Avant de lire cet entretien passionnant avec Olivier Azam, nous tenons à vous inviter à aller voir le film Hacking justice et à le faire connaître autour de vous. Plus qu’un moyen de faire une publicité pour Les Mutins de Pangée, et donc une autre vision du monde face à l’hégémonie réactionnaire actuelle, c’est aussi une question de défense de nos libertés. Un journaliste, Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, est actuellement enfermé dans une prison anglaise pour avoir révélé des crimes de guerres abominables. Toutes les pressions sont bonnes pour le faire plier et le détruire psychologiquement et physiquement. Nous ne pouvons qu’inviter le lecteur à rejoindre les associations françaises soutenant sa libération immédiate.

Pouvez-vous présenter rapidement votre association ? Quelles sont vos activités ?
Les Mutins de Pangée est une coopérative cinématographique qui a fabriquée quelques films en interne pour le cinéma depuis 2008 : Chomsky & Cie (Azam-Mermet) ; Bernard ni Dieu ni chaussettes (Pascal Boucher); Grandpuits & petites victoires (Azam) ; Howard Zinn une histoire populaire américaine (Azam-Mermet) ; La cigale le corbeau et les poulets (Azam-Mermet); nous avons tourné Merci Patron ! de François Ruffin et pour bientôt nous allons sortir un nouveau film tourné sur un grand patron : Des idées de génie ? (Brice Gravelle).
En 16 ans, nous avons réalisé plus de 70 éditions DVD et livres et lancé une plate-forme VOD . D’autres projets sont en préparation notamment des films en cours de tournage et de montage.
Pourriez-vous nous parler de votre plateforme CinéMutins ?
Nous proposons de la VOD depuis très longtemps mais depuis l’année dernière, nous avons lancé cinemutins.com et ça a vraiment décollé.
On propose une sélection de déjà plus de 1000 films en VOD proposée par l’équipe de la coopérative des Mutins de Pangée grâce à une centaine de partenaires producteurs, éditeurs, distributeurs, réalisateurs franc-tireurs… Un quart du catalogue au moins est composé de films qui étaient jusque-là totalement inédits en VOD et même pour beaucoup inédits en DVD, parfois oubliés, retrouvés.
Nos choix se portent en priorité sur les films qui font référence dans le cinéma politique, à l’histoire sociale, les luttes sous toutes leurs formes : ouvrières, paysannes, anticoloniales, féministes, écologistes… Mais on est particulièrement heureux qu’on on y trouve un peu des regards de cinéastes qui ouvrent vers une lecture du monde plus complexe que les clichés habituels. Aux Mutins de Pangée, nous défendons l’idée que chaque individu, chaque spectateur, doit être envisagé comme un être complet, sensible et intelligent, qui a besoin d’émotions et de raison, de rire et de larmes, de se sentir appartenir au monde ou de pouvoir s’en isoler pour penser, pour rêver, selon les moments… C’est un pari qui ne marche pas toujours mais nous avons de bonne surprise… contre toute attente, on trouve des spectateurs curieux et la curiosité, ça se travaille.
Vous êtes quasiment la seule plateforme à mettre en avant des films politiques. Est-ce que vous pouvez nous en expliquer la raison ?
La raison est simple : c’est complètement à contre-courant. Et peu de gens veulent nager à contre-courant car ça nécessite plus d’efforts, plus de travail pour moins de recettes. Les idées progressistes et la curiosité ne sont pas un créneau du tout porteur de notre temps ! Et il semble aussi qu’il y ait moins de professionnels de notre secteur qui aient des convictions à défendre, soit parce que ce n’est pas leur culture soit par ce qu’ils ont renoncé. Mais on n’a pas le choix, c’est notre histoire, on sait d’où on vient, ce qui nous anime et on ne pourrait pas consacrer nos vies et notre énergie à faire ce qui ne nous intéresse pas, servir les plats, « faire pleuvoir où c’est déjà mouillé » comme dit mon camarade Daniel Mermet. On espère qu’on restera encore assez nombreux dans ce qu’on considère de plus en plus comme un « refuge » mais qui est aussi parfois l’avant-garde comme, par exemple, le film que nous sortons au cinéma actuellement HACKING JUSTICE – JULIAN ASSANGE, avec peu de salles mais un succès fou, malgré le black-out de la plupart de la presse (sauf L’Humanité, Là-bas si j’y suis, Blast.info et quelques autres journaux indépendants). Et en disant cela, j’ai bien conscience d’aggraver la situation. Plus on se plaint de la presse, plus elle nous marginalise et ça se fait plus du tout dans la critique des idées désormais mais par le silence.
Pensez-vous pouvoir éveiller les consciences en diffusant au plus grand nombre les contenus que vous proposez ?
Non, quand même pas. Nous ne sommes pas si prétentieux que ça. Mais contribuer à donner du grain à moudre aux curieux, c’est déjà une mission qui nous occupe 24h sur 24h. Est-ce que ça contribue à éveiller les consciences ? Espérons que ça tombe dans quelques oreilles qui ne sont pas encore assourdies par le vacarme illusoirement dépolitisé de l’époque où nous sommes tous transformé en consommateurs gavés, blasés, avec peu de temps pour assimiler ce qui nous arrive tous les jours. Le cinéma qu’on défend est un antidote à ce monde hystérique, aux séries Netflix, à l’esprit Amazon, à la ligne de CNews… Mais on ne peut pas dire que nos idées ont le vent en poupe lorsqu’on voit le climat médiatique actuel où tout le monde copie le pire, dans l’espoir du moindre succès. Pour diffuser ce qu’on défend, on peut encore mieux faire, mais pas tout seul… Nous avons la conviction que ce qu’on propose intéresse bien plus de monde que ceux qu’on touche. Une très grande partie de nos journées consiste à essayer de faire savoir à quelques personnes ce qu’on propose et pour cela il faut passer beaucoup d’obstacles : le silence de la presse, les tortueux algorithmes des réseaux sociaux, l’apathie généralisée, le surmenage de nos potentiels alliés… Pourtant, nous n’avons jamais eu accès à autant de moyens de communication. C’est le paradoxe de notre époque. La nature de notre travail s’est beaucoup transformée depuis quelques années, il a fallu beaucoup communiquer sur les réseaux sociaux et nous aimerions consacrer plus de temps à la création et à la recherche de films qu’à chercher à le faire savoir mais c’est une donnée désormais incontournable. Ce qu’on ne sait pas mesurer c’est le travail de compensation que nous oblige le silence de la presse sur certains sujets que nous sommes parmi les rares ou parfois les seuls à porter au cinéma. Parfois, on y arrive quand même, au prix d’énormes effort, comme actuellement sur Hacking Justice- Julian Assange, grâce à ce réseau qui s’empare peu à peu du film. Lorsqu’on regarde les chiffres, c’est bien peu par rapport aux grosses machines mais c’est déjà un miracle de notre temps. Et nous savons à quel point d’autres s’emparent parfois de nos sujets pour les porter plus loin, les transmettre, des profs par exemple. Il est possible que nous travaillions souvent plus pour l’avenir ! C’est, en tout cas, ce qui nous anime sur le long terme.
