Mouvement ouvrier et cinéma d’horreur. Les débuts du cinéma d’horreur à nos jours

Les premiers studios de cinéma produisaient déjà des films d’épouvante (Frankenstein) ou à caractère fantastique, mais c’est seulement après la Première guerre mondiale que l’horreur va vraiment devenir retentissante au cinéma, en particulier dans le cinéma allemand, avec des films comme Nosferatu ou Le cabinet du docteur Caligari. Ils font suite à l’échec de la révolution allemande, mais aussi à la boucherie monumentale de 14-18 pour les travailleurs, dont on peut penser que les horreurs à l’écran sont le reflet des horreurs vécus (ou en tout cas à l’origine du succès)[1]. C’est ce « reflet » de la réalité dans les consciences qui se retrouve dans le mouvement artistique expressionniste, montrant les horreurs de la guerre, souvent associé aux premiers films d’horreur. C’est aussi un élément partagé avec le jeune mouvement artistique du surréalisme[2] : la haine de la guerre et de ses abominations tout d’abord, qui hantent les premières œuvres, puis l’aspect onirique des poèmes, peintures ou films (qu’on pense à Un chien andalou). Et d’ailleurs, les surréalistes appréciaient beaucoup la littérature gothique, à l’instar de Breton et Artaud, car l’imagination était sans limites à l’instar de la méthode créatrice des surréalistes.  

Il y a aussi dans ces films allemands une sorte de conscience nationale refoulée avec les accords de Versailles. Précédemment j’avais rappelé que l’Allemagne avait été le lieu privilégié de l’occultisme et des charlatans. Les prestidigitateurs de génie qui par leurs tours peuvent commettre des crimes beaucoup plus graves que le vol sont présents dans le jeune cinéma allemand, à l’instar du fameux docteur Calligari ou du docteur Mabuse. Et d’ailleurs les vieux contes allemands sont aussi adaptés, comme la légende de Siegfried via les deux parties des Nibelungen de Fritz Lang. Cette dernière adaptation étant même destinée à redresser un certain esprit allemand.

En 1929, un krach boursier a plongé le monde dans une crise économique sans précédente. Aux USA, la bourgeoisie va tenter coûte que coûte de maintenir la confiance du peuple américain dans le mode de production capitaliste. Toutefois, des sociétés comme la Universal vont produire des films beaucoup plus sombres en prenant pour thèmes des éléments horrifiques. Précisons-le tout de suite, le but n’est pas contestataire mais financier : les films rapportent énormément pour un faible budget. Il s’agit souvent de films entre 1h et 1h15, inspirés par l’expressionnisme allemand et le gothique. Bien entendu, les plus connus sont Dracula puis Frankenstein, respectivement de Tod Browning et James Whale, avec Bela Lugosi et Boris Karloff, en 1931. En ce qui concerne Dracula, c’est l’interprétation de l’acteur principal qui marque les mémoires, donnant dans l’imaginaire collectif le visage de l’acteur aux traits et caractéristiques du vampire. Dans le cas de Frankenstein, Karloff joue une créature incontrôlable et enfantine, a contrario du monstre intelligent et sensible de l’histoire originale. Bien que sa présence maléfique soit soulignée, il est aussi pataud et certains de ses crimes peuvent au choix être l’effet de la peur, d’une incompréhension ou d’un geste d’autodéfense. Le studio présente une horreur engendrée par la société elle-même par les abus de la science. J’insiste là-dessus car on a trop tendance à l’oublier aujourd’hui : ce n’est pas nécessairement un message progressiste. Ainsi au 19ème siècle cette critique de la société moderne et de la science contre les valeurs traditionnelles était surtout un message véhiculé par la réaction, préférant se recueillir dans un ordre naturel hors de tout conflit social voulu par la bourgeoisie en expansion puis par le prolétariat naissant, c’est-à-dire la monarchie fantasmée[3] et son corollaire religieux. Il faut l’avoir en tête avant de regarder ces films avec les lunettes de maintenant, soit après l’horreur ultime de la bombe atomique et du réchauffement climatique.

A la même époque le chômage est massif et la sensation de rejet est forte de la part des travailleurs immigrés, ce qui explique sans doute le succès d’un long-métrage comme Les chasses du Comte Zaroff[4].

 Jusqu’à présent nous avons parlé de ce qui était produit comme cinéma d’horreur et des interprétations des divers succès. Cependant, les films dans le capitalisme sont des produits comme les autres, destinés à être rentable. Regardons dans ce cas le mode de consommation de ce cinéma. L’arrivée du parlant ayant fait augmenter les coûts de production, les producteurs trouvent divers moyens de faire du profit. Les double feature[5] apparaissent. Ils donnent la possibilité de voir deux films pour le prix d’un seul, série A et série B. L’après-midi était réservé dans les salles de cinéma aux séries B où le spectateur avait clairement le but de voir le plus de films sans regarder à la qualité, alors que le soir était réservé aux séries A. C’est surtout le Western qui est massivement produit à l’époque dans la catégorie B.

Dans le milieu des années 30, la crise se résorbant petit à petit, on constate que les films horrifiques ont de plus en plus tendance à aller vers la parodie, indiquant la volonté du consommateur américain de trouver autre chose que les histoires glauques. Face à Universal nous trouvons le studio RKO[6] qui va décider de faire autre chose que des licences et réaliser des films bien plus poétiques. L’horreur y devient une toile de fond dans un sous-texte plus global.

Les double features disparaissent dans les années 50 et les films passent désormais à la télé, réorganisant au passage le mode de consommation. Guerre froide obligeant, le cinéma est influencé par une atmosphère de paranoïa et une remise en cause des autorités accusées de mentir[7]. C’est à cette époque qu’on a énormément de films de monstres géants, dont le plus célèbre est le japonais Godzilla (1954), métaphore du danger de l’arme atomique (l’inventeur d’une arme dangereuse préfère se tuer en emportant son secret avec lui plutôt que son arme soit utilisée contre l’humanité).

Dans le même temps les cinéma drive-in apparaissent. Le mode de consommation, c’est-à-dire un écran en extérieur près d’un parking permettant d’assister à la projection, fait que ce n’est pas pour un public attentif au déroulé de l’intrigue.

A l’apogée du boom économique d’après-guerre, le genre horrifique prit une tournure marquée par le surnaturel. On assista à une pléthore de films de fantômes, sur les sorcières, sur les cultes sataniques et autres possessions démoniaques. Il est intéressant de noter que la croyance en Dieu aux Etats-Unis est utilisée à la même époque contre l’impie soviétique, accusé de tous les maux.

Dans les années 60, avec la fin de la censure le cinéma prend une nouvelle ampleur, notamment avec les célèbres Psychose et Les oiseaux d’Alfred Hitchcock. Le premier montre les premiers pas des tueurs en série au cinéma par l’intermédiaire de Norman Bates, inspiré du vrai tueur en série Ed Gein, tandis que le second fait apparaître des animaux dont l’attitude féroce est inexplicable. 1963 marques aussi le début du cinéma gore avec Blood Feast d’Herschell Gordon Lewis.

Toujours dans les années 60, le cinéma italien développe ce qu’on appelle le giallo, un genre cinématographique entre le policier, l’horreur et l’érotisme. Un genre qui inspirera grandement le slahser américain, par sa présence d’un tueur agissant dans la nuit, dont on ne voit pas le visage et qui agresse des femmes érotisées avec une certaine allégresse.

Les années 60 c’est aussi le début du cinéma d’exploitation, soit un cinéma destiné à attirer le public par tous les moyens, y compris le gore et l’érotisme, et dont le but premier est la rentabilité, quitte à être à la limite de la morale et du bon goût. Le film y est encore plus une marchandise consommable rapidement.  Roger Corman, célèbre réalisateur et producteur américain, y fait ses gammes. Outre d’avoir permis de fait connaître des talents comme Francis Ford Coppola, Joe Dante et James Cameron, d’avoir diffusé aux Etats-Unis les œuvres de Bergman, Fellini et de René Laloux[8], c’est aussi le réalisateur de nombreux films bis à l’instar de La petite boutique des horreurs en 1960. Nous avions parlé d’Edgar Allan Poe lors de l’article précédent. Roger Corman a adapté un grand nombre de ses œuvres au cinéma, sans grande fidélité avec le matériel original, dont la star est Vincent Price, inspirant le cinéma ultérieur d’un Tim Burton[9] : La chute de la maison Usher (1960), La chambre des tortures (1961), Le Corbeau (1963), Le masque de la Mort Rouge (1964) ou La tombe de Ligeia (1964). 

Lorsqu’on parle de l’horreur pendant les années 50-70, le nom d’une société de production revient souvent : la Hammer[10]. Ce studio anglais réalisa en plusieurs années des séries de films reprenant les plus grands monstres dans la perspective de les mettre au gout du jour, tout en donnant une nouvelle esthétique au cinéma d’horreur. C’est avec The Quatermass Xperiment (1955), réalisé dans le but d’éviter la faillite du studio à cause de la concurrence de la télévision, que la Hammer se fait un nom. Cette histoire de contamination sur fond de science-fiction ayant fonctionnée grâce à des images volontairement choquantes (le studio a cherché lui-même a ce qu’il y ait une limite d’âge pour voir le long-métrage), la direction de la Hammer décide de continuer dans cette direction pour exploiter le filon. Ce sera d’abord Frankenstein s’est échappé (1957). Il sera suivi de Le cauchemar de Dracula (1958), de La Momie (1959), de Le chien des Baskerville (1959), de La nuit du loup-garou (1961) et des suites de Dracula et de Frankenstein. Ces films possèdent tous à peu près les mêmes marques : un décor gothique, une présence fantastique, des personnages de la noblesse et des défenseurs du bien contre le mal. Cependant, leur succès vient aussi de la grande dose d’érotisme dans leurs œuvres, y compris à une période où la censure battait son plein. Ainsi on y voit un Dracula maitre de son harem et jaloux de ses maîtresses infidèles. Le studio périclitera dans les années 70 suite à la fin de la censure et à la concurrence de la nouvelle vague de l’horreur.   

Les films d’horreur commencent à évoquer de manière non explicite certains faits de société, sans jamais faire œuvre de pédagogie politique, comme le problème du racisme dans La nuit des morts-vivants (1968), ou bien du corps des femmes dans Rosemary’s baby (1968) et Carrie (1976). L’exorciste (1973) sera pour sa part soutenu par une école jésuite pour conforter les enseignements superstitieux[11].

En 1973, le boom de l’après-guerre atteignit ses limites et marqua la réapparition de la récession. Cela se refléta dans des films comme Massacre à la tronçonneuse (1974) et Zombie (1978). Le premier montre une famille de texans tuant des touristes pour se nourrir suite à la fermeture des abattoirs, tandis que le second dépeint les conditionnements d’une société de consommation.

Cannibal holocaust en 1980, film sous forme de found footage, provoqua une large désapprobation. Certains l’interprètent comme une critique de l’impérialisme et du pillage des ressources. L’ère des giallos se termine dans les années 70, laissant la place au slasher, en pleine recrudescence avec le succès Halloween (1978) de John Carpenter. Les œuvres mettent en scène un tueur psychopathe masqué ou défiguré[12] qui tue à l’arme blanche un groupe de jeunes adolescents aux mœurs légères. De ce fait, il est souligné le possible message réactionnaire derrière le slasher.

Dans les années 90, c’est l’explosion des VHS. Cette décennie est aussi marquée par une baisse, après la chute de l’URSS, du nombre de productions d’horreur renouvelant le genre et avec succès. On devra attendre Scream (1996) de Wes Craven pour un renouveau du slasher.

Dans les années 2000, le gore et le malsain vont encore plus loin, sans doute à la suite du 11 septembre 2001 et par la marchandisation accentuée qui oblige à être le plus « transgressif » pour vendre le mieux. D’où la mode du torture porn (Saw, Hostel), un genre montrant de jeunes personnes, surtout des femmes, capturées par une bande de sadiques et subissant des tortures. Ici, encore plus que dans le slasher, c’est vraiment le côté démonstratif de l’horreur qui importe plus que la peur en elle-même.

A la faveur de la crise économique de 2010, le genre horrifique semble redécoller. Fin des années 2010, certains films ont clairement une portée sociale comme Get out.

Il appartiendra aux gens de la prochaine génération d’étudier l’influence du coronavirus et de la guerre en Ukraine sur le genre horrifique. Sachant que notre mode de consommation des films a aussi changé. Déjà présents avant la crise du covid-19, les plateformes vidéo permettent plus facilement d’accéder aux dernières sorties sans aller au cinéma. Ce qui induit la possibilité d’avoir accès en grande quantité à un catalogue de films imaginables sans avoir à attendre leurs diffusions sur grand écran, à la télé ou en DVD. 

Bien que nous nous soyons moins attardés là-dessus, la littérature d’épouvante n’est pas devenue sans objet au 20ème siècle, que l’on pense aux œuvres de Lovecraft ou de Stephen King qui servent régulièrement d’inspiration aux œuvres audiovisuelles. Après ce résumé succinct, il appartient de s’intéresser aux liens entretenus entre nos deux objets d’études.


[1] On retrouve la même chose avec Tom Savini et la guerre du Vietnam, ce conflit lui ayant inspiré les maquillages gores qu’il produira lors de sa carrière.

[2] Un surréaliste plus tardif comme Jan Svankmajer a réalisé des court-métrages sur des œuvres gothiques, comme celle d’Edgar Poe ou Le Château d’Otrante.

[3] Je parle de fantasme car, malgré ce qu’en disent les amoureux de la royauté, la monarchie était loin d’être un régime en-dehors de l’histoire où tout se passait dans le meilleur des mondes, que ce soit pour le bas peuple ou les nobles, ces derniers pouvant être l’objet d’intrigues à leur défaveur. Les rébellions contre la royauté furent nombreuses, sans parler des guerres civiles (qu’on pense aux affrontements sanglants entre protestants et catholiques). Les rois étaient soumis comme tout le monde aux nécessités de leur époque. Ils ne faisaient pas l’histoire, ils en faisaient partie.

[4] « Les films d’horreur – Le déclin du capitalisme à travers le cinéma », Révolution TMI, 31/10/2019.

[5] « Cinéma Bis, Film d’exploitation, Série B et autres Nanars », Vidéodrome, 28/04/2018.

[6] « L’histoire du film d’horreur hollywoodien (1930-1960) », Mai-Lie, 11/03/2021.

[7] Je me permets un aparté, que j’avais déjà plus ou moins souligné dans ma critique du film Les bourreaux meurent aussi de Fritz Lang. Cette dénonciation des autorités n’est pas non plus nécessairement progressiste. Je rappelle que l’extrême-droite c’est souvent servi des scandales politiques pour faire sa soupe, quand bien même le casier judiciaire de ses membres ferait pâlir n’importe qui, en mettant le doute sur la démocratie, nécessairement corrompue, plutôt que sur le véritable problème, c’est-à-dire le capitalisme et sa classe dirigeante. De même aux Etats-Unis McCarthy a mis en doute les autorités en accusant arbitrairement chacun d’être en réalité des communistes, sans aucun fondement.

[8] Nous en avions déjà parlé lors d’un article précédent au sujet de La planète sauvage.

[9] Tim Burton fera référence à l’univers d’Edgar Allan Poe chez Corman dans son court-métrage Vincent (1982), dont le narrateur est Vincent Price.

[10] Voir le documentaire d’Arte, Terreur et glamour. Montée et déclin du studio Hammer.

[11] Ce n’est pas le seul exemple de cas où la religion s’empare d’un film extrêmement violent pour faire passer ses messages. Je vous invite à aller voir la vidéo de la chaîne Cinéma et politique sur La passion du Christ de Mel Gibson.

[12] Ou les deux dans le cas de Jason Voorhees.

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