Mes 6 films préférés de 2022

Pour la nouvelle année, je me suis décidé à faire un petit résumé des films sortis en 2022 et que j’ai préféré. Bien entendu, c’est seulement ceux que j’ai eu l’occasion de voir, donc si on ne trouve pas tel ou tel film qui aurait mérité sa place, il est possible que je ne l’ai simplement pas vu. Bref, donc voici mes 6 films préférés de l’année 2022.

Arthur Rambo

Un jeune écrivain, Karim D., venant des quartiers populaires, se retrouve en l’espace de quelques heures d’idôle du tout Paris bourgeois à paria, à cause de ses tweets sous un faux compte, Arthur Rambo, faisant la part belle à l’apologie du terrorisme, l’antisémitisme et le machisme. Commence alors une brusque descente sociale.

Le film est réalisé par Laurent Cantet, dont la filmographie est assez riche mais est surtout marquée par la Palme d’or de 2008 pour son film Entre les murs. Le rôle principal est dévolu à Rabah Nait Oufella, que vous avez sans doute déjà vu dans Grave de Julia Ducournau. Le long-métrage est basé sur l’affaire Mehdi Meklat, ce jeune écrivain des cités, qui en 2017, alors qu’il était au sommet de sa gloire et adoubé par la gauche, subit les foudres car sous le pseudo Twitter Marcelin Deschamps il rédigeait des tweets dangereux, sous prétexte de construire un personnage fictif.

La première chose que j’ai appréciée, c’est l’usage des tweets à l’écran (injurieux comme élogieux), venant brusquer le spectateur, notamment lorsqu’un tweet à caractère raciste vient apparaître et casser une ambiance festive. Cela provoque une distance entre les évènements et le spectateur, pour mieux appréhender ce qui se passe.

Karim D. est un jeune écrivain, mais c’est surtout un transfuge de classe. La thèse de Laurent Cantet c’est que là où une certaine forme d’anticonformisme et une marge d’erreur peuvent être permises à des bourgeois, ici rien n’est pardonné à ce jeune romancier qui ne vient pas de ce milieu. Son parcours ira dans le sens inverse de sa réussite : commençant au sommet dans les quartiers bobos de Paris, il finira par retourner dans sa cité de Bagnolet, et il troquera au passage le costard pour le jogging.

Autre point fort du film, il n’y a jamais de jugement moral sur le personnage. A chacun de se faire son idée. On voit par contre la réaction de ses tweets sur les gens, notamment celle de son jeune frère, qui les a pris pour argent comptant, au grand désarroi de Karim D. Bien entendu, le film critique les réseaux sociaux, en particulier cet enfer de la stupidité qu’est Twitter, où les avis idiots, dégradants, affligeants, sont permis et encouragés pour amuser la galerie, se faire mousser, harceler, etc, à condition de ne pas faire dans la nuance[1].

EO

Un jeune âne de cirque fait son voyage du pays, en rébellion face au rôle qu’on lui fait jouer et aux atrocités qu’il voit, toujours avec une certaine candeur.

Nous avons ici affaire à un film d’un réalisateur renommé, le polonais Jerzy Skolimowski, considéré comme l’un des grands noms du nouveau cinéma polonais des années 60, qui a réalisé notamment Deep end en 1970. Le long-métrage s’inspire du film Au hasard Balthazar (1966) de Robert Bresson

Ce que je trouve intéressant, c’est qu’au travers de plusieurs séquences où l’on comprend les sentiments du personnage, il n’est jamais humanisé, dans le sens où nous n’avons à aucun moment de voix off venant expliciter ses pensées. J’apprécie aussi le travail des couleurs qui donne un côté presque féérique au road movie d’EO.

Ma scène préférée reste la scène en forêt en pleine nuit. On entend tous les animaux de la forêt dont les loups. Nous avons peur qu’EO se fasse dévorer, mais la musique nous alerte d’un autre danger. Nous voyons des lasers à travers la nuit. Très vite, avec les bruits de tirs, les chasseurs deviennent le danger dont l’âne va devoir s’échapper. La perspective est renversée : ce n’est pas la nature inhospitalière qui est menaçante, mais au contraire l’humanité que tente de fuir l’âne.

EO montre l’exploitation animale sous toutes ses formes (cirque, course, nourriture, fourrure), jusqu’au dénouement tragique. Je ne suis pas un partisan de l’antispécisme et je mange de la viande car j’aime ça, mais le film a réussi à me toucher profondément par les émotions qu’il transmet. Des émotions voulues par le réalisateur pour dénoncer la maltraitance animale, le thème de l’œuvre.

Junk Head

Dans un monde futuriste, les humains sont devenus grâce aux sciences virtuellement immortels mais ont perdu leurs capacités à se reproduire. Une maladie mortelle vient les chambouler. Afin de remédier à ça, ils envoient l’un des leurs dans les sous-sols, où vivent des créatures mutantes créées par les humains mais qui se sont rebellés et ont acquis leur autonomie, afin de trouver le secret de la reproduction.

Takahide Hori signe son premier long-métrage dans une animation en volume.  Vous savez, on dit la plupart du temps que le cinéma est un art qui se fait une équipe, avec beaucoup de budget. Notre réalisateur ne serait pas d’accord, étant donné qu’il travaille seul sur son projet depuis 2009, de l’animation aux « voix », et cela sans connaissance sur la façon de réaliser un film. Parvenant d’abord à un court-métrage de 30 minutes (basiquement la première partie du film), c’est après son succès qu’il décide d’en faire un long-métrage.

Nous entrons dans un univers SF bariolé qui fait la part belle aux parodies des œuvres de SF, aux mangas ou aux films d’action (Bruce Lee). Les mutants sont de formes diverses et des fois grotesques, comme cet être aux bras en forme de tentacules, un autre qui ressemble au docteur fou dans L’étrange noël de Mister Jack ou, mon préféré, celui dont le trou du cul ressemble à un visage qui nous laisse voir de manière bien crasse l’écoulement de sa matière fécale.

Les scènes de courses poursuites sont nombreuses, et les affrontements gores avec. L’une des séquences qui m’a marqué, mais assez difficile à décrire, se déroule au début du long-métrage, lorsque le personnage principal est poursuivi par deux monstres à travers les couloirs. Il arrive près de trous dans le mur d’où sortent une matière rouge ressemblant à du sang et dégoulinant du sol. Il s’agit de marques laissées par des vers. Qui touche celles-ci se fait dévorer. Alors que les plans nous montrent au ralenti toute la scène sous tous les angles, y compris la sortie des vers, cela se termine en déluge de sang de tous les côtés.

Le seul bémol du film, c’est sa fin, qui n’en est pas une… l’auteur ayant la volonté de faire une trilogie de Junk Head, la conclusion appelle une suite.

Unicorn Wars

Un combat centenaire confronte les oursons bigots et les licornes partisantes de l’environnement. Un jeune groupe d’oursons militaires va entrer dans la Forêt magique, où vivent les licornes. Leur désenchantement se fera très vite et les atrocités ne tardent pas à arriver.

Alberto Vazquez est un auteur de BD espagnol et un tout récent réalisateur de films d’animation. Il s’agit de son deuxième long-métrage après Psiconautas en 2015. Unicorn Wars est l’adaptation d’une de ses BD, elle-même adaptée dans son court-métrage Sangre del Unicornio, où l’on retrouve les personnages de Dodu et Célestin.

L’animation est faite main, sauf pour les licornes que les animateurs ont faites dans certaines scènes en 3d, tout en ayant travaillé à leur donner un aspect 2d pour éviter de jurer avec le reste du décor. Nous sommes dans un univers très coloré, avec des personnages issus de l’enfance, mais mis dans un univers dangereux et dramatique, avec des scènes ultra-violentes, où ces oursons mignons à en être grotesque, vont devoir affronter les massacres, la mort, les mutilations, le cannibalisme et les traumas physiques et psychologiques.

Les références sont nombreuses : nous avons les films de guerre comme Apocalypse now et Full Metal Jacket, à la guerre d’Espagne, à Hitler, à la Bible (Caïn et Abel, Dieu faisant l’homme à partir d’argile, la Forêt enchantée qui n’est rien d’autre que le Jardin d’Eden).

Alberto Vazquez critique le militarisme (aucune joie aux scènes de batailles qui font perdre tous les côtés) et le fanatisme religieux, à travers ces oursons vivant sous un Etat militaire et dont la religion fait la part belle à l’appel au génocide et au refus d’écouter l’autre. A la fin, pas de conciliation possible entre les parties, aucun espoir de paix, seulement la destruction de tout.  

Falcon Lake

Deux jeunes connaissent des amours adolescentes au cours de l’été, au bord d’un lac du Québec, avec en arrière-plan l’histoire d’un fantôme.

Falcon Lake est adapté de la BD Une sœur de Bastien Vivès. C’est la première réalisation de l’actrice Charlotte Le Bon, mais qui a aussi exercé la carrière d’illustratrice et de street artist.

La première chose qui saute aux yeux, c’est l’image qui n’est pas en haute définition et qui donne une touche vieillotte, style film de vacances des années 80 et 90.

Le film est donc centré sur l’histoire d’amour entre deux adolescents dont les familles se connaissent. Un peu comme dans toutes romances, les parents, s’ils sont présents, laissent une grande marge de liberté aux enfants, permettant donc de mieux donner libre cours aux séances de séduction, qui passe par la découverte de la sexualité (à noter que le point de vue du film est celui du garçon).

Le fantôme du lac est une invention de la fille, Chloé, même si au début, au travers de quelques plans, il est laissé supposer qu’elle puisse être elle-même le fantôme. C’est finalement Bastien, le garçon, qui deviendra le fantôme à la fin.

La scène de la mort de Bastien est subtile, car à aucun moment celle-ci n’est explicitement révélée, c’est au spectateur de la comprendre. Alors qu’il essaye de rejoindre son groupe en nageant dans le lac, on voit Bastien avoir des difficultés à nager, puis plus la caméra s’éloigne de lui pour montrer l’immensité du lac, plus on le voit plonger la tête sous l’eau. L’image quitte le gamin pour nous montrer les arbres, avant de revenir sur le lac où plus rien ne bouge, dans un grand silence. La scène suivante enfonce le clou. Nous y voyons les parents de Bastien pleurer (nous pensons, nous spectateurs, qu’ils pleurent parce qu’ils quittent leurs amis). On y voit le petit-frère mais pas Bastien. Puis avec leur voiture ils s’arrêtent devant le lieu où Bastien a nagé pour déposer des fleurs et se recueillir. Bastien arrive derrière comme sortant de la voiture. Il ne dit rien mais il a compris. Il se met à courir pour rejoindre Chloé là où ils avaient l’habitude d’aller. Il arrive dans son dos, au même endroit où apparaissait le faux fantôme. La fin laisse supposer que seul Chloé peut le voir.

Un premier film prometteur pour la suite de la carrière de Charlotte Le Bon.

El Buen patron

Le patron d’une petite entreprise de balance s’apprête à accueillir le jury d’un concours, qu’il espère bien gagner et ajouter à la liste des trophées de son usine. Ce patron, joué par Javier Bardem, se présente comme un homme jovial proche de ses employés, partageant leurs peines. Cependant, entre la contestation devant son usine d’un employé qu’il vient de licencier, les problèmes de couple de l’un des ses directeurs et la séduction de l’une de ses employés, son image de bon patron va vite s’effriter et montrer sa personnalité d’orgueilleux manipulateur.

El Buen patron est réalisé par Fernando Leon de Aranoa, auteur espagnol du film Les Lundis au soleil. C’est une comédie grinçante sur les travers du patronat sans faire dans le pathos.

Le long-métrage écorche l’image du bon patron, qui n’hésite pas à appliquer le droit de cuissage et à se débarrasser de ses conquêtes manu militari, à faire du chantage, à utiliser des milices privées pour mater la contestation. A ce sujet, l’un des gags du film c’est que la balance aux portes de l’entreprise est déréglée alors qu’elle doit être parfaitement équilibrée. Elle sera finalement réparée… en y ajoutant une balle de pistolet pour faire cet équilibre ! Sous-entendu que la bourgeoisie utilisera la violence armée s’il s’agit de rétablir l’ordre. Le film démonte aussi la propagande du bon patron qui s’est fait tout seul, notre personnage principal ayant hérité son entreprise de son père, bref qu’il s’est donné simplement la peine de naître.

La dernière scène montre toute l’étendue de son égoïsme. Après avoir réglé la contestation de son employé licencié en envoyant le fils d’un salarié et son gang raciste le fracasser, entraînant la mort du fils, le patron gagne le prix. Il le fait alors accrocher par le salarié ayant perdu son fils au mur qu’il réserve dans sa maison à ce sujet. Le plan nous montre sur le même espace le visage mortifié du salarié et celui du patron, qui passe du sourire à une profonde tristesse. Alors que l’on sent le regard appuyé du salarié sur son chef, on pense que le patron se sent coupable et ressent des remords parce qu’il a causé des douleurs à autrui. Mais non, il pleure seulement parce que le prix a mal été accroché au mur !


[1] A noter que l’année de sortie du film correspond aussi à une affaire similaire, celle du journaliste Taha Bouhafs, passé de jeune prodige des quartiers à paria en l’espace de quelques jours. Certes, les affaires sont différentes (Meklat utilisait un faux compte pour y publier des injures, Bouhafs est accusé d’agression sexuelle), mais on y trouve le même problème du rapport aux réseaux sociaux, Bouhafs étant connu pour utiliser Twitter comme un lieu pour harceler moralement un ennemi supposé ou avéré de sa cause.

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