Monstres en tout genre

Les débuts du cinéma d’horreur sont marqués par une influence des légendes populaires. Afin de provoquer l’angoisse et de parler au plus grand nombre, les réalisateurs et producteurs n’hésitent pas à utiliser des monstres du folklore pour leurs œuvres. Les légendes sont peuplées de figures connues du public et donc sont plus à même d’attirer les spectateurs vers un art relativement nouveau, en leur parlant directement de ce qui est proche. Les contes et les romans gothiques servent d’inspiration toute faite, notamment Frankenstein, qui connait une première adaptation en 1910. Il semble tout naturel, quitte à aborder au cas par cas les différents sous-genres du cinéma d’horreur, de parler de la figure du monstre comme fondateur de tout l’édifice d’épouvante.

Mais qu’est-ce que le monstre au juste ? C’est une créature hideuse, souvent d’origine magique, ayant rarement des bonnes intentions envers l’Humanité et en particulier les enfants. Cela peut aussi désigner dans la vie réelle une personne difforme ou dont nous considérons le comportement comme réprouvable, à tort ou à raison. Dans son aspect difforme, il devient le symbole de notre intolérance face à une certaine altérité.

Nous trouvons une multitude de monstres foisonnant dans les folklores : la Lorelei dans les pays germaniques, la Llorona dans les pays d’Amérique latine, le Chupacabra au Mexique, Baba Yaga en Russie, le Pocong en Indonésie, le Cavalier sans tête aux Etats-Unis, etc. Certaines créatures ont connu plus de succès que d’autres et ont marqué durablement leur influence, c’est donc d’eux dont on va parler en priorité.

Nous ne parlerons pas des kaijus, films de monstres géants japonais, même si le sujet peut s’y prêter, car ils sont beaucoup trop dissemblables et connaissent leurs propres codes que n’ont pas les autres films de monstres. Encore plus souvent que les films qui vont nous occuper, l’aspect horrifique est abandonné pour le registre de l’aventure ou de l’action. Nous ne parlerons pas non plus des films d’animaux tueurs, qui certes font rencontrer des animaux monstrueux par leurs comportements, mais qui se basent sur un aspect beaucoup trop réaliste, tel Les Oiseaux ou Cujo. On y trouve un thème de vengeance de la nature sur l’homme qu’on ne retrouve pas forcément ailleurs (voir Le jour des animaux de William Girdler en 1977).

Au cinéma, mais à vrai dire de même en littérature et en peinture, le monstrueux passe d’abord par l’apparence. On utilise les personnages difformes, dont l’aspect marquent directement une différence avec le monde, sans s’interroger sur la substance de la personne qualifiée de « monstre ». C’est de fait de cette représentation que le film Freaks de Tod Browning est considéré comme un film d’horreur, malgré qu’il soit davantage un récit purement dramatique. Dans cette histoire, le nain d’une foire ambulante d’humains difformes s’éprend d’une belle femme, qui en retour se joue de lui car elle connait sa fortune et n’a que mépris pour les « Freaks » (surnom offensant des difformes). Ce récit de manipulation, d’une volonté d’amour du monde extérieur impossible, se termine mal pour l’usurpatrice qui subira la colère des Freaks voulant secourir leur ami.

Il arrive qu’un personnage 100% humain, mais pouvant commettre des crimes, soit reconnu comme un monstre par sa difformité. Le Fantôme de l’opéra de Gaston Leroux (1910) et ses diverses adaptations le montrent. Erik, le fameux « fantôme » du roman, est un ancien prestidigitateur qui s’est réfugié sous l’Opéra Garnier à Paris. Doué d’une grande sensibilité, d’une belle voix et d’un certain talent musical, il est toutefois rejeté par la société car il est hideux de naissance. Tombant amoureux d’une jeune chanteuse de l’opéra, il fera tout pour gagner son amour, quitte à la kidnapper et à tenter d’assassiner son fiancé. Tout cela s’avère impossible à cause de sa monstruosité physique. Le tragique de l’œuvre réside dans le fait qu’Erik n’est pas un homme mauvais en soi, c’est sa situation qui le pousse à ces actes. Il apparaît plus pitoyable que méchant, notamment dans la première adaptation avec Lon Chaney (1925). On peut citer aussi le cas du film Phantom of the Paradise de Brian de Palma (1974), qui mixe la légende de Faust et celle du fantôme, en contant l’histoire d’un compositeur volé, spolié, mutilé par un producteur véreux de musique, et qui hante l’opéra de ce même producteur afin que sa musique soit enfin entendue. Même si, fort heureusement, les mentalités ont évolué et que certaines tares physiques ne sont plus pointées du doigt, la difformité reste un élément qu’on retrouve dans les histoires d’horreurs.  Le cas le plus flagrant étant le slasher Vendredi 13 et son Jason Voorhees difforme sous un masque de hockey.

Bon nombre des premiers films d’horreur vont s’inspirer de la littérature gothique anglaise, ou tout du moins d’une certaine atmosphère s’y rapportant. Le vampire en est probablement la figure représentative. Cette créature, aux multiples noms à travers le monde, est un mort-vivant, un être humain transformé en créature démoniaque. La première mention textuelle du terme vampire vient d’un journal viennois intitulé Das Wienerische Diarium en 1725, à l’intérieur du procès-verbal d’un représentant du gouvernement autrichien[1]. Le vampire est, encore plus dans ses versions récentes, à mi-chemin entre trois sensations : la peur, la puissance et l’érotisme. La frayeur par la peur de l’obscurité, de la mort et de la douleur. La puissance, avec un personnage aux multiples pouvoirs, quasi-invincible et omnipotent nécessitant plusieurs hommes pour l’abattre. L’érotisme car le vampire est aussi séducteur. Sa position dominante face à sa « proie » peut faire penser à une relation BDSM. La morsure au contact de la peau qui fait comme une pénétration, à l’instar du Dracula de la Hammer ou de la Carmilla de Le Fanu. La symbolique du sang y est importante dans la légende : le rouge c’est la couleur de la vie et le vampire aspire celle-ci pour survivre.

Le vampire a connu différentes interprétations au cinéma, toujours en se renouvelant. Chez Universal le vampire, notamment le Dracula de Tod Browning (1931), vient de l’est. Il a peur du jour, de l’ail, peut se transformer en chauve-souris, ne se reflète pas dans le miroir, peut hypnotiser et possède des canines acérées. Chez la Hammer, le vampire garde ces mêmes caractéristiques, ses yeux sont injectés de sang et il se montre bien plus séducteur avec les femmes. Comme dans Le cauchemar de Dracula où il est jaloux de ses maîtresses et souhaite de nouvelles conquêtes féminines, ce qui reste un thème dans un autre film, Les cicatrices de Dracula. Nosferatu de Murnau (1922) nous fait découvrir un Comte Orlok à l’aspect cauchemardesque (oreilles pointues et griffes à la place des doigts). Même faiblesse que l’on retrouve chez les autres vampires, en particulier la crainte du jour. Le Comte Orlok a une dimension plus pathétique, celui d’un vampire amoureux, qui sera encore accentué dans le remake de Werner Herzog avec Klaus Kinski en rôle-titre. Vampyr de Dreyer (1932) s’inspire vaguement de Carmilla. Cette fois c’est une vieille dame qui contrôle son monde et s’attaque aux jeunes filles. Elle est capable de manipuler les ombres. Comme pour Dracula, un pieux dans le cœur à la levée du jour permet de la vaincre. Les lèvres rouges d’Harry Kümel (1971) fait intervenir la Comtesse Bathory, coupable dans la réalité du massacre de plusieurs jeunes filles, dans le monde moderne. Là aussi on retrouve l’influence de Le Fanu. Les relations lesbiennes sont ouvertes et font face au couple hétérosexuel. Le changement ici c’est de mettre le vampire aux prises à un couple dysfonctionnel, le mari étant une brute épaisse qui veut contrôler entièrement sa femme, tout en lui mentant et en couchant avec d’autres. En l’espèce, le vampire vient plutôt révéler les problèmes du couple et en quelque sorte permettre la libération de la femme de la tyrannie de son époux. Dans Entretien avec un vampire de Neil Jordan (1994), les vampires ont moins de superpouvoirs, sont toujours allergiques au soleil mais ne fuient pas devant l’ail. Le long-métrage aborde des questions familiales et de l’aspect sexuel et sensuel du vampire. D’autant plus que s’ils se nourrissent de sang humain, les morts-vivants peuvent amplement survivre avec le sang des animaux. D’une certaine façon les vampires se sont démocratisé ces 40 dernières années, c’est-à-dire qu’ils ne sont plus aristocrate et pédant, mais s’accompagne d’une perte de leurs pouvoirs. Dans Aux frontières de l’aube de Kathryn Bigelow (1987), les vampires sont des marginaux qui vivent cachés de la société et n’ont comme pouvoir que l’immortalité. Dans la série Buffy contre les vampires, les vampires font partie d’un panel de démon que doit affronter l’héroïne et n’en sont d’ailleurs pas les plus puissants. Même s’ils peuvent utiliser la magie, leur pouvoir de base sont simplement une certaine longévité et des sens accrus. L’enfant miroir de Philip Ridley (1990) est une tentative intéressante d’utiliser le mythe du vampire pour réaliser une critique sociale de la superstition et des petites communautés fermées sur elles-mêmes. On utilise la légende de vampire mais il n’y en a pas dans le film. C’est le gamin superstitieux, personnage principal de l’œuvre, qui interprète mal les choses.

Le loup-garou, autre figure monstrueuse, est un mythe ancien. On dit que c’est une punition de Zeus envers Lycaon. C’est l’écrivain et homme politique Gervais de Tilburg qui est à l’origine, au 12ème siècle, du rapprochement entre loup-garou et nouvelle lune, dans son Livre des merveilles. La Lune, élément omniprésent de la lycanthropie, a plusieurs sens dans nos croyances. Elle peut signifier un changement, y compris des troubles mentaux[2]. Le loup-garou est semblable à un autre personnage de monstre, provenant de la littérature anglaise, c’est-à-dire Mr. Hyde, l’alter-ego du Docteur Jekyll. Comme ce double maléfique, le loup-garou représente la dualité de l’homme, sa part agressive en chacun de nous qui ne demande qu’à se réveiller. Les contraintes sociales de la société anglaise bourgeoise contraigne le brave docteur Jekyll qui souhaite s’en libérer sans perdre son statut social, tandis que le loup-garou cache une frustration qui explose à la pleine Lune.

Le loup-garou possède lui aussi une dimension sexuelle[3], sauf qu’il s’agit moins de séduction que de sortir du refoulé, soit en découvrant son corps et une sexualité plus animale (comme Ginger Snaps ou Hurlements), soit par la révélation de certains tabous comme l’homosexualité.

Moment important d’un film de loup-garou, la transformation peut être soit instantanée soit progressive, mais elle est quasiment tout le temps douloureux. La compagnie des loups de Neil Jordan (1984) nous fait voir une scène gore où le malheureux doit s’arracher la peau, ses os changer de place afin de réapparaitre en loup. Le loup garou de Londres de John Landis (1981) et sa scène mythique dévoilent l’horreur de cette transformation[4].

Le loup-garou peut aussi avoir un aspect étonnamment prolétaire, en étant assimilé à des esclaves qui se révoltent, qui sont sales (image associée souvent au prolétariat à cause de la salissure causée par les machines dans les usines ou les mines) et vivent dans les sous-sols, comme dans la saga (très médiocre) Underworld. Dans Teddy des frères Boukherma, le loup-garou devient le symbole du refoulement social qui explose. Teddy y est un jeune en situation précaire et sans parent, élevé par son oncle déficient mentalement, qui est rejeté à la marginalité par tout le monde et qui fait de la provocation pour se faire remarquer. Au fur et à mesure du film, que tout ce qui lui restait lui est retiré, il assume sa colère jusqu’à provoquer un massacre un soir de pleine Lune lors de la soirée de bingo de son village.

Il existe des questions sociales abordées par les vampires et les loup-garou de manière plus ou moins affirmées, même s’il s’agit rarement de l’objet principal. C’est l’exemple de When animals dream de Jonas Alexander Arnby (2014) où le loup garou devient une métaphore de l’affranchissement de la femme d’un milieu patriarcal cherchant à la contrôler. Par ailleurs, les images de monstres sont souvent utilisées dans la propagande politique. Marx comparait dans le Capital les capitalistes aux vampires. Même chose dans le court-métrage d’animation Interplanetary Revolution, dont nous avions déjà parlé sur ce blog. Le film Pura Sangre de Luis Opina montre un grand bourgeois boire le sang de jeunes hommes pauvres pour continuer à survivre. Les bolchéviques ont été comparés à des monstres sanguinaires du folklore, comme le furent aussi les nazis. Jouer sur le folklore populaire permet de mieux toucher les gens, comme à l’image de cette affiche des communistes allemands présentant le spartakiste luttant contre l’hydre de l’Herne de la réaction et du SPD.

Un exemple parlant est décrit page 21 du livre de Jean Marigny, La fascination des vampires :

« Une gravure de Walter Crane, de 1890, représente un ouvrier allongé sur le sol tandis qu’une énorme chauve-souris portant l’inscription « Kapitalismus » lui suce le sang et qu’un ange ailé, soufflant dans une trompette où est inscrit le mot « Socialismus », vient à son secours. »

Frankenstein est un roman de l’écrivaine anglaise Mary Shelley. La créature au centre de l’histoire est faite de morceau de cadavre, par un créateur qui voulait prouver qu’il était lui aussi capable de créer la vie de toute pièce. Abandonnée, la créature devient autodidacte. Douée d’intelligence et de sensibilité, c’est celle-ci qui la poussera à la violence face au rejet à cause de son apparence. Dès le livre il y a un aspect pitoyable et humain du monstre de Frankenstein.

Frankenstein de James Whale (1931) reste la plus célèbre adaptation du mythe. Ici, l’ambiance gothique est respectée même si elle fait intervenir en parallèle un monde moderne. Même si la créature est une menace et possède un cerveau de criminel, celle-ci ne semble pas vicieuse. En réalité, la plupart de ses actes répréhensibles sont soit de l’autodéfense soit de la stupidité. Il en va ainsi lorsqu’il assassine l’employé de son créateur qui le battait régulièrement, ou lors de la scène extrêmement connue avec la petite fille, où il tue cette dernière sans le vouloir car il ne comprend pas que les petites filles ne flottent pas (ce qu’on voit à son visage paniqué après l’acte). Le monstre n’est plus l’être doué de sensibilité et intelligent de Mary Shelley, mais il reste pitoyable et on ne peut s’empêcher de garder une certaine empathie pour lui.

Frankenstein connaîtra plusieurs adaptations, dont un film des années 90 se voulant fidèle au roman et proche esthétiquement du Dracula de Coppola, sans parvenir au même brio que les deux œuvres. Chez la Hammer, le monstre n’est plus au centre, il n’est plus pitoyable mais sanguinaire. Il est remplacé par son créateur, devenu un petit-bourgeois psychopathe sans aucune émotion[5].

Le personnage du docteur Frankenstein a, chez Shelley comme dans les adaptations, un aspect très anti-religieux en voulant se jouer créateur à la place du Créateur, même si devant les erreurs qu’il commet cela fini par prouver la validité de la religion et le renoncement à une volonté de connaissance à tout prix. Le personnage du docteur fou jouant à Dieu va inspirer une floppée de personnages dans la littérature et les autres arts. Le docteur Moreau du livre d’H.G. Welles en est un exemple : voulant prouver certaines vérités sur la civilisation, il transforme chirurgicalement des animaux afin de les rendre bipède et capable de parole. Nous avons le cas d’Herbert West dans Re-animator, adapté d’une nouvelle de Lovecraft, où le brillant et égocentrique docteur réanime des cadavres pour prouver qu’il peut étendre la vie à l’infini, même si cela se termine en catastrophe.

Au fil des ans, les monstres perdent de leur crédibilité dans le cinéma d’horreur et connaissent des parodies. C’était déjà le cas dans les années 50 chez Universal, puis avec Mel Brooks ou dans quelques sorties récentes. Le genre horrifique a tendance à être abandonné au profit du drame. Les monstres deviennent des êtres incompris, digne de notre sympathie. On pourrait citer l’exemple de La mouche de Cronenberg, où la transformation totale du docteur en mouche géante laisse voir sa douleur et son humanité. Le cinéma de Tim Burton utilise ce thème de l’empathie pour les monstres à fond. Edward aux mains d’argent (1990) est victime de l’incompréhension du monde et d’un amour impossible à cause de son apparence. L’étrange noël de Mister Jack (1993) montre le roi de la journée d’Halloween qui se lasse de faire peur et veut connaître d’autres sensations. Les noces funèbres (2005)narrent l’histoire d’une revenante à qu’un jeune homme a demandé en mariage sans le vouloir, et qui doit terminer la procédure pour que l’âme de la défunte repose en paix.

L’amour y est à chaque fois impossible et se termine toujours par un échec :

« L’union des corps et des âmes avec un être humain clairement identifié comme tel s’avère impossible. Cette tentative et son échec provoquent à chaque fois violences et destructions. Cette équation et son improbable résolution confrontent, à titre d’exemple, Ann Darrow, l’héroïne de King Kong, et le singe géant qui en est amoureux ; Imhotep la momie et Helen Grosvenor, réincarnation d’Anck-es-en-Amon, princesse égyptienne dont il est épris ; Lota une panthère devenue femme « grâce » aux manipulations du docteur Moreau et Edward le héros naufragé ; et dans notre démonstration Hans et Cléopâtre, les héros tragiques de Freaks. »[6]

L’influence des monstres se retrouvent énormément dans les comics (il faut se rappeler qu’avant la censure bon nombre de BD des Etats-Unis étaient horrifiques) et il n’est pas étonnant de les retrouver dans l’univers des super-héros. Hulk, le colosse vert alter-ego de Bruce Banner, a son design inspiré de la créature de Frankenstein du film des années 30. Et sa double personnalité concentrant ses sentiments refoulés est inspiré du célèbre Mr.Hyde. Blade, le chasseur de vampire chez Marvel, qui traque à ses heures perdues Dracula. Ghost rider, le motard ayant fait un pacte avec le diable et contraint à se transformer. Man-Thing, une créature des marais amorphe résultat d’un accident. Sans parler des ennemis de Batman, dont l’apparence monstrueuse est frappante, comme l’Epouvantail et Double-face.

Les monstres ont même tendance à devenir eux-mêmes des super-héros. Buffy contre les vampires qui s’inspire clairement des codes super-héroïque, offre un panel de créatures fantastiques se mettant du côté de l’héroïne dans sa quête contre le mal, ou au contraire en souhaitant détruire le monde. Une série plus récente comme Teen Wolf reprend les codes de la série de Joss Whedon mais avec des loup-garou, dont la transformation n’est plus douloureuse et est rapidement maitrisable. Twilight, qui se veut comme une saga romantique, offre une collection de vampire et de loup-garou dont les aspects négatifs ont été enlevés, y compris la crainte mortelle du soleil, ce qui fait d’eux in fine seulement des défenseurs de la veuve et de l’orphelin. A tel point que la mélancolie du personnage principal, qui regrette sa transformation, devient incompréhensible, tellement le vampirisme ne comporte que des avantages. On retrouve aussi dans l’excellente BD La ligue des gentlemen extraordinaires d’Alan Moore Mister Hyde en tant que personnage principal. D’où le fait que, même si le projet tendait à éloigner les monstres de leur aspect horrifique, l’idée du Dark Universe d’Universal[7] n’était pas totalement incongru.

Qu’en est-il, même si cette question a traversée cet article, de la position du mouvement ouvrier et du cinéma progressiste avec le cinéma des monstres.  Les relations ne sont pas inexistantes, il existe quelques exemples, mais ils restent rares, le monstre étant souvent utilisé de manière idéaliste lorsqu’on va parler de sujet important, où alors représente une rébellion individuelle destinée à l’échec. Sa lutte, c’est celle de son acceptation dans la société. Cette lutte est destinée à être perdue, car à l’instar du poète incompris en avance sur son temps, le monstre n’arrive pas à faire cesser l’intolérance des autres. Cet aspect d’éternel retour de l’échec vient tout droit de l’héritage romantique de ces histoires, il n’est donc pas étonnant de retrouver ce traitement de l’intrigue. Les questions sociales sont assez rares en réalité, sauf pour des sujets comme la sexualité ou la libération de la femme, et encore il s’agit d’utiliser des images racoleuses pour vendre un produit, mais nous ne retrouvons pas une remise en cause du système capitaliste, de son exploitation du travail et des pays du Tiers monde. Les monstres représentent des marginaux qui n’arrivent pas à s’insérer dans une certaine société, dans le meilleur des cas ils peuvent représenter des minorités. Le problème qui se pose est aussi la réponse à apporter à ces problèmes : la pure sauvagerie ou le collectif ? La lutte contre sa marginalité par la violence individuelle, quitte à faire des victimes innocentes, ou une action collective pour faire changer les mentalités et trouver un véritable statut social ? En guise de conclusion, si on enlève toutes les interprétations que nous pouvons avoir sur les œuvres, il ne faut pas oublier que si nous avons droit toujours à ce même genre d’histoire qui marche auprès du public, ce n’est pas par réflexion poussée sur la société. Il s’agit simplement d’intrigues faciles à recopier, donc rapidement écrite et produite, où l’on met juste assez de pathos pour l’identification avec les personnages et assez d’érotisme pour attirer le public. L’objectif c’est le rendement, le profit à tout prix. L’industrie réalise des films médiocres pour un public capable de l’apprécier et prêt à payer pour ces produits. On touche à l’art des masses dont parlait le philosophe hispano-mexicain Adolfo Sanchez Vazquez[8], c’est-à-dire un art dont on a retiré la substance pour qu’il soit accessible aux hommes aliénés du capitalisme, se tuant à la tâche toute la journée et souhaitant juste mettre leur cerveau sur pause le soir, qui ne peuvent apprécier une œuvre réellement artistique et se contentent d’un art amoindri et déshumanisé.


[1] Lire l’ouvrage sur le vampire de Jean Marigny, La fascination des vampires.

[2] Voir l’analyse de Ginger Snaps par le blog Bon chic bon genre (20/01/2021).

[3] Voir « [Dossier] Le loup garou et sa représentation dans le genre », sur le blog Bon chic bon genre le 20/03/2021

[4] L’idée de douleur causée par la transformation se retrouve dans des séries fantastiques récentes comme Vampire diaries.

[5] « La persistance du mythe : Frankenstein à l’écran », extrait du livre Frankenstein : mythe et philosophie de Jean-Jacques Lecercle (1998).

[6] « Corps extrêmes et figures de l’entre-deux dans le cinéma fantastique hollywoodien 1931-1935 », Champ psychosomatique numéro 35, Olivier Rachid Grim.

[7] Voir la vidéo « Universal monsters » – de l’âge d’or au Dark Universe », 01/11/2020.

[8] Dans Les idées esthétiques de Marx.

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