Villemolle 81 : une expérience délirante

Chers lecteurs, je vais tenter avec la critique d’aujourd’hui de faire un exercice que je trouve difficile : parler d’un film comique. Je dis difficile car l’humour n’est pas quelque chose d’universel, et même dans un pays où les gens sont censés partager un certain nombre de traits culturels commun, ce qui fait rire n’est pas toujours partagé par tous. Ce que je viens d’écrire, ce sont des lieux communs. Si je veux être plus précis, analyser ce qui est drôle ou délirant pour nous n’est pas forcément objectif, et donc c’est sans doute là où on risque les plus gros biais. Comment analyser le style de l’œuvre permettant l’humour ? Comment examiner ses références à d’autres œuvres humoristiques ? Comment juger de la qualité ? Bref, cela ne me semble pas forcément simple.

Le film en question est l’un de mes coups de cœur, Villemolle 81 de Winshluss (2009). Le film est composé de deux parties de 40 minutes chacune. La première raconte l’émission d’un journaliste dans une petite ville du Tarn pour son émission sur les « charmants villages de France », Villemolle, où les habitants sont tous haut en couleur et barrés. La seconde partie en noire et blanc raconte l’invasion de zombies dans le même village. Si déjà vous êtes interloquez par ce genre de résumé, ce n’est rien à côté du DVD ! En effet, dans les bonus intitulés « Rien », il n’y a… rien. Au dos du DVD, on trouve l’inscription suivante :

« Inclus : Sexe ! Scènes de torture uncut ! Sexe ! Massacre d’animaux ! Sexe ! Bêtisier ! »

Et vous avez le droit avec à un plan de la ville dessiné par Winshluss et à un guide touristique dont je vous mets de extraits en dessous et qui donne bien le ton voulu par l’œuvre !

Peut-être ce qui m’a plu dans l’œuvre c’est le mélange des genres cinématographiques et les inspirations diverses, y compris à des émissions de télévision comme Groland. En plus d’un usage bien senti de l’animation pour illustrer plusieurs scènes.  Après tout, Winshluss alias Vincent Paronnaud est un créateur de BD et le co-réalisateur du film d’animation Persepolis de Marjane Satrapi ! Essayons donc d’apporter une analyse !

Villemolle 81 est gratuit dans l’histoire qu’il propose, dans le sens où rien n’a vraiment de sens et le scénario est minime, composé surtout d’un enchaînement de conneries et de surprises. Les images de la première partie du film ressemblent beaucoup à ce qui peut être fait à la télé, par exemple sur France 2 ou France 3. D’ailleurs le réalisateur reconnait des parentés avec l’univers de Groland[1]. La première partie, à travers la fausse émission « Charmants villages de France », veut parodier toutes les émissions françaises sur les villages de l’Hexagone en reprenant ses codes : le journaliste, le ton et la voix du journaliste, l’interview des habitants avec la découverte de leurs passions, la visite des lieux et la géographie.

A cela s’ajoute la multiplication des effets spéciaux en tout genre qui donne un amalgame de plusieurs genres : maquette, animation, 3D, etc. Comme je l’ai déjà signalé, le long-métrage possède de nombreuses scènes d’animations, notamment lorsqu’il s’agit au super-calculateur (déjà présent furtivement dans le court-métrage Il était une fois l’huile) de faire des prédictions, ou lorsque le passé bouseux du bled est raconté. Pour ceux qui ont déjà lu des BD de la main de Winshluss, ils peuvent distinguer la patte de l’auteur dans plusieurs scènes. Au demeurant la palette de couleur du film n’est pas constante : on alterne entre des moments colorés et du noire et blanc (sans doute en hommage à La nuit des morts-vivants de George Romero).

Dans la première partie, le réalisateur a révélé qu’il y avait un fil conducteur (probablement le seul cadre de l’émission et de la météorite) mais que chacun des acteurs a pu ajouter sa touche de bêtise à l’histoire.

Les personnages qui composent la ville sont tous farfelus. Celui qui m’a le plus marqué est celui du maire, qui est l’archétype du dirigeant d’une commune rurale attaché à sa ville avec excès. Ses idées pour faire briller sa bourgade sont toutes abracadantesque. Il est alcoolique, beau-parleur, colérique, illogique dans ses actions mais sans jamais se laisser abattre quand la réalité contredit ses envies. Il ressemble un peu à l’homme fort et macho des films d’actions hollywoodien des années 80. Tous les autres habitants de Villemolle sont du même acabit, entre l’écolo bobo qui se déguise en nounours pour apprendre le végétarisme à des zombies, la peintre féministe anti-oppressive que ne peint que des bites ou la secrétaire de mairie qui rédige des livres érotiques.

On peut noter la présence de fausses bande-annonce dans le film. La première pour annoncer le retour du requin-tigre dans le Tarn, avec notamment des passages en anglais inspirés des Dents de la mer, puis en guise de conclusion du film la bande-annonce de Villemolle 2. Ces « trailer » volontairement parodique sont inspirés des bande-annonce qu’on pouvait avoir dans les années 80, mais aussi des fausses bande-annonce accompagnant le projet Grindhouse de Tarantino et consorts.

Les scènes délirantes ne manquent pas, outre les deux citées précédemment. Je citerais la scène dans la deuxième partie où l’écolo bobo chante déguiser en ours une chanson pour apprendre aux zombies le bienfait de manger des carottes ! Et cette scène qui a sans doute marquée beaucoup de gens est simplement dans le ton du reste de l’œuvre. A l’instar de cette autre scène où le journaliste transformé en zombie vient manger la féministe, mais celle-ci pensant qu’il est venu assouvir un désir sexuel, le tabasse violemment avec toute sa rage, avant de voir qu’il a transformé les saucisses dont elle se sert en zombie. Au climax de la première partie, avec la représentation de la bataille (battaille avec deux t en fait) de Villemolle contre les Anglais, et qui est complètement pété bien entendu, entre le Rap des paysans, le Synthé et la flute qui ne sont pas loin, le fait qu’un personnage est déguisé en Nounours. Le spectacle se termine en baston bourré avec motos et épées en bois sur fond de musique et d’image épileptique.

Vincent Paronnaud alias Winshluss est né en 1970 en France. Il est un auteur de bande-dessinée dont la plus célèbre est Pinocchio (2008) pour lequel il a reçu le prix du meilleur album en 2009. Star de la maison d’éditions Les Requins marteaux, il est aussi le réalisateur avec Marjane Satrapi de Persepolis et Poulet aux prunes. A côté de cette collaboration, il réalise plusieurs court-métrages et œuvres de fictions cinématographiques depuis plusieurs années, Il était une fois l’huile, La mort père et fils et Hunted. En BD, son style est reconnaissable : le dessin est très cartoonesque, les histoires grotesques, l’ironie très présente, le ton est désabusé et contestataire dans un sens. Les influences du monde du Septième art sont aussi déjà présentes.

Villemolle viendrait d’un cachet du festival d’Angoulême à Winshluss (15000 euros) pour faire une exposition, mais dont il a préféré se servir pour faire un film car le projet ne l’enthousiasmait guère. Le scénario a été écrit avec Frédéric Felder (qui joue le maire), avec Raphaël Barbant à la régie. La plupart des acteurs viennent du milieu de la BD, dont Blutch qui joue le journaliste Marc Chambaz.

L’équipe du film était là par plaisir pour le projet et hyper joyeuse pour le tourner. D’ailleurs dans un entretien au journal Brazil, Winshluss disait :

« Un film ne peut pas être fait tout seul, parce que c’est une question de compétences à mettre en commun. Et aussi d’envies qui se dynamisent, d’échanges constructifs. Si l’équipe qui a bossé sur Villemolle n’en avait pas eu envie, ça n’aurait jamais vu le jour. »

Le tournage s’est majoritairement fait au hameau de Catusse[2] à Crespinet dans le Tarn, pendant 20 jours (produit par la maison de BD Les Requins Marteaux). Les habitants de la ville ont beaucoup participé, y compris le maire, qui n’a pas hésité à mettre à disposition ses tracteurs. Le réalisateur note quelques problèmes de montage à cause de la qualité médiocre du matériel.

Afin d’arriver à la conclusion, parlons de quelques critiques que j’ai pu trouver au film sur internet[3] : la première partie serait trop longue, le rythme nonchalant et le jeu d’acteur outré. J’aurais beaucoup de mal à pouvoir apporter concrètement une critique constructive sur ces points, car en effet ces éléments peuvent paraître vrai mais ils permettent à la fois d’installer l’ambiance de bêtise crasse et de provoquer le rire, et de préparer la seconde partie du film.

Pour qui le film est tourné ? Probablement les fans du cinéma d’horreur et ceux qui aiment les univers décalés, mais en tout cas pas à la majorité comme l’avoue Winshluss :

« Ce qui pour moi renforce l’intérêt des choses comme Villemolle, parce qu’elle n’a pas d’incidence sur l’économie du cinéma. Je sais pertinemment que ce film ne peut parler qu’à un cercle réduit, à ceux qui ont envie de l’entendre. Le côté culture de masse, truc fait pour parler à tout le monde, mais finalement sans rien dire, j’en ai marre. L’art n’est pas forcément démocratique, c’est comme ça. »

A la fois mélange fourre-tout de diverses œuvres et film (ou « projet autonome audiovisuel »[4] selon son auteur) qui par le fait même qu’il ne raconte rien et va dans tous les sens ne satisfera qu’une poignée de spectateurs.  Même si on ne peut favoriser la généralisation de ce point de vue (il faut quand même qu’une partie des œuvres restent accessibles aux masses sous peine d’enfermement du 7ème art), on peut comprendre son point de vue d’artiste qui avait surtout envie de faire un projet personnel avec peu de moyens.

Pour finir sur une autre citation de l’auteur dans le même entretien à Brazil :

« L’underground, c’est ça pour moi : la manière de faire quelque chose et ensuite seulement une réussite artistique ou non. La principale étape de fabrication de Villemolle se résume à : on veut faire quelque chose, on n’en a pas les moyens, mais on le fait quand même, on fonce. »


[1] Interview de Winshluss sur Villemolle 81 dans Brazil de mai 2011.

[2] « Les Requins Marteaux tournent leur film aujourd’hui à Crespinet », La Dépêche, 04/10/2008.

[3] Notamment celle sur le site Psychovision.

[4] « Winshluss 6 – Villemolle 81 » sur la chaine YouTube de Guillaume Gwardeath le 18/01/2020.

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