Les bourreaux meurent aussi (1) : un contexte dangereux

D’où que nous posions notre regard, nous pouvons voir avec un brin de discernement la montée des idées fascisantes, et de leur corollaire les mouvements d’extrême-droite. La Pologne et la Hongrie sont parmi les Etats de l’Union européenne les plus cités comme contrevenant à un certain nombre d’obligations liées aux droits de l’homme. La Pologne a depuis plusieurs années procédé à une réforme de la justice dans le but de la soumettre plus étroitement aux décisions de l’exécutif[1], prétextant une volonté de décommuniser la Justice, moqué même par les plus anticommunistes. Elle est épinglé régulièrement pour ses tentatives d’interdiction de l’avortement[2], de même que pour ses atteintes aux droits des personnes LGBT[3] ou étrangères. C’est aussi en Pologne que l’article 256 du Code pénal polonais interdit la propagande totalitaire, soit la diffusion d’images et d’idées communistes ou fascistes, mais qui concrètement ne s’applique qu’aux idées communistes.  En effet, les images parfaitement claires de manifestations nationalistes avec des symboles et slogans fascistes ne font pas l’objet de répression, ni même de poursuite lorsque un militant d’extrême-droite frappe un policier, mais par contre la justice s’abat pour les communistes ou ceux qui marchent contre l’OTAN, à l’instar de plusieurs membres du Parti communiste polonais passés devant les tribunaux à cause de la rédaction d’un article sourcé sur la Pologne populaire dans leur propre journal[4].

En-dehors de l’Union européenne, l’Ukraine n’est pas dirigée par l’extrême-droite mais connait une recrudescence des mouvements néo-nazis[5]. Depuis 2014 et le coup de Maidan, ces organisations sont devenues très importantes. Il faut se rappeler que Svoboda et Pravy Sektor, tous les deux fascistes, furent deux des organisations ciment de Maidan. Si la première a perdue de l’influence, la seconde est toujours très active sur le territoire. Nous devons à Pravy Sektor plusieurs actions coup de poing, dont la pire est l’incendie criminel de la maison des syndicats d’Odessa le 2 mai 2014, provoquant 48 morts[6]. Le bataillon Azov, originellement simple milice de combat pour mener la guerre contre l’est de l’Ukraine, s’est transformé en parti politique reprenant des sigles fascistes comme la Wolfsangel et le Soleil noir, tout en étant bien entendu anti-étranger et anti-russe[7]. Les nationalistes ukrainiens responsables de pogrom contre les juifs à l’instar de Stepan Bandera[8] sont dédiabolisés et transformés en héros national. On a même vu il y a deux ans une croix gammée dans un centre commercial ukrainien[9]. Il paraitrait même que certains jeunes s’amusent à faire des cosplay de soldats nazis. Même si nous pouvons être choqué par l’attitude russe récente de reconnaître l’indépendance des républiques séparatistes du Donbass, il n’empêche que du côté de Kiev les groupes dont je viens de parler seraient bien d’accord avec une épuration ethnique des russophones de l’Est.

Le Bataillon Azov en Ukraine

Dans les Etats Baltes (Estonie, Lituanie, Lettonie), les russophones sont considérés comme des non-citoyens et ce sont dans les mêmes Etats où on laisse défiler des bataillons d’anciens Waffen SS, dont le courage a été de se battre contre les soviétiques[10]

La France n’est bien sûr pas en reste. Nous pourrions aussi bien parler de Le Pen que des petites phrases de nos ministres sur les violences policières ou l’islamo-gauchisme, mais concentrons-nous sur le personnage de Zemmour. Celui-ci a le soutien en France de tous les groupuscules d’extrême-droite[11]. Des anciens de Génération identitaires en passant par les Zouaves, tous ces groupes, dont certains sont dissous[12], rejoignent et participent à la campagne de celui-ci, notamment en tant que sorte de « service d’ordre » de ses meetings[13]. Ces mêmes groupes font régner la terreur où ils passent, des organisations comme la Jeune Garde documentant régulièrement les actes de violences de ceux-ci. Sans parler des tentatives d’attentats[14] par des amateurs de Breivik[15] sans cesse empêchées par la police[16]. Le Z n’est pas en reste, vu qu’il y a encore quelques mois il menaçait pour rire des journalistes avec une arme à feu[17]. Zemmour a aussi le soutien très concret des grands capitalistes, en premier Vincent Bolloré, PDG de Canal+ et actif dans la Françafrique[18], ainsi que d’un électorat plus « start-up nation » que la droite classique[19]. Et même si normalement nos lois, même imparfaite et bourgeoise, devrait a minima limiter certains aspects les plus choquants de son programme, son intention de se passer du Conseil constitutionnel[20] ne peut qu’inquiéter.

Bref, il est encore fécond le ventre d’où surgit la bête immonde. Sans que nous y soyons encore, on nous parle d’un retour aux années 30 voire 40. Durant ces chaudes années c’est posé la question dans le mouvement ouvrier de la représentation du combat antifasciste. Beaucoup d’artistes et intellectuels allemands ont décidé de quitter leur pays par dégoût du nazisme. C’est le cas du réalisateur Fritz Lang. Hors du domaine cinématographique, c’est la situation dans laquelle se trouve le célèbre dramaturge Bertolt Brecht. Ce dernier va immigrer aux Etats-Unis avec l’aide de Fritz Lang. En effet, celui-ci, conscient du talent de Brecht, souhaite réaliser un film antifasciste avec son aide (nous sommes en pleine seconde guerre mondiale) pour conscientiser les masses et pousser à la lutte contre la bête brune. Chose que Lang avait déjà fait à travers son film Manhunt, qui prenait pour cadre rien moins que le projet d’assassinat d’Adolf Hitler[21]. Brecht et Lang connaissent le danger représenté par le nazisme et souhaitent l’anéantir : voilà le projet politique commun qui va les réunir.

A la différence de Lang, Brecht est communiste. Dans Grand-peur et misère du Troisième Reich, il décrit à partir de ce qu’il trouve dans les journaux des scènes se déroulant tous sous le régime nazi, dans le but de montrer son arbitraire et détruire toute son apparence de normalité. Dans Les visions de Simone Machard, il dénonce les collabos riches de France prêt à vendre le pays aux barbares allemands au détriment des humbles, tout en vouant au pilori une jeune apprentie Jeanne D’Arc bien naïve. Enfin, et ce n’est pas le dernier, nous nous devons obligatoirement de citer La résistible ascension d’Arturo Ui, une métaphore de l’arrivée évitable d’Hitler au pouvoir à travers une histoire de gangster. Même si Brecht a peu travaillé sur le cinéma, il ne le méconnait pas et, outre sa participation à un film prolétarien[22] en Allemagne pré-nazi, il utilisait les outils cinématographiques dans ses pièces.

Les deux compères ont plusieurs idées en têtes, mais c’est l’assassinat d’Heydrich en Tchécoslovaquie qui va donner la trame du scénario. Reinhard Heydrich était un responsable nazi de premier plan : particulièrement impliqué dans le régime de terreur hitlérien, on retient son nom notamment pour son rôle majeur dans l’organisation de la Shoah. Nommé vice-gouverneur de Bohême-Moravie (Tchécoslovaquie), il fut tué par trois parachutistes tchèques le 4 juin 1942. En réaction les nazis massacrèrent le village de Lidice. Le film va conserver l’assassinat du bourreau, le surnom d’Heydrich, mais en effaçant les autres éléments véritables de l’histoire. Le long-métrage va donc suivre l’effervescence de Prague après l’assassinat d’Heydrich par un résistant du nom de Svoboda, qui va se cacher des nazis grâce à l’aide d’une fille de bonne famille, tandis que les nazis organisent une prise d’otage, menaçant d’en exécuter tant que le coupable n’est pas dénoncé. En parallèle, un faux résistant mais vrai collaborateur sévit dans les rangs de la résistance.


[1] « En Pologne, la tension à son paroxysme sur la réforme de la justice », La croix, Jean-Baptiste François, 07/10/2021.

[2] « Pologne : depuis un an, l’avortement presque totalement interdit », Amnesty international, 21/10/2021.

[3] Par exemple, très récemment le pays semble avoir passé une loi s’attaquant à la sensibilisation à la discrimination au sein de l’école. « Comme dans un rêve de Zemmour, la Pologne vote une mise au pas de l‘école », Têtu, Nicolas Scheffer, 12/01/2022.

[4] « Quelque chose de nauséabond vient de Pologne… », blog des JRCF, 19/01/2018.

[5] « Comment le conflit ukrainien est devenu le laboratoire du terrorisme d’extrême-droite », Slate, 25/06/2020.

[6] Voir le documentaire « Ukraine : les masques de la révolution » de Paul Moreira, sorti en 2016.

[7] C’est l’un de leur chef qui disait que « Poutine n’est pas un homme, Poutine est un juif ». On peut ce que l’on veut du chef d’Etat russe, mais ce genre de propos est très inquiétant.

[8] « Kiev : des centaines de personnes rendent hommage au collaborateur nazi Bandera », Times of Israel, 03/01/2022.

[9] « Checknews Un drapeau nazi a-t-il été affiché dans un centre commercial ukrainien ? », Libération, 19/02/2019.

[10] « Des anciens combattants lettons des Waffen SS défilent à Riga », The times of Israël, 16/03/2014.

[11] « L’armée de l’ombre d’Eric Zemmour », Street Press, Maxime Macé et Pierre Plottu, 21/12/2021.

[12] « La dissolution de Génération identitaire confirmée par le Conseil d’Etat », Le Monde, 04/05/2021.

[13] « Meeting de Zemmour : des violences éclatent en plein discours du candidat », Le Parisien, 05/12/2021.

[14] « Ultradroite : la menace terroriste », Mediapart, 23/05/2021.

[15] Anders Behring Breivik est un terroriste norvégien responsable de la mort de 8 personnes dans un attentat à la bombe à Oslo, puis de 77 morts dans un camp de la ligue des jeunes du Parti travailliste à Utoya, le 22 juillet 2021.

[16] « Je veux faire pire que Columbine » : le projet de tuerie de masse d’un adorateur d’Hitler déjoué par la DSI », Le Parisien, 02/10/2021.

« Des membres de l’ultra-droite jugés pour des projets d’attentats », La croix, 21/09/2021.

[17] « Quand Eric Zemmour pointe une arme sur des journalistes », Le Point, 20/10/2021.

[18] « Bolloré en Afrique : entre réseaux de pouvoir, jeux d’influence et esclavage moderne », LVSL, Sylvain Blandy, 14/12/2017.

[19] « Derrière la collecte de fonds pour Eric Zemmour, des profils plus proches de la « start-up nation » que de la droite traditionnelle », France info, 17/09/2021.

[20] Pour rappel, c’est cette institution qui évalue la conformité des lois par rapport à la Constitution, donc y compris au niveau du respect des droits de l’homme.

[21] A noter qu’il a aussi aidé un comité antifasciste venant en soutien aux Républicains espagnols.

[22] Kuhle Wampe ou Ventres glacés en français, sorti en 1932, réalisé par Slatan Dudow.

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