la royauté furent nombreuses, sans parler des guerres civiles (qu’on pense aux affrontements sanglants entre protestants et catholiques). Les rois étaient soumis comme tout le monde aux nécessités de leur époque. Ils ne faisaient pas l’histoire, ils en faisaient partie.
[4] « Les films d’horreur – Le déclin du capitalisme à travers le cinéma », Révolution TMI, 31/10/2019.
[5] « Cinéma Bis, Film d’exploitation, Série B et autres Nanars », Vidéodrome, 28/04/2018.
[6] « L’histoire du film d’horreur hollywoodien (1930-1960) », Mai-Lie, 11/03/2021.
[7] Je me permets un aparté, que j’avais déjà plus ou moins souligné dans ma critique du film Les bourreaux meurent aussi de Fritz Lang. Cette dénonciation des autorités n’est pas non plus nécessairement progressiste. Je rappelle que l’extrême-droite c’est souvent servi des scandales politiques pour faire sa soupe, quand bien même le casier judiciaire de ses membres ferait pâlir n’importe qui, en mettant le doute sur la démocratie, nécessairement corrompue, plutôt que sur le véritable problème, c’est-à-dire le capitalisme et sa classe dirigeante. De même aux Etats-Unis McCarthy a mis en doute les autorités en accusant arbitrairement chacun d’être en réalité des communistes, sans aucun fondement.
[8] Nous en avions déjà parlé lors d’un article précédent au sujet de La planète sauvage.
[9] Tim Burton fera référence à l’univers d’Edgar Allan Poe chez Corman dans son court-métrage Vincent (1982), dont le narrateur est Vincent Price.
[10] Voir le documentaire d’Arte, Terreur et glamour. Montée et déclin du studio Hammer.
[11] Ce n’est pas le seul exemple de cas où la religion s’empare d’un film extrêmement violent pour faire passer ses messages. Je vous invite à aller voir la vidéo de la chaîne Cinéma et politique sur La passion du Christ de Mel Gibson.